Rencontre à la Forteresse [PV Ehgan]

Traverser la moitié d’un continent ne fait jamais de bien, encore moins avec une armure, quelques armes et un cheval aussi souple qu’un rondin de bois. En plus, je suis loin d’avoir vingt ans et de pouvoir supporter ces heures de voyage et surtout ces bivouacs en pleine nature. Mais je ne suis pas riche et je ne peux pas me payer une bonne auberge toutes les nuits, dommage d’ailleurs. Mais bon, le temps avait été agréable, la plupart du temps, j’avais pu discuter avec quelques voyageurs que je croisais de-ci, de-là et j’avais passé une fabuleuse nuit auprès d’un vieux conteur nain qui m’avait amusé au plus haut point. Donc j’avais fait plutôt bon voyage.

Je m’approchais tranquillement de la Forteresse de pierre noire qui s’élevait au bout de la route. J’avais visité une bonne centaine de fois le Quartier Général de la Garde en Orlaïs mais je la trouvais toujours aussi impressionnante. Pierres noires, remparts métalliques tout aussi sombres, la Forteresse Inébranlable avait été avant tout faite pour donner une impression de toute-puissance, ce qui n’était pas loin d’être la vérité. Mais j’étais toujours heureux également d’arriver. Je pourrais raser cette vilaine barbe qui commençait à grisonner tout doucement et qui me vieillissant plus de raison. Et puis un bon bain ne me ferait pas de mal, je sentais aussi fort que le Mabari qui m’accompagnait. Je pense que si un dragon me sentait, il serait écœuré par l’odeur de bouc que je refoulais. En plus de ça, mon armure était pleine de poussière, mes bottes étaient pas loin de rendre l’âme et mon gambison était bon pour finir au feu.

Un bon bain chaud plus tard, j’étais enfin prêt. La garde m’avait généreusement, comme à chaque fois, prêté une chambre ou je pourrais me reposer avant de partir. Le combat de Fort Céleste était enfin fini mais mes cicatrices étaient encore douloureuses, pas assez pour voyager à travers Thédas, je vous rassure, mais celle de ma cuisse me faisait un mal de chien de temps à autre. Si j’avais pris quelques coups, mon pauvre Mabari avait failli y laisser sa peau. Le pauvre bougre avait perdu un œil en me protégeant. Mais le robuste animal ne semblait pas s’en inquiéter. Je l’entendais d’ailleurs ronfler au pied de mon lit.

Je descendis dans la salle commune pour prendre un bon repas en compagnie de mes frères d’armes. Je portais un nouveau gambison acheté juste avant d’entrer dans la Forteresse, noir comme d’habitude mais velouté avec des boutons dorés, une fioriture dont je me passerais bien mais c’est Orlaïs, je dois l’accepter. Je ne portais ma claymore, pas dans l’enceinte de la Forteresse, mais je restais prudent en cas d’attaque et je portais donc une épée à la hanche. Alors que je cherchais quelqu’un du regard, je l’aperçus enfin. Ehgan, un des meilleurs agents que je connaisse et j’en ai connu un petit lot, avec mes 16 ans de vie dans la Garde. Je m’approchais calmement et en arrivant à sa hauteur, je me raclais la gorge avec délicatesse, pour ne pas le surprendre. Quand il eut remarqué ma présence, je dis avec douceur.
"Bonjour mon ami, as-tu un peu de temps à accorder à un vieux camarade ?"

Ehgan était quelqu’un que je respectais plus que la plupart de mes frères et sœurs d’armes. Il était dévoué à son travail et quand on est un Agent de l’Ordre, il faut aimer voyager plus que de raison. La première tâche d’un Agent était de trouver les potentielles nouvelles recrues, et soyons honnête avec le revers dans les Tréfonds et l’amère victoire de Fort Céleste, mes os s’en souviennent, on avait besoin de son aide plus que d’habitude. Je m’orgueillissais de pouvoir repérer assez facilement une recrue plus que valable, même sous des apparences plus que douteuses. Le travail dans une taverne sans doute. Quoi qu’il en soit, des canailles à recruter, il y en avait même en Orlaïs et parfois, Ehgan, aussi bon soit-il avait quelques doutes. C’est, à mon sens, tout à fait louable. Je n’ai jamais aimé que des tueurs, ou des voleurs tentent de rejoindre la Garde pour échapper à leur sort, bien que la Cérémonie de l’Union fasse un certain tri dans ce lot. Parfois, quand les doutes étaient trop lourds, Ehgan me demandait conseil. Bon, je vis en Férelden et Ehgan en Orlaïs. Les conseils épistolaires aussi lointain prennent pas mal de temps. Mais on avait réussi à conserver ce contact.

Si je venais assez souvent à la Forteresse, Ehgan, au contraire, ne venait que rarement et cela se comprenait. Cependant j’étais content de le voir. Vous n’imaginez pas le souci de manger seul dans une salle où il y avait plusieurs dizaines de personnes. Enfin pour moi, je suis un bon vivant en général, j’essaie d’être agréable. Ehgan était tout autre, puisqu’il était seul à sa table. En voyant qu’il ramassa ses feuilles de parchemin, je souris et m’assied sans plus de cérémonie face à lui. Il semblait surpris. Je m’étirais légèrement me massant le dos et je dis avec un énorme sourire.
"Si on tient compte du fait que je me remet tout juste de la Bataille de Fort-Céleste. Que je viens de me farcir pratiquement la moitié d’un continent depuis Fort Bastel. Je dirais que ça pourrais être pire."
Je vis passer le préposé à la soupe et je lui fis signe pour qu’il m’apporte à manger.
"On m’envoie en tant que messager, j’avais quelques missives pour le Commandeur-garde. Je n’allais pas repartir de suite. Je suis content de te voir mon ami d’ailleurs."
Je suis toujours ravi de voir des amis. Mais avoir des amis quand on est Garde des Ombres se résume souvent à être ami avec d’autres gardes et savoir qu’ils peuvent partie à chaque instant. J’ai perdu bon nombre d’amis au cours des années. Alors que je pensais à cette histoire d’amis, on m’apporta un bol de soupe et du pain. En général, je me satisfaisais de ces repas frugaux. Je perdais petit à petit mon appétit, tout comme mon sommeil. La voix qui ne nous quitte jamais se faisait insistante ses derniers temps, même si cela m’était déjà arrivé plusieurs fois par le passé. Ca s’arrêterait, avant que ça ne recommence. J’en avais l’habitude.

Je posai les yeux rapidement les yeux sur les papiers d’Ehgan avant de le regarder à nouveau. Il revenait de mission, ce qui veut dire qu’il avait prospecté en quête de nouveaux alliés dans la Guerre contre les engeances. Trop des nôtres étaient tombés au combat en trop peu de temps. L’archidémon avait pris tellement de force et avait détruit tant des nôtres, qu’il m’était arrivé d’espérer y laisser ma vie aussi. En général, quand je pensais comme ça, j’avais le droit à un coup de mâchoire de Lars, mon Mabari. Il avait beau ne pas mordre trop fort, pas assez pour m’estropier, il laissait une jolie marque de crocs. Mais bon, il m’avait sauvé la vie assez de fois pour que je pense que ce gros pataud de chien mérite le droit de me mordre ou de prendre sa retraite. Je soupirai et repris doucement.
"Tu as trouvé des recrues satisfaisantes ? Ou du moins des pas trop incompétents ?"
Oui, la plupart des nouvelles recrues étaient aussi compétentes que moi pour jouer de la flûte. Quoique non, mauvais exemple. Je devrais peut-être jouer de la flûte pour l’Archidémon, il retournerait sous terre et n’en sortirait plus avant plusieurs millénaires tellement je joue mal. Enfin bref, la plupart savait à peine comment on tenait une épée, ce qui n’était déjà mieux que rien.