No time for caution ~ Kaelig

Cela ne faisait pas longtemps que Kaelig avait repris ses fonctions. Et il devait avouer que, même s’il râlait quelque peu pour la forme, Férelden n’était pas si terrible que ça. Il comprenait peut-être pourquoi il s’y trouvait, avant que l’explosion du Cercle ne le prive de sa mémoire... Bien qu’évidemment, ce qui l’avait conduit ici en premier lieu n’était rien d’autre que la promotion. Pour le reste, le Trevelyan se sentait encore quelque peu perdu. Un bon nombre de ses soi-disant anciens camarades venaient à lui comme s’ils se connaissaient depuis toujours et ne s’étaient perdus de vu que durant une année – ce qui, en soit, est vrai. Mais quand on n’a plus aucun souvenir d’une période aussi large que six ans, c’était beaucoup plus compliqué. Il avait eu du mal, aussi, à repérer les lieux, pour la même raison, même si on avait fini par lui refaire faire le tour du propriétaire.

Le plus compliqué était certainement de revenir parmi des gens et des lieux que vous étiez censé connaître, mais dont vous n’aviez aucun souvenir. Ce n’était pas comme tisser de nouvelles connaissances, c’était se rendre compte que ces personnes vous apprécient (ou non), et vous connaissent tandis que vous peinez à mettre un nom sur un visage. C’était certainement pour ça qu’il était revenu à Denerim à reculons, qu’il avait longtemps repoussé l’échéance. La sécurité et le confort de Val Royeaux n’était pas juste sa chambre et ses quatre murs, mais également ses habitants qu’il avait appris à connaître, et ces personnes qui s’occupaient de voir s’ils ne pouvaient pas débloquer sa mémoire. Ici, il se sentait pour le moment comme un intru – comme si on le confondait avec une autre personne qui était pourtant bel et bien lui. Il lui faudrait s’y faire.

Aujourd’hui, rien de bien spécial en perspective. Rutherford l’avait envoyé avec trois autres Templiers qui venaient fraichement d’arriver dans la forêt de Bréciliane afin d’y effectuer une ronde. En théorie, rien qui ne soit insurmontable et - en plus – avec la chance de ne pas réellement être connu de ses camarades, puisqu’ils étaient présents depuis moins d’un an. Le Chevalier Commandant avait beau sembler irascible, Kaelig commençait à croire qu’il n’était pas si terrible que ça. Si seulement il pouvait se souvenir de la relation qu’ils entretenaient avant ! Etait-elle amicale ou au contraire, glaciale ? Une partie de lui ne pouvait réellement croire à cette seconde hypothèse, entre autres parce que malgré l’air un peu blasé qu’il devait arborer en ce moment, il avait toujours été respectueux de la hiérarchie.

Tout se passait bien, jusqu’à ce qu’une flèche vienne se ficher dans un tronc, non loin de son visage. Il leva le bras en angle droit, poing fermé, pour faire signe à ses trois Templiers de s’arrêter. Son cœur battait rapidement, et il sentait l’adrénaline affluer dans ses veines. Surpris – cela faisait longtemps que ça n’était pas arriver. Pas de cette manière, cela dit, parce que retrouver sa chère sœur dans un bordel en avait été une, de surprise... L’elfe qui se présenta à eux était finalement beaucoup moins surprenant ; il aurait dû s’en douter. « Nous ne vous voulons pas de mal. » finit-il par lâcher en laissant son bras retomber sur son flanc, tout de même prêt à s’abriter derrière son bouclier ou à tirer son épée au clair si cela devait dégénérer. « Nous sommes sur notre chemin de ronde. Et à moins que vous ne soyez un bandit, ce n’est pas vous que nous cherchons. » Alors certes, les Dalatiens avaient des Archivisites et des apprentis qui maîtrisaient la magie mais, étrangement, le Trevelyan ne se sentait pas réellement de taille à prendre d’assaut un clan Dalatien avec seulement trois Templiers qu’il ne connaissait qu’à peine.

L’elfe ne les croyait pas. Evidemment, cela pouvait paraître étrange de croiser quatre hommes en armure au beau milieu des bois. Pourtant, c’était bien la réalité, et si Kaelig ne se pinça pas l’arrête du nez en signe d’agacement, c’est uniquement parce qu’il préférait rester bien droit face à ses camarades. « C’est pourtant la vérité. » fit-il en tenant fermement son pavois, prêt à dévier une nouvelle flèche. Derrière lui, les recrues ne pipaient pas mot, mais le Chevalier Sous-Capitaine ne se retourna pas pour regarder la tête qu’ils pouvaient bien faire. Il osait espérer, en son fort intérieur, qu’ils avaient un peu d’admiration pour son port altier et la manière dont il faisait face à la « menace ».

Quoi que, peut-être tremblait-il plutôt. Surtout celui qui était dans le champ de tir de la flèche. Kaelig plissa légèrement les paupières, posant sa main libre sur la garde de son épée. « Nous ne courrons pas après les oreilles pointues. Ce sont les bandits et les brigands notre cible aujourd’hui, et le but de notre ronde est de vérifier qu’il n’y en ait pas dans le coin. » Pas sûr que le Dalatien les laisse tranquille pour autant. Ce qui n’était pas pour plaire à Kaelig, qui le défiait du regard mais sans bouger et, surtout, sans faire un pas en arrière : « Je vous déconseille de faire ça. » lance-t-il. Ce n’est pas un ordre, plutôt une menace : mais le ton est sans appel. S’il ouvrait les hostilités, les Templiers n’allaient pas se laisser faire bien sagement.

Kaelig ne bougea pas d’un iota. Pas qu’il n’en ait pas eu envie, mais ils n’étaient clairement pas en position de force, quand bien même ils étaient en nombre supérieur. Il ne fallait pas plier sous la menace, et il avait au moins ça d’un bon capitaine. Il serra légèrement la mâchoire, conscient que derrière lui, l’un de ses hommes venaient de mourir. Le Chevalier Sous-Capitaine se retourna rapidement, voyant l’elfe fuir du coin de l’œil. La pauvre recrue avait eu moins la chance de n’avoir pas souffert, mais Kaelig ne pouvait décemment pas demander aux autres de poursuivre. Il le observa, un à un. Si jeunes. Et lui avec un choix à faire. Ce fut un soupire court et sec qui franchit en premier lieu la barrière de ses lèvres, avant qu’il ne donne ses ordres : « Ramenez son corps au camp. Prévenez Le Chevalier-Commandant ou Capitaine qu’on a des Dalatiens dans le coin, et qu’ils sont potentiellement hostiles. » Le Trevelyan ferma les yeux de la victime en douceur, avant de laisser ses recrues faire demi-tour.

Le Templier se releva doucement. Il n’était pas fou, et n’allait pas poursuivre l’elfe caché dans les bois pour assouvir une quelconque vengeance, ce n’était pas digne de son rang et certainement pas stratégique. A vrai dire, il ne devrait même pas resté ici, et autant dû rebrousser chemin avec les trois recrues restante. Il allait certainement en entendre parler à son retour. Doucement, une main sur la garde de son épée tirée au clair, l’autre tenant fermement son bouclier, il s’avança tranquillement dans la forêt. « Tu sais ce que tu viens de faire ? » demande-t-il tranquillement, d’une voix forte, mais aux aguets. « La chose la plus stupide qui soit. » railla-t-il sèchement. « On était pas là pour vous trouver, vous n’êtes pas le premier Clan qu’on croise. Ce que tu viens de faire, c’est de risquer de voir ton Clan se faire attaquer par un nombre de Templiers que tu ne peux même pas imaginer. »

Le sang qui bouillonne dans les veines et le cœur qui bat dans les tempes. Une adrénaline teintée de colère pulsait dans son corps, bien que Kaelig prenne sur lui. Il avançait, tranquillement, au cœur des bois. Ce n’était sans doute pas la chose la plus intelligente à faire, mais il voulait croire qu’il serait plus ou moins à l’abris dans son armure. Plus résistante, de meilleure facture que celle du cadavre qui était en train d’être ramené au camp. Cela dit, chercher un elfe Dalatien dans la forêt en le provoquant, cela n’avait rien d’intelligent, vraiment. Ses pas, son corps, son regard, tout restait serein. Il scrutait la forêt pour percer la nature du regard, tendait l’oreille pour capter le moindre son.

C’est à ce moment-là que l’elfe se trahit. Kaelig se retourna pour trouver le petit malin derrière lui, qui semblait avoir voulu le prendre en traitre. Un sourire en coin vint orner son visage tandis qu’il terminait de se tourner afin de lui faire face. Ecoutant ses paroles, le Templier pencha légèrement la tête. Rester maître de soi était la clé. Ce n’était pas simple, c’était même loin d’être simple, mais aujourd’hui il y parvenait ; sa colère était froide et mordante comme le blizzard.

Le coup parti tout seul ; délaissant ce calme plat, comme brisant la surface, il s’élança vers l’elfe, l’attrapant à la gorge. Il referma ses doigts, les serrant juste assez pour l’incommoder sans chercher à l’étrangler, le gardant à bout de bras. Il le toisa férocement mais, conscient qu’il n’aurait l’avantage de la surprise que quelques secondes, il répondit rapidement : « Je me contrefiche de savoir de quoi est capable ton clan. Tu ne sais pas non plus de quoi nous sommes capables... Est-ce que je ne te couperai pas les oreilles ? » Un instant, une lueur malsaine passa dans son regard, dégageant l’épée de son fourreau d’à peine quelques centimètres, mais il finit par repousser l’elfe aussi violemment que possible. « Et tu ferais bien de te moquer aussi de quoi nous sommes capables. Reste à ta place, et vous n’aurez pas d’ennuies. »

Apparemment, la « délicatesse » du Trevelyan n’avait pas plu à l’elfe. Ca lui apprendrait à être clément, tiens ! Il aurait dû l’achever et ne plus en parler. Même si, à la réflexion, l’achever aurait pu mener à des conséquences encore plus désastreuses. L’assommer, au moins. Le sonner… Même si juste le désorienter assez pour pouvoir fuir lui semblait être d’une outrageante lâcheté. Les recrues survivantes devaient maintenant être assez loin pour ne plus être en danger, de moins l’espérait-il. Le chevalier sous-capitaine devait à présent penser à sa propre retraite : inutile de continuer dans ses conditions et, surtout, de continuer seul. Ce serait du suicide, et absolument contre-productif. « C’est facile de tuer lorsqu’on est hors d’atteinte, cacher dans les bois. » crache-t-il en réponse.

La provocation lui donnerait presque envie de finir le travail. De venger la pauvre recrue qui avait eu la malchance de croiser la route de cet elfe, alors qu’ils n’avaient même pas l’intention de faire quoi que ce soit aux Dalatiens. Mais Kaelig ne devait pas laisser la vengeance l’aveugler. Il était plus utile vivant que mort – et il était plus utile de rentrer au camp même « lâchement » plutôt que d’avoir les mains tâchées du sang d’un elfe, au risque de réveiller la colère de ses semblables. Son air sûr de lui se déforme pourtant en une grimace de douleur, lorsque l’elfe décoche une flèche qui vient se planter dans sa cuisse. Sa jambe fléchie, et le force à mettre un genoux à terre sur le choc, n’ayant rien sur quoi s’appuyer. Merde, merde ! La blessure n’a pas l’air trop grave, mais elle n’en reste pas moins douloureuse. Et, surtout, son ego est terriblement froissé. Kaelig doit pourtant prendre sur lui. Répondre serait le mener tout droit de l’autre côté du Voile, puisqu’il se trouvait à présent en difficulté. Contre des bandits, il se serait relever, mais contre un elfe armé de flèche qui pouvait se dissimuler comme il le désirait dans la végétation ? Perte de temps. Surtout que l’elfe semblait adroit avec son maudit arc.

« C’est toi qui parlait de te cacher derrière une armure ? Tu vaux pas mieux en tuant comme tu le fais. » Ce n’était pas loyal. Kaelig n’était pas Chevalier d’Orlaïs, mais cela ne l’empêchait pas d’avoir un certain sens de l’honneur – que n’avait pas cet elfe, de toutes évidences. Un elfe bien loin des Lavellans qu’il avait pu côtoyer dans sa jeunesse, parfois. Rarement. Trop rarement, sans doute. « Et qu’est-ce que tu vas faire, toi, maintenant ? » cracha-t-il en se redressant sur ses jambes. « M’achever ? On ne retrouvera peut-être pas mon corps, mais ma disparition ne passera pas inaperçue. » Un Chevalier Sous-Capitaine qui s’évanouissait dans la nature, alors que deux des recrues qui l’accompagnaient revenaient en vie, seuls, en ramenant le cadavre du troisième ? Cela ne passerait définitivement pas inaperçu.

Kaelig pouvait entendre l’éclat de son égo brisé, comme de la verrerie que l’on aurait laissé échapper. Fracassé contre le sol de pierre, c’était à un elfe apparemment plus malin que lui qu’il venait de se heurter. Ou alors, sa clémence lui avait porté préjudice. Qui pouvait savoir ? Toujours est-il qu’il était là, impuissant, à devoir la mort ou la vie à cet imbécile d’oreille pointue. Intérieurement, il exultait de rage. Oui, il lui devait la vie. Il l’avait bien compris. Dans son regard brillait un feu féroce, celui de la vengeance qu’il désirait prendre sur le champ. Il était plus intelligent que ça (même si on pourrait parfois en douter, oui) et se contenta de serrer les dents et de lancer des éclairs avec ses yeux. Evidemment, pas avec ses mains, il était Templier, pas mage.

Le Chevalier Sous-Capitaine se contenta de garder le silence. Têtu, très certainement. Il ne voulait plus lui faire le plaisir de dire quoi que ce soit, et certainement pas de le remercier. De toute manière, qui ne dit mot consent, non ? Et son regard en disait bien plus qu’aucune parole ou aucune insulte. Profondément vexé, il resta sur place jusqu’à être certain que l’elfe était bien parti. Ensuite, et seulement à ce moment-là, il grogna, pesta sur l’elfe, sur la forêt, la nature, et dès que sa jambe le faisait souffrir. Autant dire que s’il y avait encore des personnes cachées dans les fourrées, elles ont dû entendre toute une floppée de nom d’oiseaux, ce jour-là.