You know I'm right | Ft. Varian

Depuis quelques mois, la Garde-Commandeur tevintide Agrippa semblait jubiler. Resplendissante, elle traversait sa vie habitée d'un entrain presque excessif, souriant et riant à la moindre occasion comme une femme amoureuse. Il n'avait jamais été rare de la voir chantonner, mais elle le faisait encore plus souvent ces derniers temps, intriguant même ceux qui la connaissaient le mieux. Clairement, elle se sentait bien.

La raison pour toute cette bonne humeur n'était évidemment pas l'amour - c'était quelque chose de bien plus intéressant, de bien plus important qu'une bêtise pareille. Ce qui la réjouissait ainsi, c'était tout simplement savoir que l'Enclin de Razikaal était enfin arrivé.

Pas de support de la part des Gardes tevintides à leurs homologues sudistes, oh non - sous le commandement d'Agrippa, personne n'enverrait d'aide à personne. Qu'Orlais et Ferelden se débrouillent s'ils le pouvaient ! Mais ce n'est pas pour autant qu'elle se désintéressait de ce lointain Enclin. Au contraire, elle en suivait les bonnes nouvelles tous les jours - écoutant joyeusement les rapports de ses subordonnés à propos de la progression des engeances et de la déroute de leurs adversaires. Le fameux Fort Céleste assailli par le puissant Archidémon. La ville de Jader, brûlée et détruite par la sombre armée. Tant de nouvelles qui la plongeaient dans le bonheur. Tout se passait si bien ! Son seul regret était de ne pas être aux premières loges pour observer cette dévastation. Ca devait être fascinant à voir. Elle en venait presque à envier ses confrères du Sud.

Et s'il y avait bien un homme avec lequel elle aimait partager toute cette excitation, c'était Varian Titus, son magister préféré et l'une des rares personnes qu'elle considérait comme dignes de son estime. Elle devait beaucoup à Varian : c'était lui qui l'avait mise sur la voie de la Vérité en lui faisant découvrir les anciens Dieux - et Dumat savait à quel point cette découverte avait été importante pour elle. Elle le voyait comme un homme intelligent et plein de bonnes idées - et comptait d'ailleurs parmi les membres de son groupe, Exordium.

Mais comme tout le monde, Varian pouvait se tromper, et c'est pourquoi elle avait à lui parler. Ce qu'elle avait à dire lui trottait dans la tête depuis longtemps, et elle comptait profiter de leur rendez vous du jour pour lui en faire part.

-"Varian !" s'exclama-t-elle quand il vint l'accueillir. "Comme je suis contente de te voir ! Tu vas bien, j'espère ?"

Comme à son habitude, elle était excessivement expressive, se précipitant pour l'embrasser sur la joue comme s'ils ne s'étaient plus croisés depuis des mois alors que dans les faits ils s'étaient vus peu de temps auparavant. Théâtrale, elle s'éloigna d'un pas en prenant un air plus sérieux et même concerné avant de continuer : "Moi je vais on ne peut mieux, même si j'ai des choses à te dire... de la plus haut importance."

Il fallait avouer que Varian savait recevoir, envoyant immédiatement l'un de ses esclaves chercher du vin pour son invitée en l'invitant rapidement à s'asseoir. Agrippa le suivit, d'ors et déjà prête à entrer dans le vif du sujet. Elle avait en tout cas choisi le bon moment pour venir lui parler : le magister semblait de bonne humeur, tout comme elle... L'Enclin devait le ravir, lui aussi. Comment ne pas être extatique, de toute façon, en sachant que le grand Razikaal était à nouveau libre de parcourir les cieux de Thedas ?

S'installant face à lui, la Garde des Ombres s'apprêta à prendre la parole. Si elle pouvait convaincre son allié à voir la raison, ce serait véritablement une journée réussie. "Eh bien... ça risque de ne pas te plaire." Elle faisait volontairement durer l'intrigue - s'assurant de l'attention de l'audience comme au temps de sa carrière d'actrice. C'était tout un art, et absolument nécessaire... du moins à ses yeux.

-"C'est à propos de notre... confrère. Lachlan Valerius." Elle avait prononcé le nom sur un ton clairement hostile : elle n'avait jamais vraiment aimé cet homme et ça se sentait. Rien que le fait de parler de lui comme de "leur" confrère, à elle et Varian, était une grosse concession pour la mage. En vérité elle ne voulait rien avoir à voir avec lui - et si tout se passait comme elle le voulait ce soir, peut-être ce désir serait il exaucé. "On ne peut pas lui faire confiance, Varian. On ne peut pas ! Il ne devrait même pas faire partie d'Exordium !" Des affirmations sans appel, presque des faits, au vu de la façon dont elle en parlait. Elle ne doutait pas du tout de ce qu'elle disait. Agrippa n'était pas le genre de personne à douter, en règle générale.

L'esclave refit irruption dans a pièce en portant deux verres et une cruche de vin et la Femme en Rouge s'interrompit. Voilà qui accompagnerait parfaitement leur conversation... Agrippa prit son verre par le pied mais ne commença pas à boire avant d'avoir eu une première réponse de son compagnon. De sa première réaction dépendrait peut-être tout le reste de leur discussion.

Le début de la réponse du magister était prometteur. Varian n'avait pas une confiance aveugle en le templier - et même s'il était vrai que la Garde des Ombres s'en doutait, c'était quand même rassurant de l'entendre confirmé clairement. C'est vrai que dans le fond, personne ne faisait pleinement confiance à personne, dans l'empire de Tevinter... Les femmes se méfiaient de leurs époux, les amants de leurs compagnes... Même les parents devaient garder un œil sur leur progéniture pour éviter de se retrouver avec un couteau dans le dos. Et Agrippa, eh bien... Agrippa était un cas à part. Peut-être que personne ne lui faisait confiance, peut-être ne pouvaitt-elle elle même faire confiance à personne en retour, mais elle était tellement dédiée à ses principes, tellement obnubilée par ses propres projets, qu'au final tout cela lui semblait secondaire. Peut-être est-ce pourquoi elle était venue parler de ces soucis à Varian plutôt que d'essayer de les régler elle-même. Parce qu'elle, au final, n'avait pas peur que Lachlan Valerius la trahisse elle-même. Elle craignait qu'il trahisse Varian, et qu'il mette ainsi tout son monde en pagaille.

Et aussi, parce qu'elle ne pouvait pas supporter ce type.

Elle claqua la langue, dédaigneuse, en entendant parler de sa dedication aux Anciens Dieux et de ses capacités de templier. Pah ! Il restait un simple soporati, quoi qu'on en dise, et elle-même aurait été parfaitement capable de tuer les gens qu'il avait assassiné, si elle l'avait voulu. Sans doute même mieux que lui ! Elle répondit, non sans mauvaise foi : "Il n'est même pas mage. Je suis sûre que tu pourrais trouver mieux... plus à ta hauteur."

Si la façon dont progressait la conversation commençait à l'agaccer, l'accusation qui suivit la mit réellement en colère. Jalouse, elle ? Jalouse de Lachlan Valerius, de toutes les personnes sur Terre ? Elle sentit ses joues s'empourprer. "Mais bien sûr que non !" Comment aurait elle pu être jalouse de lui ? Lui qui avait appris à connaître les vrais Dieux bien avant elle ? Lui qui avait une relation si proche d'eux qu'il disait entendre leurs voix ? Jalouse ? Certainement pas. Elle refusait de l'admettre. "Tout ce que je dis, c'est qu'on ne sait pas ce qu'il a dans la tête. Oh, aujourd'hui, il te sert, mais qui sait ce qu'il pourrait décider du jour au lendemain... Cet homme ne suit aucune logique, il est complètement volatile !" Ne voyait il pas que son association au templier courait à la catastrophe ? Agrippa croyait réellement en ce qu'elle disait, et ne réalisait même pas que la même chose aurait sans doute pu être dit à son propre propos.

Manifestement, Varian n'appréciait pas ces mises en garde à leur juste valeur. En fait, il semblait même sous-entendre qu'elle, Agrippa, était tout aussi volatile et indigne de confiance que le templier - des propos qui la laissèrent assez amère. Peu fiable, elle ? Elle était déterminée, passionnée, elle était dédiée à la cause que Varian lui avait fait découvrir... Elle n'était volatile que de la meilleure des façons, volatile de manière à éviter les solutions de facilité et la complaisance dans l'état présent des choses. Son instabilité lui permettait d'aller de l'avant, de découvrir, d'expérimenter... d'accomplir de grandes choses. Ne le voyait-il pas ? Ne comprenait-il pas qu'elle était exceptionnelle ?

Peut-être était-il simplement en train de la tester, de voir sa réaction face à ce genre d'accusations. En tant que Magister, il devait se méfier de tout.

Elle détourna les yeux, énervée, et siffla. "Très bien. Fais comme tu veux. Mais sache que moi, je ne veux rien avoir à voir avec lui." Elle reprit son verre, qu'elle avait à peine touché, et bu un bon coup comme pour se calmer les nerfs. Et en effet, quand elle se retourna à nouveau vers son vis-à-vis, elle avait retrouvé son air enjoué, tellement naturellement qu'il aurait été difficile de deviner qu'elle avait semblé fulminer quelques instants plus tôt. "De toute façon, il importe peu... Toi et moi, nous avons des choses bien plus importantes en tête, n'est-ce pas ?" Elle sourit, d'un sourire presque suggestif qui aurait pu signifier bien des choses.

Elle but à nouveau un peu de vin et reposa son verre, se faisant songeuse. "J'imagine que tu reçois aussi des nouvelles du Sud. Les Engeances continuent leur progression. Il y a cette ville, Jader - j'y ai déjà performé, à l'époque - qui a été complètement détruite." Elle soupira d'envie. "J'aimerais presque y être... Voir tout cela de mes propres yeux. Mais, ah, il sembleraient que seuls les Gardes du sud aient le droit de s'amuser !" Observer le vol de l'Archidémon, la marche des Engeances, la Corruption répandant son poison à travers les terres... Si elle s'était écoutée, elle serait partie tout de suite. Malheureusement, ses responsabilités à Tevinter étaient trop importantes... Tout comme ça devait être le cas pour Varian.

Le fait de ne pas avoir à travailler avec Lachlan était indéniablement une bonne chose, même s'il aurait été encore mieux que le templier soit totalement absent de sa vie, mort ou au moins assez loin pour qu'elle n'ai plus jamais à s'en préoccuper. Mais elle n'obtiendrait rien de plus durant cette conversation avec Varian, elle le voyait parfaitement bien elle-même, et elle opta donc pour un changement de sujet dans la conversation. Il y avait de toutes façon des sujets plus intéressants à discuter que ce type qu'elle n'avait jamais aimé.

L'enclin... On pouvait se demander pourquoi qui que ce soit à Thédas avait a tête à parler, à penser à quoi que ce soit d'autre. A présent que Razikaal avait rouvert les yeux, à présent que les armées venues des tréfonds avaient refait surface pour répandre a souillure sur le monde, pourquoi diable certaines personnes persistaient à se concentrer sur leurs soucis absurdes et minimes plutôt que d'ouvrir les yeux sur la grandeur de ce qui se passait ? Mais Varian savait, lui. Varian partageait sa fascination, et c'était pour ça qu'Agrippa aimait tant travailler à ses côtés.

-"Jader... Ca a du être incroyable." Elle y songeait avec émotion, regrettant de ne pas avoir pu être sur place. Ceux qui étaient décédés sur place, gardes, soldats ou civils, avaient eu beaucoup de chance, oh oui, la chance de trouver la mort de la meilleure des façons qui soit. "Et ce n'est pas terminé. L'oeuvre de Razikaal n'est pas terminée. Nous avons tant de chance de pouvoir observer tout ça de notre vivant." Il était souvent arrivé à Agrippa de songer qu'elle était née à la mauvaise époque. Quand elle était plus jeune, avide de liberté sur les routes de Thédas, elle se disait qu'elle était née trop tôt, dans une société trop ennuyeuse et étriquée, qu'elle méritait mieux que ça. Quand elle avait découvert les vrais Dieux, elle avait réalisé que c'était le contraire, que c'était à la grande époque glorieuse de Tevinter qu'elle aurait du vivre... Mais tout compte fait, peut-être était-ce une bonne chose qu'elle ai vu le jour en 10:01 des misères. Peut-être était-elle exactement la personne dont cette ere avait besoin.

Varian fit un commentaire à propos des homologues d'Agrippa au Sud, les Gardes des Ombres fereldiens et orlésiens. Qu'ils mettent fin à l'Enclin trop vite, Agrippa en doutait. Elle avait l'impression que l'Enclin du siècle passé avait été une exception, contenu à Ferelden et terminé en moins d'un an grâce aux efforts d'un Garde entré dans la légende. Mais il n'y aurait plus de héros légendaire cette fois-ci... Ci ce n'est elle-même, et Razikaal. Oui, Razikaal méritait d'être le héros de cette histoire.

-"Les Gardes sudistes sont faibles", murmura-t-elle avec ferveur. "Ils n'ont même pas réussi à défendre la population d'une simple ville des ravages des engeances."

Elle aurait pu devenir une Garde des Ombres sudiste, elle-même, dans le fond. Il aurait suffit que ce soit des Gardes d'Orlais qui tombent sur elle tandis qu'elle était en train d'agoniser dans les tréfonds, plutôt que des tévintides. Mais Agrippa ne réfléchissait pas en ses termes. A ses yeux, il n'y avait pas de hasard... Son Destin avait été de découvrir la Corruption, de vénérer les Anciens Dieux, et de devenir Garde Commandeur de Tevinter depuis son premier cri, et toutes les actions de sa vie l'avaient inconsciemment menée là.

Elle se disait parfois qu'elle devait être la personne la plus importante de tout Thédas.

Agrippa fit echo au ricanement de Varian, des images de la destruction de Jader en tête. Purifiée. La ville avait été purifiée par l'action des engeances. Quelle ironie qu'on qualifie aujourd'hui de "souillure" la trace que l'enclin laissait après lui ! La souillure, elle s'en rendait de plus en plus compte, était le monde actuel, le monde des faibles et des incapables, le monde qui avait cessé d'adorer les vrais Dieux pour se tourner vers un "créateur" sans valeur. Mais le feu le purifierait. Razikaal leur donnerait une leçon à tous.

Elle eu un sourire qui devait sembler à moitié dément, un éclair de fanatisme dans ses pupilles rouges.

-"Nous nous comprenons, toi et moi."

C'était un murmure fervent, presque une prière. Personne ne pouvait comprendre ses pensées mieux que lui... Personne au monde. En fait, peut-être lui même n'avait-il pas conscience de la profondeur de sa folie. Il était un homme plus terre à terre qu'elle, après tout. Mais ça, Agrippa ne s'en rendait pas compte. Pour tous ses complexes de supériorités et ses coups de folie mégalo, Agrippa pouvait être aveugle pour ce qui concernait quelques choses évidentes.