Codex Unlocked

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“... a mind needs books as a sword needs a whetstone, if it is to keep its edge.” ▲ GRRM

Étrange de songer qu'il faille attendre d'être esclave pour accéder à ce dont on avait toujours rêvé. Façon de parler, car Waylian n'aurait jamais dans les mains les objets qu'il avait caressé en rêve, pas plus qu'il ne pourrait visiter les lieux qu'il avait vus ou parlé aux gens auxquels il avait parlé. Mais d'une certaine manière, un bon vieux livre est une façon comme une autre de relier le songe à la réalité. Et des vieux livres, il y en avait un bon paquet ici.

Il était aussi courageux que stupide pour s'aventurer en pleine nuit dans la bibliothèque du Divin Noir, dans le but de mettre la main sur ces ouvrages qu'il avait entrevu la journée. Il n'avait pas encore l'autorisation expresse de pénétrer dans le saint des saints qu'était la bibliothèque, mais c'était là que s'arrêtait son obéissance aveugle.

En catimini, faisant le moins de bruit possible, Waylian parcouru les couloirs en rasant les murs, le pas léger et la respiration silencieuse. Il n'était pas mauvais pour se faufiler, la faute à son enfance dans un bascloître où il n'y avait parfois pas beaucoup de solutions pour manger. Si ce problème était désormais réglé, il y en avait un autre : cette tentation feuilletée et habillée de cuir, déclinée en de multiples volumes... Comment pouvait-il résister ?

Usant d'une chance presque surnaturelle, il entra dans la bibliothèque et se fit tout petit pour se mettre dans un coin, vérifiant que le lieu était bien désert. Ce serait dommage de tomber sur Soren... ou pire, le Divin lui-même. Mais pour le moment, il n'y avait personne. Ouf. Waylian expira, soulagé, et commença à parcourir les rayons. La pauvre lumière nocturne, filtrée par les vitres, ne suffit pas, et le jeune elfe dut se résoudre à allumer une chandelle. Ce ne devrait pas être compliqué de trouver de quoi s'éclairer dans une bibliothèque, mais elle était grande et il ne connaissait pas les lieux : cela lui prit bien plus de temps qu'il ne l'aurait imaginé. Mais quand il put enfin lire les titres des ouvrages, il sut que ça valait le coup.

Des traités de magie à ne plus savoir qu'en faire, presque à perte de vue... Bon peut-être pas, mais dans l'esprit de Waylian, c'était tout comme. Un trésor, une véritable mine de névarrite, de quoi lui mettre des étoiles plein les yeux. Il y avait tant de choses intéressantes qu'il finit par prendre un ouvrage au hasard pour aller le bouquiner dans un coin de la bibliothèque. Il n'avait tout de même pas l'outrecuidance de poser ses fesses sur des sièges qui ne lui étaient pas destinés, et puis de toute façon, il préférait lire assis en lotus sur le sol, alors c'est ce qu'il fit.

Et il bouquina. Longtemps. Trop longtemps. La nuit touchait à sa fin, et il n'avait pas vu le jour se lever : il l'ignorait, mais il ne tarderait pas à être bloqué dans cet endroit où il était impossible de se cacher... Et cela ne faisait pas de doutes que quelqu'un finirait bien par le surprendre en pleine lecture. Mais allez, juste un chapitre de plus...

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I think you should think again about what you're doing

La nuit a été courte. Avec un soupir de satisfaction, je me glisse dans l'eau chaude de mes thermes personnelles. Oh, rien de bien extravagant, mais tout de même suffisant pour qu'on puisse y faire se baigner une bonne trentaine de personnes, sans qu'elles n'empiètent sur l'espace personnel de chacun. Si je daignais partager, ce qui n'est pas le cas. Soren y a accès, si l'envie lui prend. Mais c'est bien le seul. Enfin, je ne compte évidemment pas les invités, mais ces derniers sont choses rares, en ma demeure. Je me méfie de tout, et tout le monde. Comme toujours.
Créateur, ce que je me sens bien quand je m'immerge. Mon esprit cesse de s'activer pour quelques délicieuses dizaines de minutes, et je suis enfin apaisé. Oh, je reste aux aguets, sait-on jamais. Cependant, mes interrogations et mes doutes sont écartés, et rien que cela, c'est déjà un sacré poids en moins sur mes épaules.

Malheureusement, même les meilleures choses ont une fin, et je ne peux pas me permettre de tremper là indéfiniment. Je sors donc, et vais m'habiller soigneusement. Comme de coutume. Une fois apprêté, je décide de m'octroyer une matinée de lecture tranquille. J'aurais bien le temps de retrouver la Flèche d'Argent dans l'après-midi, rien ne presse. Alors que je lève la main pour la poser sur la poignée de la porte, je me rends compte que celle-ci est entre-ouverte. Tiens donc... Pas besoin de réfléchir bien longtemps pour deviner de qui il s'agit. Un seul de mes esclaves est suffisamment téméraire -ou inconscient- pour oser se faufiler ainsi dans ma bibliothèque. Telle une souris curieuse. Ah, il veut jouer au rongeur ? Eh bien, soit. Jouons. Ni une ni deux, je quitte mon apparence d'être humain pour adopter celle d'un félin noir, et me glisse dans la vaste salle débordante d'ouvrages.
De quelques bonds élégants, je me retrouve à trottiner sur le sommet des étagères, fouillant du regard les alentours. Moins de cinq minutes, voilà ce qu'il me faut pour trouver Waylian. Assis en tailleur sur le sol, le jeune Elfe a le nez plongé dans un livre. Evidemment. Je lève les yeux au ciel, le plumeau duveteux me servant de queue s'agitant dans mon dos. Réalise-t-il seulement la chance qu'il a ? Sa position si particulière entre l'Archonte et moi-même le mettait à l'abri de bien des désagréments. Combien d'autres de ses semblables asservis tueraient pour se trouver à sa place ? Beaucoup. Tous ou presque, à n'en pas douter. Ne pas le maltraiter est nécessaire, l'une des nécessités qui, je l'espère, l'empêcheront d'un jour se retourner contre moi. Aquila aussi bien que moi devions nous assurer de sa loyauté, et le brimer aurait donc été contre-productif. La plupart des autres maîtres de Tévinter auraient eu un tout autre avis sur la question, mais peu importe. Je sais ce que je fais.

Néanmoins, cela ne m'interdit pas de m'amuser un peu à ses dépends. Je saute donc de mon perchoir, me réceptionnant souplement sur le sol couvert d'un luxueux tapis, pour m'approcher du rat de bibliothèque avec un miaulement. A présent que j'ai son attention, je viens encore plus près. Mes pattes avant se posent sur le volume qui le captive tant. Je le fixe intensément, sans frémir ne serait-ce qu'une moustache. Puis, avant même qu'il ait pu me toucher, je lui donne un coup de patte sur la joue -sans sortir les griffes- lui bondit sur le crâne où je mets la pagaille dans sa crinière blonde, et m'esquive vivement un peu plus loin. Avant de disparaître entre deux imposantes étagères, je m'arrête, me tourne pour miauler à son encontre, et détale.

Qu'il me suive ou non, j'ai déjà une petite idée pour poursuivre le jeu.

.SHADOW

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Le temps filait sans que Waylian ne s'en rende compte quand il avait le nez dans un bouquin, a fortiori un traité de magie commençant à être un peu ancien. Oh, si Way n'avait pu prendre absolument toutes les précautions pour ne pas l'abîmer, il avait été doux et tendre avec le papier, et tout dans ses gestes trahissait le plus grand respect pour l'objet qu'il avait entre les mains. Ses longs doigts parcourait les pages, les frôlant sans tout à fait toucher l'encre, de peur qu'elle ne disparaisse à son contact.

Ses yeux piquaient depuis un bon moment déjà, mais ce qu'il lisait le tenait trop en haleine pour qu'il se résolve à fermer le volume. Seule la lumière du jour l'alarma, et trop tard : il y avait bien peu de chance pour qu'il rejoigne ses quartiers sans être vu désormais, et il allait sûrement être puni alors... Autant rester et continuer à lire, non ? C'était un raisonnement qui se tenait, d'une certaine manière.

Il attendrait sagement de se faire engueuler, en espérant ne pas y perdre un bout de sa dignité ou de son intégrité physique, le tout en ingurgitant le plus de savoir qu'il le pouvait. Il ne s'attendait simplement pas à se faire interrompre par... un chat.

Un magnifique chat noir, qui le toisait comme n'importe quel félin l'aurait fait. Waylian leva les yeux vers l'animal, et lui sourit presque instantanément. Il était comme ça, l'elfe, un peu clicheton, un peu fleur bleue. Et il adorait les animaux. Les chats figuraient d'ailleurs en bonne place, avec les chevaux et les hahls. Il l'appela en... faisant ce bruit à la con qu'on fait pour appeler un chat, le tout avec une expression véritablement enjouée.

Évidemment, un chat, c'est un chat : ce dernier ne dérogeait pas à la règle, et vint le gratifier de son plus grand mépris en le baffant d'une patte de velours (oh, elle était si douce), et le décoiffa en se foutant dans sa tignasse blonde.

— Hé mais... Petit...

Le chat disparut ensuite dans les rayonnages sans l'attendre, et alors qu'il remettait ses cheveux plus ou moins en ordre, Waylian sourit. Il n'allait pas passer devant une occasion de jouer un peu ! Toujours aussi respectueux du livre qu'il tenait entre ses mains, Waylian le referma en y glissant le ruban marque-page, et le posa délicatement sur le bureau avant de s'intéresser de plus près au chat.

Il l'appela encore une fois, se demandant où il était passé. L'elfe avait bien envie de câlins et de ronrons, mais quelque chose lui disait qu'après la baffe et la séance de coiffure, il n'y aurait pas droit. Pas de la part de ce fauve, en tout cas.

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Pour un Elfe, je me vois bien obligé d'avouer que celui-ci est amusant. Intéressant même, oserais-je dire. Cette façon qu'il a de se plonger à corps perdu dans le premier ouvrage qui lui passe sous le nez me remémore mes propres lectures assidues, lorsque j'étais plus jeune. Pas que je sois un vieillard croulant sous le poids des années à présent, mais on ne peut pas non plus dire que je suis encore un jeune homme. Le Temps accomplit son oeuvre, comme toujours, sans se soucier des griefs des créatures vivantes. Et cela me convient parfaitement.

Malgré tout, un Elfe reste un Elfe, et celui-ci ne se rend évidemment pas compte que le chat qu'il s'apprêtait sans doute à insulter n'est autre que son maître. Je ne lui en tiens pas ombrage, et préfère continuer à m'en amuser. De la course légère et bondissante caractéristique des félins de salon, je me faufile entre les innombrables rayons, ayant tôt fait de disparaître aux yeux de Waylian. Lorsque je suis sûr qu'il ne peut pas me voir, je grimpe à nouveau sur une étagère, et m'y tapit, aplatissant mon corps contre le bois sombre. Le pelage noir a cela d'utile, le camouflage. Pas dans toutes les situations, mais dans la plupart. Patiemment, j'attends de voir arriver la chevelure blonde paraître. Un mélange de feulement et de ronronnement m'échappe, imperceptible ou presque. D'une patte, je pousse un tas de vieux parchemins, qui lui tombe sur la tête comme une pluie de papiers.
Mon forfait accompli, je bondis une nouvelle fois au sol, et profite que sa vue soit temporairement obstruée par les feuillets pour reprendre mon apparence originelle. Un léger sourire satisfait étirant le coin de mes lèvres, je le toise sans ciller, les mains liées dans mon dos.

- Eh bien, on court après les chats au lieu de travailler ? De plus, je suppose que tu as passé la nuit à lire, n'est-ce pas ? Je dois cependant te concéder que j'apprécie la manière dont tu traites mes ouvrages. ajouté-je d'un ton un peu moins railleur, plus doux... Qui me passe bien vite. Si jamais l'un d'entre eux est abîmé, je m'assurerai personnellement que tu sois puni à hauteur des dégâts occasionnés.

.SHADOW

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Plus les chats étaient espiègles avec lui, et plus il les affectionnait. Il était comme ça, un peu masochiste quand on abordait le domaine des animaux de compagnie. Curieux et un peu vexé aussi, Waylian pourchassa le chat dans la bibliothèque, le perdant de vue et le revoyant juste assez tôt pour savoir qu'il était responsable de l'avalanche de parchemins sur sa personne.

Il étouffa un cri, ne pouvant totalement cacher sa surprise mais ne voulant pas non plus alarmer d'éventuels gardes. Il se protégea le visage des mains, que pouvaient bien lui faire de vieux rouleaux ? Le papier roula sur lui et s'étala sur le sol : oh, il était bon pour tout ranger...

Un soupir lui échappa alors qu'il s'extrayait de la montagne d'écrits : il allait pester, quand il se rendit compte qu'il n'était plus seul. Le Divin Noir était là, juste devant lui, son imposante présence ayant aspiré tout l'air qui se trouvaient encore dans les poumons de Waylian. Il écarquilla les yeux, rougit et baissa la tête précipitamment, le tout en posant un genou respectueux sur le sol.

— Divin ! Je... Merci, je vais me mettre au travail immédiatement...

Enfin, il ne pouvait pas non plus abandonner le bazar qu'avait mis le chat en lui renversant les parchemins sur la gueule... Waylian tourna le regard vers le fatras sur le sol, avant de s'adresser de nouveau au Divin Noir.

— Malgré le respect que je vous dois, je pense qu'il vous serait impossible de trouver châtiment équivalent au cas où ma bêtise abîmerait vos biens, tant ils sont inestimables. Je vous demande simplement de me laisser remettre de l'ordre parmi ces parchemins... S'il-vous-plaît.

Toujours le regard baissé en signe d'obéissance, Waylian attendit les ordres du Divin avant de bouger ne serait-ce que le petit doigt. Il était peut-être inconscient, mais il était prêt à affronter les conséquences de ses actes.

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Grande est la satisfaction de voir que j'ai une fois de plus réussi à mener l'un de mes esclaves par le bout du nez. C'est un jeu puéril, certes, mais dont je n'arrive pas à me passer. Comme si quelque part, l'enfant qui n'avait jamais vraiment pu s'exprimer profitait de la liberté conférée par l'âge adulte pour rattraper le temps perdu. Ou bien est-ce simplement mon tempérament de félin ? Dans un cas comme dans l'autre, l'explication me paraît acceptable.
Le plaisir que je retire à semer la zizanie au sein de ma propre maison -en l'occurrence bibliothèque- est renforcé par le fait que Waylian ne paraît pas avoir fait le lien entre le chat qu'il poursuivait pourtant deux minutes à peine auparavant, et moi. Est-il plus lent à la comprenette que ce que je pensais ? Peut-être. Cependant, je n'en attends pas grand chose, tant qu'il remplit correctement les attributions qui sont les siennes.

Lent à la comprenette, éventuellement, mais pas dénué de sens commun, ni de respect. Bien qu'il n'ait guère eu le temps de s'adapter à sa nouvelle condition d'esclave, le jeune Elfe fait déjà preuve d'une certaine docilité, ce qui n'est évidemment pas pour me déplaire. Je l'avoue, cette facilité à accepter son sort si rapidement m'a quelque peu poussé à soupçonner quelque chose... Mais après tout, qu'est-ce que je pouvais bien risquer. Je reste malgré tout alerte, et je ne suis pas le seul à me tenir sur mes gardes. Qui vivra, verra.

- Sais-tu seulement ce que tu es censé faire, aujourd'hui ? Bien sûr que non, tu n'as pas été voir l'intendant de la demeure, puisque tu étais occupé à lire ici. D'un vague signe de la main, je lui indique qu'il peut commencer à mettre de l'ordre dans les documents que j'ai moi-même chamboulés, cinq minutes plus tôt. Le sourire que j'affiche s'étire légèrement, tandis que je poursuis. Cesse donc de me caresser dans le sens du poil en permanence, cela va finir par devenir gênant. Ou suspect.

Tranquillement, je me dirige vers l'un des nombreux rayons, parcours les tranches des ouvrages du bout des doigts, effleurant le cuir à leur passage, puis finit par me saisir d'un volume en particulier que j'ouvre en douceur avant d'aller prendre place dans un fauteuil se situant non loin. Si j'en commence déjà la lecture, en diagonale, feuilletant pour trouver le chapitre qui m'intéresse, je n'en garde pas moins un oeil sur mon esclave. Ah, et à ce propos :

- Pour aujourd'hui, tu te contenteras de ranger ce bazar. Ainsi que de te reposer. Avec la nuit blanche que tu viens de passer, tu ne serais bon qu'à provoquer des catastrophes. Après un temps d'hésitation, je finis par ajouter avec un infime soupir. Tu sais, tu aurais pu me demander, si tu voulais accéder à la bibliothèque. J'aurais pu accepter.

Ou pas. Tout aurait dépendu du contexte, et de sa façon d'exposer sa requête.

.SHADOW

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Le Divin Noir a beau être magnanime, il ne manque pas de faire remarquer à Waylian qu'il a manqué à ses obligations en n'allant pas se renseigner sur ses tâches quotidiennes. L'elfe avait quand même l'impression étrange que le Divin ne lui en voulait pas tant que ça... Une intonation, une façon de le regarder, peut-être ? Car Waylian avait relevé la tête et le regardait désormais dans les yeux, en gardant tout de même une posture humble. Il ne s'agissait pas de le provoquer non plus. Mais ne venait-il pas de lui dire ne pas le brosser dans le sens du poil ?

— Comme vous voudrez. Enfin, si je fais ce que vous me dites en arrêtant de vous 'caresser dans le sens du poil', je continue à vous caresser dans le sens du poil. C'est un paradoxe.

Ce n'était qu'une boutade que Waylian espérait indolore, ponctuée d'un petit sourire amusé. Sans attendre, il commença à s'affairer autour des parchemins éparpillés sur le sol, les rangeant précautionneusement. Il le fit sous le regard de Faustus qui, derrière lui, prenait place pour parcourir l'un des nombreux ouvrages de sa bibliothèque. Après tout, il n'était pas venu là pour faire la chasse à l'elfe, mais bien parce qu'il avait besoin de consulter un livre.

Waylian ne s'attendait pas à ce qu'il reprenne la parole, surtout pour lui dire ça. Aller se reposer, et... Il venait vraiment de sous-entendre qu'il aurait pu avoir accès à sa bibliothèque simplement en demandant ? L'elfe se tourna vers le Divin avec une moue penaude et un peu gênée :

— Je suppose que maintenant que je suis entré sans votre autorisation, je ne risque plus de l'avoir... Mais je vais quand même demander. Il y a quantités d'ouvrages qu'on n'imagine même pas dans le Sud, des sujets qui sont traités avec objectivité, de manière plus approfondie, sans oublier les livres anciens, et ceux sur l'histoire tévintide, bien mal connue en Orlais...

Un soupir s'échappa de ses lèvres alors qu'il rangeait le parchemin qu'il avait dans les mains.

— Je ne sais pas faire grand-chose, mais je sais que s'il y a un endroit où je pourrais apprendre des choses, c'est ici. J'aimerais comprendre. Orlais, Tévinter, Thedas. La magie aussi. Vous, pourquoi pas ?

Il avait hésité un moment avant d'ajouter cette dernière phrase, ne sachant pas comment elle serait accueillie par le Divin. Il pouvait très bien prendre cette remarque quelque peu cavalière comme un insulte, même si Waylian avait voulu dire tout le contraire. Il poussa cependant un autre soupir, et continua à ranger les parchemins. La fatigue commençait à se faire sentir, et autour de lui les couleurs s'aiguiser, étant à la fois plus nettes et plus floues. Il avait été inconscient de venir lire ici toute la nuit...

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Il est vrai que mon comportement vis à vis de cet Elfe est surprenant. Il est l'est pour moi-même, à vrai dire. D'ordinaire, je les méprise au dernier degrés, les relègue aux tâches les plus ingrates, et dans le meilleur des cas, je ne leur adresse pas plus d'attention que celle que je porte à mes armoires ou commodes. Néanmoins, je me vois forcé d'admettre qu'il y a en ce spécimen-ci quelque chose qui m'intrigue. Peut-être sa soif de connaissance, qui paraît intarissable, et qui le pousse à agir inconsidérément. Après tout, dans pratiquement n'importe quelle autre demeure, il aurait reçu la correction de sa vie pour s'être introduit de la sorte dans une pièce interdite à l'insu de son maître. Par chance pour lui, je suis réputé pour être magnanime. Pas souple ou trop tendre, mais juste, le plus souvent. Vivre et laisser vivre, cela me semble un bon compromis. Avec quelques petits arrangements ceci dit, mais hormis ces menus détails...

La légère pic de Waylian me tire un infime sourire. Voilà qu'il s'enhardit. Laissons le donc faire. Je suis curieux de voir jusqu'où il osera aller, si je laisse couler. C'est un moyen comme un autre de tester ses limites, et de voir où il se situe caractériellement parlant. Je dois lui concéder une chose, c'est qu'il n'a pas tort, ceci dit. Ce serait même un terrain de réflexion très intéressant, quoiqu'un peu glissant. Je le garde dans un recoin de mon esprit, pour plus tard.

C'est en silence que je l'écoute parler, ne le quittant pas des yeux un seul instant, pas même le temps d'un battement de cils. Ah, je veux bien croire que les bibliothèques du sud soient cruellement pauvres lorsqu'il s'agit de certains domaines d'études. Leurs moeurs trop effarouchées et leurs réflexions trop étriquées ne sauraient tolérer des aspects de la magie que nous, tévintides, côtoyions au jour le jour. Pas tous, il est vrai. Mais beaucoup.
A sa dernière question, j'arque un sourcil tandis que j'abaisse le grimoire entre mes mains pour le poser sur mes jambes croisées. Mes doigts pianotent doucement sur le papier, mes pensées s'activant pour démêler les mots, les décortiquer attentivement. A quoi bon tenter de me comprendre ? Je ne vois pas en quoi cela pourrait lui être utile.

- Etant donné que tu sembles si ardemment t'instruire, au point que risquer ton intégrité physique n'est manifestement pas un souci, tu pourras accéder à la bibliothèque. En revanche, si je retrouve des volumes rangés au mauvais endroit, des parchemins endommagés, ou des traités de magie roussis, le Créateur m'en soit témoin, tu regretteras d'être venu au monde.

Un tantinet matérialiste en ce qui concerne certaines choses, j'attache une importance toute particulière aux ouvrages de façon générale, d'où qu'ils viennent et peu importe ce qu'ils traitent. Toute connaissance est bonne à prendre, même si elle s'avère erronée. Malgré tout, ses paroles me taraudent toujours. Tant pis, je veux savoir.

- Pourquoi voudrais-tu me comprendre ? Quel intérêt ? Cela ne changerait rien à ta condition, pas plus que ça ne t'aiderait à accomplir ton travail.

.SHADOW

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Waylian ne peut imaginer la façon dont le Divin Noir traite les autres elfes, et il n'est pas sûr de vouloir le savoir. Tout ce qui lui importe, assez égoïstement, est de savoir comment lui sera traité. Pour le moment, il n'a vraiment pas à se plaindre.

Le Divin ne semble pas dénué d'humour, et l'elfe se risque à une petite plaisanterie. Cette dernière passe bien, mais il se demande jusqu'où ses traits d'esprits seraient les bienvenus. La limite est bien floue entre l'irrévérence plaisante et l'insolence insultante : Waylian n'a pas dans l'idée de les confondre. Il y avait trop en jeu.

Apparemment, il avait gagné des points. Peut-être que sa bibliophilie jouait en sa faveur, ou le respect un peu trop lisse qu'il avait manifesté plus tôt au Divin, mais ce dernier l'écouta sans mot dire, très attentivement. Waylian n'avait pas l'habitude qu'on l'observe en buvant ses paroles de cette manière, et il se sentit, l'espace d'un instant, assez mal à l'aise. Et puis, le Divin reprit la parole.

L'elfe avait bien du mal à y croire. Il avait l'autorisation officielle de venir étudier dans la bibliothèque privée du Divin. S'il ne sauta pas de joie, il ne put réprimer un grand sourire, qu'il essaya de cacher aussitôt qu'il en eut conscience. Il ignorait pourquoi, mais il parait que c'est poli de cacher sa joie.

— Je... Merci. Je n'ai jamais vu une collection aussi précieuse, je ne me pardonnerais pas de l'abîmer.

Il se répétait peut-être, mais c'était sincère. Son amour des écrits en tous genres le poussait les considérer comme valant plus que sa propre vie, ce qui était objectivement le cas. Qu'était Waylian, face à une connaissance plusieurs fois séculaire ?

Cela dit, alors qu'il se remettait à son travail, le Divin n'en avait pas tout à fait fini avec lui. Il était intrigué par ce que Waylian avait laissé entendre, peut-être même un peu méfiant. Ou n'était-ce que de la surprise pure ?

— Quel intérêt ?

C'était une drôle de question, et l'elfe avait plusieurs pistes pour y répondre. Il écarta mentalement la première direct, beaucoup trop mielleuse à son goût même si elle était authentique. Le Divin n'y croirait pas, et ça ne ferait qu'empirer les choses. Il opta pour une approche plus pragmatique, au risque de blesser l'ego du Divin. Il espérait que ce dernier n'était pas surdimensionné.

— Vous êtes le Divin Noir, une pièce maîtresse du monde actuel : comment comprendrais-je le monde si je ne vous comprends pas ?

Ce n'était pas la vraie raison, mais ce serait celle que le Divin croirait le plus facilement. Waylian ne voulait pas se risquer à avouer qu'il le trouvait réellement intriguant, qu'il y avait quelque chose dans son regard qui le poussait à en savoir davantage, à toujours creuser plus loin comme on tourne les pages d'un livre qu'on dévore. Waylian voulait lire entre ses silences, déchiffrer ses regards, traduire ses attitudes. Il l'avait déjà observé de loin, mais maintenant qu'il lui parlait, il avait une présence qui était si magnétique qu'il pouvait vite se transformer en obsession, un appel du vide métaphorique.

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La soudaine générosité dont je fais preuve envers Waylian aurait surpris plus d'une personne. Mes rares proches, pour commencer, qui se seraient sûrement demandé si je n'avais pas reçu un coup sur la tête, ou si je n'étais pas victime d'un enchantement lié à la magie du sang. Non, rien de tout cela. Juste mes réflexions qui suivent leur propre cours, et ma bonne humeur du jour qui s'exprime.

Je pouffe doucement tout en tournant une page de mon ouvrage lorsqu'un immense sourire enchanté prend place sur le visage de l'Elfe, qu'il tente de dissimuler rapidement en se cachant derrière d'autres politesses. Que ce soient les traits fins de son faciès ou dans sa façon de s'exprimer, je dénote quelque chose de particulièrement doux chez Waylian, qui d'une étrange façon... M'attendrit ? Je ne sais pas. Peut-être est-ce pour cela que je lui accorde la permission de venir étudier au sein même de ma bibliothèque, ou bien même que j'ai pris la décision de le ramener depuis la frontière jusqu'à Minrathie dans l'idée de l'ajouter à la liste de mes esclaves. Un léger sentiment de culpabilité me pince le coeur rien qu'à imaginer Nero me toiser d'un oeil amusé en me lançant de son air goguenard que je m'adoucis.

C'est la réponse du jeune mage, toujours plus ou moins le nez dans les parchemins, qui me sort de mes pensées. Un argument en bonne et due forme, s'il en est. Intérieurement, je me serine de prendre garde, à l'avenir. Waylian n'est pas si simplet qu'il le laisse à croire, et il faudrait que je n'oublie pas ce détail. Enfin, comme s'il m'arrivait d'oublier quoique ce soit... Je préférerais, ceci dit. En lieu et place d'une véritable réplique, je préfère lui adresser un sourire amusé, et me lancer sur un autre terrain, éludant volontairement sa question ouverte.

- Divin Noir, ce surnom prend presque une autre dimension, avec cet accent orlésien. Je suppose que c'est le sobriquet le plus flatteur que je puisse espérer dans le sud, cela dit. Note que je ne m'en plains pas. Mieux vaut inspirer la peur que la pitié.

Un miaulement frustré résonne soudain sur ma droite, attirant mon attention. Ni une ni deux, Verius bondit pour venir piétiner le vieux grimoire, et frotte son museau contre mon menton avec un ronronnement qu'on entendrait depuis l'autre bout de la pièce. Amusé, je lui dispense quelques tendres caresses et grattouilles. Néanmoins, le félin a tôt fait de poser son séant sur mes cuisses pour fixer Waylian avec l'intensité d'un fauve affamé toisant une antilope sans pattes. Il ne m'en faut pas plus pour semer le doute dans l'esprit de l'Elfe.

- Eh bien, ce ne serait pas ce cher Verius qui t'aurait causé des misères avec ces notes ? N'est-il pas adorable. Un rien capricieux, il est vrai. Comme tout les chats, cela dit. Vous allez devoir apprendre à cohabiter. Il viendra sans doute encore te faire tourner en bourrique, c'est son passe-temps préféré.

Voilà qui me laisse le champ libre pour de futurs jeux dont seuls les félins ont le secret.

.SHADOW

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Il avait été idiot, terriblement idiot même. Waylian avait appelé le Divin par son titre complet en Orlais, qui était légèrement différent sous ces latitudes tévintides. Il se flagella mentalement en entendant Faustus répéter ses mots, et baissa le regard en continuant de s'affairer avec les parchemins éparpillés.

— Pardon, je vous ai offensé... Je... Le respect et l'amour sont plus efficaces et durables que la peur, mais ce serait sûrement trop espérer de la part de sudistes à l'esprit étriqué.

Il espérait que son changement de sujet intempestif passe inaperçu, mais il ne fallait sûrement pas compter là-dessus. Le Divin était trop intelligent pour ne pas remarquer un subterfuge aussi minable, et Waylian préférait continuer à ranger plutôt que de se confondre en excuses.

Le chat qu'il avait vu plus tôt fit alors son retour, ou du moins le pensait-il. L'elfe avait bientôt fini de remettre de l'ordre dans le bazar qu'avait mis Verius, mais il ne pouvait s'empêcher d'esquisser un sourire à la vue de l'animal.

— En effet, c'est bien lui. Mais je n'oserais lui en tenir rigueur, il est bien trop mignon pour cela. J'adore les chats, vous savez. J'espère juste qu'il ne sera pas trop dur avec moi.

Waylian sourit un peu plus franchement, et termina de ranger les différents papiers : il n'avait pas du tout compris que le chat qu'il avait vu quelques temps plus tôt et celui qui avait sauté sur les genoux du Divin étaient deux entités différentes, et ça ne lui était même pas passé par l'esprit. Lorsqu'il prit congé, il était donc persuadé d'avoir eu affaire à Verius, et personne d'autre.