The Warden and the Bard | ft Astra

Isobel rentra dans sa chambre louée dans une taverne de Val Royeaux. S'étirant, fronçant les sourcils, elle déposa une sacoche pleine de document dans un coin et s'assit sur un coin du lit grinçant, trahissant sa lassitude. Elle n'était arrivée en ville que la veille au soir, et elle avait été occupée toute la journée : après le long voyage, elle avait réellement envie de se reposer... Mais il était encore tôt, elle n'avait pas mangé, et elle se sentait incapable de dormir.

Elle aperçu son reflet troublé dans le miroir et poussa un soupir. Pour une fois, elle ne portait pas son armure - une simple tunique aux couleurs de la Garde suffisait, ici. Elle avait bien gardé son épée sur elle, mais malgré ça, son manque de protection lui donnait l'impression d'être étrangement exposée : elle n'aimait pas beaucoup ça.

C'était toujours un peu bizarre, de revenir à Vol Royeaux. Elle ne pouvait pas dire que la ville lui manquait - cela faisait bien longtemps qu'elle ne s'y considérait plus chez elle - mais elle ne pouvait pas non plus totalement oublier les dix-huit premières années de sa vie vécues là. Se promener dans ces rues, particulièrement les ruelles du bascloitre de son enfance, avait quelque chose d'étrangement nostalgique. Elle ne regrettait pas cette époque... Mais c'était son passé, tout de même, une période à laquelle elle ne reviendrait jamais plus, quoi qu'il  se passe dans sa vie. Quelle histoire aurait-elle vécu, entre ces murs, si elle n'avait jamais rejoint la Garde ? Le Créateur seul le savait... Mais en revenant sur place, elle ne pouvait s’empêcher de s'interroger.

Cette mélancolie était encore plus forte à présent que l'Enclin s'était imposé à Thédas. Isobel le savait : elle risquait sa vie. D'un jour à l'autre, elle pouvait mourir - que ce soit aux mains d'une simple engeance ou entre les griffes de l'Archidémon lui-même, l'ultime sacrifice que l'on attendait des Gardes des Ombres n'était jamais loin. Serait-ce la dernière fois qu'elle traverserait ces rues ? Qu'elle irait saluer ces vieilles connaissances du Bascloître ? Elle avait beau affirmer qu'elle était prête à faire son devoir, jusqu'à la fin, cet endroit la rendait plus vulnérable qu'elle l'aurait voulu.

Elle ne pouvait pas continuer à ressasser ces pensées morbides, pourtant. Elle n'était pas là pour ça. Si elle avait quitté la forteresse de Skyhold, donc elle gérait la reconstruction, pour se rendre dans la capitale orlésienne, c'était avant tout pour le bien de la Garde... Elle espérait obtenir l'aide de certaines familles nobles locales, leur soutient devenant de plus en plus nécessaire plus l'Enclin durait. Et pour ça, elle devait rester sérieuse. Concentrée. Digne de son poste.

Bien sûr, ça aurait aussi été plus simple si sa tâche avait été plus plaisante. Elle avait du mal avec les nobles de Val Royeaux, se sentant suprêmement mal à l'aise en leur présence. Même si l'importance de la tâche de la Garde et le respect qu'elle imposait en ce moment lui donnait un avantage, elle avait l'impression de ne pas faire le meilleur des travails. Elle était plus à l'aise au combat, ou parmi ses confrères et consœurs...

Elle secoua la tête et descendit dans la taverne un rez-de-chaussée du bâtiment. Manger, boire, se changer les idées - ça ne lui ferait pas de tort. Elle s'installa pesamment parmi le brouhaha des clients et commanda une bière, pour commencer. Une soirée en solo, avant de reprendre son travail demain ? Ca lui convenait. Elle avait déjà hâte de repartir.

Isobel ne fit pas immédiatement attention à la nouvelle arrivante dans la taverne déjà bruyante, un peu perdue dans ses pensées et les yeux dans le vague. Elle réfléchissait vaguement à ce qui serait au menu du jour. Serait-il trop extravagant de commander quelque chose d'un peu spécial ? Il fallait bien avouer qu'elle se lassait de la popote habituelle de la Garde... En même temps, ceci n'était pas sensé être un voyage de plaisance... Elle en était là dans ce débat internet quand elle remarqua enfin la jeune femme qui avançait vers elle. Ces cheveux blonds, ces vêtements colorés, ce sourire - ils ne pouvaient appartenir qu'à une personne.

Elle se leva. "Astra !"

Astra ! C'était une amie - oui, ça devait être le bon terme - une amie rencontrée plusieurs années plus tôt dans une forêt perdue loin de la Capitale. C'était une demi-elfe, une Barde, et elle était née à Val Royeaux. Cela devait-être leur seul point commun. Elles étaient très différentes, toutes les deux, surtout au niveau de leur attitude. Isobel était, eh bien, sérieuse, et Astra... Astra était fatigante, exaspérante et impossible à suivre ; elle parlait trop, tout le temps, et elle aurait rendu fou n'importe qui. Au début, elle l'avait harcelée de questions diverses sur sa mère - une elfe qu'Isobel avait vaguement, vaguement connue dans sa petite enfance au Bascloître. Des questions auxquelles la garde n'avait pas vraiment de réponse - ce qui ne l'avait pas découragée facilement, d'ailleurs... En un sens, Isobel pouvait comprendre et apprécier ce besoin d'en savoir plus, de connaître la vérité. Ell aurait tout simplement préféré que sa recherche ne comprenne pas autant de questions.

Elle ne savait même pas vraiment comment elles en étaient venues à continuer à se fréquenter, après toutes ces années... Il fallait regarder les choses en face: la Barde devait la trouver suprêmement ennuyeuse. Et pourtant elle prenait toujours la peine de venir la voir... D'un autre côté, Isobel la laissait toujours faire, quand bien même elle aurait affirmé à n'importe qui qu'elle était une vraie nuisance. Peut-être était-ce ça, l'amitié.

Elle baissa les yeux sur la jeune femme, qui s'était déjà attablée comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Elle laissa échapper un soupir.

-"Créateur, Astra ! Tu es obligée de me prendre de court comme ça à chaque fois ?"

Elle se rassit, observant son amie commander une bière entre amusement et exaspération. Elle n'était pas mécontente de la voir, en soi - juste surprise... Mais en même temps, avec Astra, tout était toujours une surprise. "Qu'est-ce que tu fais ici ?" Clairement, sa présence dans cette taverne n'était pas un hasard, elle avait du la chercher spécifiquement pour venir la voir. Comment avait-elle su qu'elle était là, Isobel ne pouvait que le deviner. Une histoire de barde, sans doute. Ce genre de chose lui passait un peu par dessus la tête. Les seules rumeurs auxquelles la garde accordait la moindre attention étaient celles qui décrivaient les endroits où les engeances se trouvaient en grande concentration - et encore, elle préférait le constater par elle-même que de se fie à des ouïs-dire. "Je ne savais même pas que tu étais en ville. Je ne suis pas là pour profiter de vacances, tu sais." Elle supposait que la Barde n'était pas réellement choquée par son manque de visite, mais dans le doute...

Astra n'avait pas changé, elle était toujours aussi irritante. Isobel ne voyait pas du tout en quoi la prévenir de son arrivée aurait causé le moindre problème, mais avec une fille comme ça, on ne pouvait pas raisonner logiquement. L'elfe l'avait appris... avec le temps.

Elle roula des yeux. "Je ne souhaite à aucune grand-mère d'avoir ma vie. Ni de t'avoir comme amie, en fait." Elle se tut et regarda la barde lui voler sa choppe le plus naturellement du monde. Sérieusement : avec des amis pareils, on avait pas besoin d'engeances. "Tu sais, si tu parlais moins, tu aurais moins soif." Elle soupira. Oh, elle ne lui en voulait pas réellement - elle s'était habituée à ce genre de choses venant d'Astra. En un sens, Isobel l'admirait presque. Comment faisait-elle pour être aussi sans gène, si facilement ? La garde en serait morte sur place d'embarras. "Tu paieras la prochaine."

Astra avait entendu des rumeurs sur sa présence, bien sûr. C'était comme ça qu'elle l'avait trouvée. Dans ce genre de ville, à quoi s'était-elle attendue ? Isobel n'était pas du genre à apprécier les commérages et les potins, et encore moins d'en être au centre. La brève description qu'Astra lui fit d'elle-même semblait plutôt adaptée, pourtant. Bougonne, les traits fermés, un balai dans le postérieur ? Oui, c'était ce qui se disait généralement d'elle, parmi les membres de la Garde mais aussi ailleurs, manifestement. Même elle devait bien admettre que ce n'était pas vraiment faux.

Des vacances, la Garde n'en avait jamais réellement prises : le mieux qu'elle ai fait étant de passer quelques semaines chez sa mère durant les périodes de creux, avant l'Enclin. Pas le plus passionnant, donc. Ceci dit, encore une fois, elle n'était pas devenue Garde pour se prélasser. "Et bien, figure toi que certaines personnes ont un vrai travail." Elle aussi pouvait lancer ses piques. Le métier de Barde, et tout ce qui y touchait, lui avait toujours semblé absurde : elle était bien trop terre à terre pour apprécier ce genre de choses. D'une voix un peu lasse, elle récita : "Je suis ici pour demander assistance aux nobles de Val Royeaux au nom de la Garde. Nous manquons de matériel au Fort Céleste. Quant à savoir pourquoi on m'a envoyée moi et pas quelqu'un d'autre..." Isobel n'était pas la meilleure pour les relations diplomatiques. Non qu'elle manque de politesse, en un sens elle en avait presque trop, mais simplement qu'elle était aussi à l'aise en société qu'un chien de berger anxieux abandonné dans un magasin de perruques. Ce n'est pas qu'elle était de mauvaise volonté : c'est plus qu'elle était totalement inadaptée à la situation.

Elle avait participé, très activement, même, à la reprise de Skyhold, et devait à présent diriger sa remise en ordre : peut-être était-ce là la raison. Les nobles voulaient parler à quelqu'un d'impliqué dans les événements, pas un simple représentant. Ils voulaient pouvoir, berk, discuter. Certains voulaient des détails héroïques sur la bataille, dignes d'un livre d'aventure... D'autres cherchaient des excuses et des explications par rapport à la nouvelle fuite de l'Archidémon. Isobel ne pouvait leur offrir aucune de ces choses. Elle n'avait pas de talent pour raconter des histoires, et bien que l'échec des derniers combats lui pesait sur les épaules, elle refusait de mettre les actions de la Garde en cause. En bref : c'était la galère.

(Elle n'aimait pas beaucoup son nouveau Garde Commandeur. Ce n'était pas ça qui allait lui faire changer d'avis.)

Un serveur finit par arriver avec une bière pour Astra, et Isobel en profita pour récupérer la sienne. Le niveau y avait déjà drastiquement baissé. Elle adressa un regard significatif à la blonde. C'était malin. Elle la vida néanmoins, elle n'était pas du genre à gaspiller, et l'homme emporta son verre vide avec, espérons, l'intention de lui un apporter un autre.

-"Tu ne pourrais pas m'aider avec ça, par hasard ? Tu dois bien connaître une duchesse ou l'autre avec trop d'argent à dépenser..." Astra était mieux placée pour ça qu'elle, en tout cas. Isobel avait beau être née et avoir grandit à Val Royeaux, elle ne connaissait rien à ce milieu-là.