Revenge ft Ren Scaevola

Renatus goûtait depuis peu aux plaisirs de sa nouvelle condition et de son nouveau nom, et - jusqu'à présent - il avait été sage et n'avait pas encore profité aux joies de ce que la richesse pouvait lui apporter. Il gardait, malgré tout, des goûts très modestes, là où d'autre accédant à ce genre de nouvelle vie se serait vautré dans les dépenses inutiles. Ce que voulait le jeune Scaevola, c'était s'offrir quelques carnets vierges. Deux, pour commencer : un dans lequel il pourrait croquer un peu tout ce qu'il voulait, et qui serait plus pratique à transporter qu'une liasse de papiers volants, et un pour s'entraîner à écrire, tout seul, entre les leçons qu'on voudrait bien lui donner. Il était déterminé, avait envie d'apprendre, se détacher peu à peu de sa condition d'esclave - d'assisté, dans cette nouvelle sphère - pour faire honneur à son frère et à son nom. Le jeune homme avait réussi à savoir où il pourrait se procurer ce qu'il désirait (il avait dû insister, son frère n'ayant pas l'air à l'aise avec l'idée de le savoir gambadant dans les rues en son absence... comme en sa présence, finalement) et avait finalement décidé de s'y rendre, laissant Corvus aux bons soins des esclaves de son frère, et peut-être même tout particulièrement de Waylian.

Le frère du Divin commençait à être connu. Plus ou moins. Les rumeurs avaient fini par courir à son sujet, quoi que les principales autorités, personnalités ou tout autre gens qui avait réellement à s'en soucier ou à s'y intéresser soit déjà au courant : son visage n'était pas encore totalement connu, il n'avait encore rencontré que bien peu de personne, et ne se pensait pas encore assez connu pour pouvoir être en potentiel danger ; aussi fut-il surpris lorsqu'il fut pris à partie dans une rue bondée puis, alors qu'il opposait une résistance, traîné à l'écart dans une ruelle. Escorté (de force) par trois homme. Son esprit s'emballa subitement et la paranoïa de son frère afflua sur lui au triple galop : il l'avait pourtant mis en garde, pourquoi n'en avait-il fait qu'à sa tête ? Il aurait au moins dû prendre un esclave avec lui pour éviter ce genre d'incident mais, non, il n'en avait fait qu'à sa tête.

Pourtant, la chance semblait être de son côté. N'était-ce pas là un Templier qui venait d'apparaître et d'attraper son bras avec fermeté, après avoir donné un coup derrière la tête de l'un des hommes et d'en avoir repoussé un autre ? Il devait même faire partie du commandement, mais Renatus avait encore un peu de mal avec tout ça. Il se laissa néanmoins faire bien sagement lorsque l'homme annonça que le Divin voulait le voir, comprenant que la supercherie était destiné à les sortir de là sans encombre. Il savait qu'il avait déjà croisé son sauveur, son visage lui était familier et il avait une bonne mémoire des visages. Le jeune Scaevola se laissa entraîner dans les rues plus passantes pour se mêler à la foule. Il finit par le relâcher au bout de quelques minutes, et Renatus frotta doucement son bras, plus pas réflexe que parce qu'il avait eu mal. Il prit garde à bien rester près de l'homme, jetant des regards autour d'eux avant de relever les yeux sur lui :

« Merci... » il fallait bien commencer par quelque part, et commencer par des remerciements semblait être la meilleure chose à faire du point de vue de Renatus. « Ne vous inquiétez pas pour mon bras, il a connu pire que ça, et il me serait peut-être arrivé pire sans votre intervention alors, vraiment, ne vous excusez pas pour ça. »

Renatus sourit doucement, se détendant progressivement. Il lui fallait tout de même répondre à la question de son chevalier servant -ou pas servant, mais chevalier tout de même. Il lui devait bien ça, même si la réalité était peut-être gênante à révéler au milieu d'une rue si pleine, dans une ville qui s'avérait être la capitale d'un pays esclavagiste. Renatus se racla un peu la gorge et finit par dire :

« Il s'agissait d'esclaves de mon ancien... Mon ancienne maison. Vous devez savoir d'où je viens... » il soupira légèrement avant de poursuivre : « Je crois que le maître de maison n'a pas vraiment apprécié l'intervention de mon frère après ma tentative d'évasion, ni tout ce qui a pu leur arriver ensuite, si tant est qu'il leur soit arrivé quelque chose. » il se redressa un peu pour ajouter d'une voix légèrement pincée : « Ils n'étaient pas totalement d'accord avec la Chantrie Impériale, d'ailleurs, je les ai déjà entendu tenir certain propos à l'égard du Divin ou des prêtres avant même que je sache que Faustus est en réalité mon frère. » ou demi-frère, mais à ses yeux, c'était du pareil au même. « Quelque chose à propos de maison close, de vice des hommes, ou je ne sais trop quoi... Ce sont les Agrippa ! » Il était tellement occupé à se souvenir - en frémissant - de la cruauté que ses anciens maîtres avaient eu à son égard (et à l'égard d'autres esclaves) qu'il avait failli oublier de donner leur nom. Certains détails qu'il venait de révéler à son sauveur, il s'était bien gardé de les partager avec son frère, pour ne pas le froisser ni l'inquiéter. « Merci pour votre intervention, j'ai été stupide de sortir seul, mais je ne pensais pas que l'on ferait déjà attention à moi... »

Il avait été tellement invisible depuis tant d'année qu'il avait encore un peu de mal à s'en rendre compte. Bringuebalé de droite à gauche, séparé (ou abandonné, il ne savait toujours pas et ne le saurait jamais) de sa mère depuis sa plus tendre enfance, expédié d'un bout à l'autre du pays... Il avait fini par se faire à l'idée que personne ne faisait attention à lui et, à présent, le voilà presque sur le devant de la scène. Il était encore dans les coulisses, mais il savait qu'il n'allait pas pouvoir rester tranquillement enfermé chez son frère et aller faire son marché sans risque jusqu'à la fin de sa vie, malheureusement.

La question de l’homme était on ne peut plus juste : pourquoi n’avait-il pas emmené d’esclave avec lui ? Renatus n’avait pas voulu déranger Waylian qu’il n’avait, en réalité, même pas prévenu. Il s’était échappé de la maison de son frère, ni vu ni connu, comme on disait. Parce qu’il le pouvait, parce qu’il en avait le droit, parce qu’on ne le battrait plus et ne l’enfermerait plus dans une cave pour cela, et aussi parce que c’était grisant. Il savait que, dorénavant, il devrait faire attention lorsqu’il se retrouverait seul.

« Je ne sais, je n’y ai pas pensé… Je n’ai pas encore trop l’habitude de demander… D’ordonner… Ou « d’avoir » des esclaves, en fait. »

Il esquissa un sourire désolé, parce que sa « non habitude » aurait pu lui coûter cher sans l’intervention du Templier. Il lui donnait du travail, aussi, et dieu sait ce que ses anciens maîtres auraient fait. L’auraient-ils finalement tué, comme ils l’avaient prévu, ou auraient-ils tenté de faire chanter le Divin pour en obtenir quelque chose ? Si tel avait été le cas, Renatus aurait préféré que son frère lui tourne le dos, purement et simplement, plutôt que de se retrouver dans des ennuis par sa faute.

« Peut-être, mais je sais à présent qu’il me faudra être plus prudent, à l’avenir. Causer des soucis à mon frère est bien la dernière chose que je désire… »

Il soupira légèrement, avant de secouer la tête. Il ne voulait pas savoir comment cette histoire allait être réglée, quoi qu’il n’ait aucune sympathie pour ses anciens maîtres et qu’il serait même prêt à s’y rendre et se venger tant pour lui que pour tous les esclaves sacrifiés et malmenés… Mais les raisons de son presque désir vengeance ferait certainement rire plus d’un Tévintide, maintenant qu’il était passé de l’autre côté de la barrière. Renatus emboîta le pas à son sauveur lorsque celui-ci se remis en marche. Ses paroles arrachèrent un léger rire à Renatus, qui lui répondit en retrouvant le sourire :

« Enchanté, Cerberus. Je pense que vous me connaissez, mais pour faire les choses bien… Je suis Renatus. » le ton était enjoué, et il se forçait presque pour ne pas passer au tutoiement. « Ma mésaventure m’aura au moins permis de vous rencontrer ! J’ai bien de la chance d’avoir une pareille escorte. »

Il rit un peu, avant d’attraper délicatement le bras de Cerberus pour le faire pivoter. Renatus ne comptait pas rentrer tout de suite ; s’il n’avait eu personne, oui, sans doute aurait-il couru jusque chez son frère pour s’y réfugier, demander pardon à Waylian et emprunter les termes de son frère, dans lesquelles il se serait baigné durant des heures pour se détendre. Avec ou sans Corvus.

« Puisque vous êtes là, j’aurai deux ou trois choses à acheter, avant… Des cahiers, en fait, on m’a donné une adresse, mais peut-être connaissez-vous ? »

Le frère du Divin chercha rapidement le morceau de papier qu’il avait glissé dans sa poche, et le tendit à Cerberus. Il n’avait nullement l’intention de lui faire savoir qu’il avait encore un peu de mal à lire, ni qu’il connaissait l’endroit approximatif où se trouvait ce qu’il cherchait, et qu’il comptait errer ou demander aux passants jusqu’à trouver ce qu’il désirait.

Renatus n'avait qu'à moitié conscience que son comportement était encore loin d'être celui qu'on pouvait désormais attendre de lui. Il n'était plus l'esclave qui pouvait se retrouver crotté des pieds à la tête sans qu'on ne lui dise rien, parce qu'après tout, il n'était personne. Tant qu'il ne salissait pas la demeure, qu'est-ce que cela pouvait bien faire qu'il ait le comportement d'un gentleman ? Les choses avaient évidemment changé, et il s'en rendait bien compte, mais les habitudes avait la vie dure, et on ne n'effaçait pas d'un coup de brosse trente ans d'esclavage en espérant que tout brille parfaitement. Il n'avait pas encore tous les réflexes, et voulait pour le moment trop profiter de sa liberté au détriment du danger qu'il pouvait y avoir à se promener imprudemment alors que l'on devenait peu à peu connu comme étant le frère du Divin Noir. Il haussa néanmoins une épaule aux paroles du Templier :

« Ou peut-être que je ne changerai pas d'avis. » il lui adressa un sourire, avant de reprendre : « Après tout, je ne suis pas mage, et je ne suis pas un délinquant non plus. »

Il esquissa un sourire en coin, quelque peu amusé. Il avait bien compris que les non-mage n'avait pas grand chose à espérer ou à attendre, dans l'Empire tévintide. Mais les esclaves non plus, et Renatus avait connu un véritable petit miracle : parfois, le destin s'amusait bien avec ses petits pantins. Quelle ironie que le Divin Noir en personne ait un frère bâtard, non-mage et esclave depuis sa naissance - ou tout comme ? Au moins, il n'en était pas moins bien traité par Faustus et, même s'il regrettait parfois de ne pas pouvoir faire quelques tours de magie, il n'échangerait tout ça pour rien au monde. Lorsque l'ancien esclave attrapa son bras pour le faire changer de direction en lui faisant part de ses plans, expliquant par la même occasion pourquoi il était ici, Cerberus sembla surpris par ce qu'il était venu chercher. Renatus hocha la tête, affichant un sourire ravi lorsque son sauveur lui annonça penser savoir où se trouvait la boutique, et il lui emboîta le pas. Le trajet fut silencieux, mais cela n'empêcha pas le jeune homme de détailler et le Chevalier-Capitaine, et tout ce qui se trouvait autour de lui, jusqu'à ce qu'ils arrivent enfin.

« Merci. » fit-il en souriant, laissant le Templier passer devant lui pour... Vérifier que tout allait bien, certainement. « C'est pour dessiner. » répondit le jeune homme en le suivant. « Et pour... Ecrire, un peu, aussi. Mais surtout pour dessiner. »

Renatus n'osa pas réellement dire qu'il ne savait pas encore totalement écrire, ou même lire. Cela n'avait pas été, jusqu'à présent, une honte pour le jeune homme : il n'en avait jamais vraiment eu besoin, et personne ne le lui avait jamais reproché. Il était certes admiratif de ceux qui, avant que Faustus ne viennent le chercher, pouvait lire quelques lignes dans un livre et s'en vantait, mais il n'avait jusqu'alors jamais chercher à savoir lui-même. A présent, il ressentait presque cette lacune comme une gêne, un handicap. Avec un léger sourire, il s'esquiva quelques minutes pour observer les cahiers et en prendre trois, qu'il alla payer avant de revenir vers Cerberus.

« Et voilà. Vous... Vous trouvez ça bizarre ? » demanda-t-il d'une voix un peu hésitante.

Renatus était heureux d’avoir pu trouver l’objet de ses désirs ; ce pourquoi il était sorti, et ce pourquoi il avait failli… Au mieux, se faire rouer de coups, au pire, y passer. Toute une série de suppositions des mauvais moments qu’il aurait pu passer défiler dans son esprit, mais il les chassa rapidement en revenant vers le Templier. Il n’était plus l’heure d’y penser ; de toutes manières, il avait été sauvé. Il craignait d’ailleurs que l’homme qui l’escortait à présent ne le trouve étrange : il n’était pas encore réellement habitué à tous les us et coutumes des nobles tévintides, et il ne se faisait pas d’illusion quant au fait qu’on ne jugerait très certainement sur son passé d’esclave et non pas sur la valeur de l’homme qu’il était. Néanmoins, voir qu’il ne se faisait pas juger par Cerberus était un soulagement fort apprécié. Il ne savait pas s’il aurait eu la force de supporter qu’on le sauve et qu’on le prenne de haut tout à la fois.

« Je vois… Je n’ai pas encore eu l’occasion de côtoyer ou rencontrer grand monde en dehors de mon frère, de ses esclaves ou de sa famille. »

Il ne doutait cependant pas de l’accueil qui serait fait à un non-mage et ancien esclave, tout frère (bâtard) du Divin qu’il soit. Renatus sourit à la question de l’homme, et pris le temps de réfléchir, avant de se dire qu’il pouvait tout autant faire un petit crochet par un marchand de fruits frais.

« En fait... Je prendrai bien quelques citrons. Je voudrais préparer des tartes pour Faustus, quand il rentrera, et il adore les pâtisseries au citron ! J’ai toujours été assez doué pour faire des tartes, et il adore ça, alors… »

Il pouffa un peu. Son frère restait humain, malgré tout, et il était toujours touchant de le voir apprécier sa cuisine. Et puis, Renatus adorait faire plaisir.

La petite sortie de Renatus qui aurait pu être une véritable catastrophe s'avérait finalement excellente. Parce qu'il avait été sauvé, avait tout ce qu'il désirait et, en plus, il avait fait la rencontre d'une nouvelle personne qu'il trouvait lui-même bien sympathique. Le jeune Scaevola était un animal social par excellence ; il adorait rencontrer de nouvelles personnes, surtout quand elles ne lui étaient pas désagréables, et Cerberus faisait parti de celles-ci. Même si les paroles qu'il lui adressa vis à vis de sa remarque sur le fait qu'il n'avait pas encore rencontré grand monde n'était pas très rassurante ; cela lui arracha même un soupire alors qu'il osait faire la comparaison :



« En fait... J'ai l'impression qu'être libre ne change pas beaucoup du fait d'être esclave. Je veux dire, oui, les conditions de vie sont bien meilleures - mais j'ai eu de la chance sur ce point, disons. Pourtant, j'ai l'impression que même les... Grands sont esclaves de leurs codes et leurs étiquettes, et ne sont pas forcément plus heureux que nous... Que les esclaves pour autant. »

Il haussa une épaule. C'était son point de vue, il ne pouvait pas le partager avec grand monde, surtout pas avec la noblesse tévintide. Peut-être venait-il de blasphémer ou de dire quelque chose d'incroyablement choquant, mais il avait juste l'impression que toutes ces personnes en haut de l'échelle sociale - ou la plupart - se noyaient juste dans les déboires et le luxe pour oublier qu'ils n'étaient pas forcément plus heureux que leurs esclaves qui, certes avaient la vie dure et ne possédaient rien, mais qui appréciaient les plus petites choses à leur juste valeur précisément à cause de leur misérable condition. Peut-être extrapolait-il, mais... Renatus secoua la tête et retrouva son sourire, annonçant qu'il aurait aimé trouver des citrons pour le retour de Faustus. Il était sûr que l'attendre avec une tarte au citron ferait son bonheur. Il se laissa guider jusqu'au marchand de fruits avec joie, et fit ses achats avant de revenir vers le Templier.

« Je crois que j'ai retenu la leçon, je vous dois une fière chandelle... Mais vous êtes vraiment obligé de lui en parler ? Il n'a pas besoin de s'inquiéter pour quelque chose qui n'est finalement pas arrivé, si ? » il essaya un petit regard tout triste et suppliant, mais il savait bien au fond de lui que si personne ne prévenait son frère, il finirait quand même par le savoir. Et puis, il n'était pas contre une petite correction envers ses derniers maîtres ; pas qu'il soit rancunier, mais si ça semblait normal pour tout le monde une telle cruauté envers des esclaves, lui, ça le révulsait. « Eh bien, je crois que je n'ai besoin de rien d'autre, je vais pouvoir rentrer. Je suis désolée d'avoir gaspiller votre temps avec mon insouciance, vous devez être fort occupé. C'était un plaisir de vous rencontrer, en tous cas, rien que pour ça je suis presque heureux de ce qui est arrivé. »