YOUNG AND STUPID (AURELIUS) [FLASHBACK]

Les expériences, Aurelius avait toujours été pour. Dès qu'il avait été en âge de marcher, la vie était devenue pour lui une grande aventure remplie d'une myriade de possibilités. Malheureusement, il avait aussi très vite appris que d'autres n'allaient pas hésiter à s'opposer à ses audacieuses incartades, comme lorsqu'il avait commencé à explorer la rambarde du balcon familial à peine deux ans : son père l'avait aussitôt pris dans ses bras, l'arrachant à sa fascinante découverte. Le jeune homme avait continué d'avancer dans la vie avec la même assurance inconsciente, s'arrangeant pour esquiver la plupart des responsabilités qui se jetaient sur son chemin avec l’insouciance de celui qui n'avait jamais eu à s'inquiéter de quoi que ce soit de sérieux. Il mangeait à sa faim, buvait au-delà, fricotait avec qui le voulait, et la magie lui venait aussi naturellement que son amour des livres. Du moment qu'il ne s'agissait pas de faire souffrir quelqu'un qui ne l'avait pas demandé, il était prêt à tout.

Seulement, il n'aurait jamais imaginé se retrouver dans cette situation avec quelqu'un comme Nero Pavus. Et pourtant, il se gratifiait d'un imagination débordante, et d'une curiosité sans limites...ou presque. Pavus était-il une de ces limites qu'il était plus sage de ne pas franchir ? Intérieurement, c'était là ce qui chiffonnait vraiment Argento. D'une part le caractère cruel de son condisciple l'agaçait...et de l'autre, il trouvait dans son attitude ombrageuse quelque chose d'irrémédiablement attirant. Pas tout à fait un fruit défendu, non, plutôt un fruit dangereux auquel on ne pouvait découvrir si on était allergique avant de vraiment y goûter. Bref, Nero l'agaçait profondément autant qu'il l'amusait prodigieusement, ce qui contribuait à faire de la situation quelque chose d'unique. Une nouvelle expérience, en somme. Bah, on n'était jeune qu'une fois, non ?

« J'ai toujours trouvé que c'était plus sympa de souffler dans les sifflets que de les couper, pas toi ? » minauda-t-il, incapable de s'en empêcher. Sa bouche allait lui attirer de sérieux ennuis un de ces jours, il en avait très vaguement conscience, mais il allait lui falloir une vie de péripéties pour vraiment le considérer...et l'utiliser à meilleur escient. Pour l'heure, qu'en savait-il ? Il était jeune, il était riche, et ceux qui étaient les deux se posaient encore moins de question que les autres.

« Mhm, un peu masochiste à mon goût, mais j'ai toujours aimé apprendre. Ceci dit, rien ne t'empêche de t'en aller non plus, hein ? A moins que... » Et, sans crier gare, Aurelius embrassa l'autre de plus belle, passant une main derrière sa tête, faisant glisser l'autre plus bas, et...

« ARGENTO ! PAVUS ! »

La voix cingla comme un fouet, et les deux purent découvrir une magister Hellana a l'air furieux, les mains sur les hanches. Enfin, c'était difficile à dire : Hellana était de ces gens qui auraient eu l'air furieux en dégustant leur gâteau préféré. Elle était la terreur de ses collègues magisters comme de leur progéniture depuis toujours : non pas qu'elle fut mauvaise, mais elle avait le don pour apparaître au mauvais endroit au mauvais moment, et ses sermons étaient aussi redoutables que ses tirages d'oreille. Quelqu'un comme Hellana n'avait pas besoin de la moindre étincelle de magie pour se faire respecter...

« Il est donc impossible de vous laisser seuls cinq minutes ! Si vous tenez à vous montrer sordide, je vous prierai de ne pas le faire dans mon ambassade, est-ce que c'est bien clair ? Il y a un décorum à respecter, et je n'accepterai pas de nouvelle incartade ! » Elle les foudroya tour à tour d'un regard noir qui aurait pu embraser toutes les Tombes émeraudes, avant de continuer : « Vos pères vous attendent, et je peux déjà vous assurer de leur profonde déception. Ah, et Pavus, sachez que cette elfe est à mon service : je ne tolérerai pas qu'on se prenne à des membres de ma maisonnée, fussent-ils esclaves, est-ce bien clair ? Effacez moi ce sourire satisfait, Argento ! Vous n'êtes pas tiré d'affaire non plus, et je n'ai pas oublié le coup des rideaux. Je vous croyais plus intelligents, mais à vous deux je ne sais même pas si l'on pourrait arriver à une demi-cervelle en état de marche. Hors d'ici, allez ! »

Aurelius avait bondit sur ses pieds à l'apparition de la magister, les mains derrière le dos. Il effaça aussitôt son sourire à son ordre : Hellana était sans doute la seule personne avec qui il ne se risquait pas à faire le malin. Même dans son dos. Même à trois ville d'elle dans la chambre aux murs les plus épais. Parce qu'elle le saurait, c'était une certitude qu'elle avait inscrite au plus profond de chaque tévintide qui avait un jour croisé son chemin. Derrière la porte ouverte, dans le couloir, il pouvait voir son père ainsi que celui de Nero. Aurelius intima à son fils de le rejoindre d'un hochement de tête digne mais qui ne cachait pas pour autant son agacement. Il s'inclina devant Hellana...et ne put s'empêcher d'adresser un clin d’œil à Nero : « Ce fut un plaisir, mon grand ! Ne nie pas, je l'ai vu ! »

« ARGENTO ! Ouste, tout de suite ! »

« Bien m'dame ! »

Il emboîta le chemin de son père, qui avançait déjà du pas typique du parent qui attendait d'être hors de portée des oreilles indiscrète pour sermonner son rejeton (lui aussi craignait les pouvoirs de clairvoyance d'Hellana, comme tout le monde). Et Aurelius n'était pas pressé de s'y mettre... Mais l'un dans l'autre, l'expérience avait été intéressante. Le regretterait-il ? Probablement pas, ce n'était pas son genre. Et puis l'occasion de faire tourner Pavus en bourrique avait été trop belle. S'agissait-il seulement de ça, pourtant ? Il aurait bien le temps d'y repenser plus tard. Ou pas.

Ce n'était pas comme s'ils allaient revenir là-dessus vingt ans plus tard, si ?