Don't let your heart cry in front of him | ft. Draco

Trop de choses s’étaient déroulés en peu de temps. Il était encore jeune et, pourtant, il en avait certainement déjà vu et vécu bien plus que ses parents. De la perte de son frère à la mort de la divine, en passant par Lance et la « trahison » de Draco... Non, sur ce point, c’était en partie de sa faute. Il avait baissé sa garde. Fragilisé psychologiquement par la mort de la divine, et la dernière lettre de Lance, il avait commencé à céder sa confiance à Draco. Il n’aurait jamais dû. Mais avait un vide à combler, un trou béant que sa vengeance était censée ressouder. Le fait était que la mort de la Divine ne l’avait pas aidé à aller mieux, ou à peine.

A présent, c’était une autre sorte de trou qu’il avait, en plus entre les côtes. Dans sa précipitation, Draco avait manqué les organes vitaux. La partie de lui qui avait accordé sa confiance à l’ancien Templier voulait croire qu’il avait fait exprès de ne pas le tuer, que ce soit conscient ou non. L’autre, plus rationnelle, savait qu’il s’agissait plutôt d’une erreur de calcul. Il était pressé. Il venait d’empoisonner l’Inquisiteur. Son visage se tordait de dégoût à chaque fois qu’il y pensait. Eliott était tombé bien bas, et il se rendait compte que s’il avait longtemps vu sa jeunesse comme un avantage, celle-ci était également un inconvénient. Il avait beau être un bon barde, l’enfant désabusé et mélancolique que le monde avait forgé n’en restait pas moins naïf.

Il pensait s’être endurcie, mais sa peine avait juste caché ses faiblesses derrière le rideau de sa colère et sa tristesse mélangées. A présent, le Ronceret allait ouvrir les yeux. Sortir de son lit. Tant pis s’il grimaçait, tant pis si les médecins allaient le réprimander : il n’en pouvait plus de se ménager, d’attendre. Et puis, il devait aller le voir. Il devait comprendre. Même s’il n’y avait rien à comprendre de plus. Draco, finalement, n’avait jamais changé. Eliott aurait dû camper sur ses positions, rester attentif, méfiant, hypocrite. Fermé. Surtout suite à la visite du cousin du Pentaghast. Il avait été un complet idiot.

C’est suite à ce cheminement de pensé qu’Eliott se retrouva à traîner sa carcasse jusque dans les cachots. Il avait hésité à attraper une chope de bière au passage, mais s’était ravisé. Il se sentait assez cassé de l’intérieur pour ne pas vouloir l’extérioriser, surtout face à Draco. Il faillit d’ailleurs également se raviser tout court, et remonter dans sa chambre. Arrivée dans les cachots, l’idée ne lui semblait plus très reluisante. Tant pis. Maintenant qu’il y était, autant qu’il y reste. Maya le suivait sagement, mais il lui ordonna de rester près de l’entrée. La jeune Mabari avait redoublé de vigilance depuis l’agression qu’avait subi son maître, et Eliott craignait qu’elle ne s’excite un peu trop en voyant le traître.

« Draco. » Une voix éraillée sortie de sa gorge, qu’il racla. Il ne parlait que peu et, de toute évidence, il ne buvait pas assez. Ou pas assez d’eau. S’adossant contre le mur, face à la cellule où était enfermé l’ex-pas-si-ex-que-ça-Templier, braquant son regard sur lui. Il hésita un instant. Le « pourquoi » lui brûlait les lèvres, mais il se sentait idiot de vouloir lui poser une telle question. Il n’y avait pas vraiment de réponse : ça avait toujours été ainsi... N’est-ce pas ?

La remarque de Draco lui arrache un regard en coin. Sarcastique. Désabusé. Eliott préfère fuir son reflet et, de toute évidence, il fait bien. Le jeune homme regrette cependant presque de ne pas avoir pris d’armes, mais cela valait certainement mieux. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait de retourner la politesse au geôlier, mais le barde avait appris d’expérience que la vengeance n’avait rien de bon. Elle ne ferait que l’enfoncer encore plus dans le trou béant qu’il lui semblait avoir à l’intérieur de lui. Pathétique. « Eh, c’est grâce à toi. Merci ? » Sa voix est encore un peu rauque, cassée, loin de sa voix de jeune barde assuré qu’il parvient à modeler à sa guise. Il a encore besoin de repos, et il le sait, mais quelque chose l’avait poussé à descendre jusqu’ici... Même s’il commençait à regretter. Par reflexe, lorsque Draco se lève, bras tendu, regard plongé dans le sien, Eliott recule. Son dos heurte le mur derrière lui, suintant, et lui rappelle âprement qu’il n’a rien à craindre. Et lui montre douloureusement qu’il va devoir travailler sur lui. « Non, merci. Je peux me débrouiller tout seul, si j’ai envie de mettre fin à mes jours. »

Son ton était froid, monocorde. Dire qu’il n’y avait pas pensé, l’espace de quelques secondes, seraient mentir. Eliott avait tout perdu – son jumeau, son enfance, sa famille, et même le feu bouillant de la colère. La Divine était morte, et il n’avait pas l’impression d’avoir rendu justice à son frère. Il était cuisant de honte et de dégoût envers lui-même, pourtant il savait qu’Elio n’apprécierait pas de le retrouver tout de suite. Il l’entendait déjà le sermonner, lui dire qu’il aurait très bien pu vivre pour deux et lui raconter ça en temps voulu. Et puis, il y avait encore des choses qui valaient la peine de vivre. L’Inquisition en était une de taille, pour ce qu’elle représentait, et pour certains de ses membres. Elio – le faucon – et Maya aussi. Le soleil qui se lève à l’est, la pluie qui tombe, le feu de cheminée qui craque et la rosée du matin. La question de Draco le ramène sur terre. « Je ne sais pas. » finit-il par avouer. « Pour la satisfaction de te voir enfermé, alors que nous sommes vivants ? » Gwenaël, et eux. La vie est une drôle de pièce de théâtre, parfois.

Oui, c’était une bonne idée, finalement. Rester ici, le narguer. Peut-être ne rien dire, simplement le fixer. Epier ses moindres faits et gestes, sans répits, sans repos. Même si on aurait vite fait de le renvoyer dans son lit et à ses soins. Plus besoin de jouer la carte de l’hypocrisie avec Draco. Plus la pleine de se bercer d’illusion non plus. « Je crois que je voulais te demander pourquoi, mais je crois aussi que j’ai la réponse et que depuis le début, elle n’a pas changé. » il hésita un instant, humectant ses lèvres en finissant par se rapprocher des barreaux, comme pour prouver qu’il n’avait pas peur, comme pour effacer son précédent mouvement de recul. « C’est moi qui ai changé, qui ait fini par me laisser aveugler. Merci de m’avoir remis les idées en place. » Il était plutôt sincère, même s’il était loin d’être agréable. Il avait fermé les yeux parce qu’il était désespéré, et qu’il avait eu besoin d’avoir quelque chose, quelqu’un à qui se raccrocher. Il aurait dû écouter Feanor, qui avait encore une fois eu raison, et son instinct qui ne l’avait finalement jamais trompé. « Ca change du lit de l’Inquisiteur, hein ? Tu t’es bien planté. Comme quoi, tous les Templiers sont bien des bons à rien. » Il ne pouvait s’empêcher de penser à Lance. C’était encore une fois de sa faute, mais la blessure était similaire. Draco aurait au moins pu avoir la décence d’achever proprement ce que le Chevalier-Capitaine de Ferelden avait commencé. Finalement, c’était peut-être bien Eliott qui était bon à rien. Il avait envoyé une lettre à Lance la veille, et le voilà devant Draco. Quelque chose ne tournait pas rond, chez lui.

Un sentiment d’impuissance le prend aux tripes. Pourquoi est-il là, en proie à ses démons – face à son démon ? Evidemment, son mouvement de recul n’échappe pas à Draco, et Eliott ne peut pas manquer le double sens de sa phrase. Marqué à vie. Dans sa chaire et dans son esprit. Le visage de l’Orlésien se ferme, mais il ne lui fera pas le plaisir de lui répondre. Vérité ou mensonge, un seul mot ne serait qu’accorder trop facilement sa victoire au geôlier. Draco semble, malgré tout, plutôt fier de lui. Le Barde doit reconnaître avec amertume qu’il n’a pas tout à fait tort. S’il n’a pas touché l’Inquisition autant qu’il ne voulait en la privant de son Inquisiteur, celui-ci était marqué (lui aussi) à vie. S’ils n’avaient pas coulé, ils avaient au moins été touché. Il n’avait pas tout perdu, malheureusement, et cet échec n’était qu’en demi-teinte.

Eliott se force à ne pas détourner le regard de celui, perçant, que le Templier garde bien ancré dans le sien. Il se force également à réprimer ses frémissements. « Peu importe. » finit-il par articuler après avoir pris une grande inspiration. « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Je suis sûr que tu es bien placé pour le savoir. » Si même lui doute de ses paroles, Eliott n’en montre rien non plus. Il est brisé, intérieurement, il s’en rend bien compte. Il est brisé depuis qu’il a perdu son frère et que sa réponse a été de rejoindre l’Inquisition, sa motivation suprême étant la vengeance. Heureusement pour lui, il avait appris à aimer l’Inquisition, a adhérer à ses aspirations qui s’accordaient aux siennes. La vengeance ne l’avait pas apaisé, elle n’avait fait que laisser un sentiment de vide encore plus persistant. Comme Lance. Comme Draco.

Mais le Templier lui rend coup pour coup. Peut-être parce qu’il se sait -se pense- condamner, il frappe d’autant plus fort. Et les paroles que Draco lui adresse finalement lui font encore plus mal que le coup de poignard, rappelant à son cœur meurtrit que, depuis quelques temps, il ne faisait que prendre de mauvaises décisions. A quel moment avait-il cru que c’était une bonne idée de s’enticher d’un Templier ? Eliott ne savait pas comment le traître avait eu cette information mais, s’il avait dit ça au hasard, il avait à présent la preuve de ce qu’il avançait. Le visage décomposé d’Eliott, même s’il se reprit rapidement, ne pouvait pas tromper. Oui, il avait eu une aventure avec un Templier et, de toute évidence, cela ne s’était pas très bien terminé non plus. « Je... » Il hésite quelques instants, mais il se sait foutu. Draco est trop habile et, lui, encore trop fragile. Il faudrait qu’il prenne le temps de se reposer, de se recomposer avant de se lancer dans de tels exercices. Encore une mauvaise décision, tiens. « Je ne me serais pas laissé avoir. » S’il n’avait pas été là. Il ne savait plus exactement à quel moment il avait basculé, mais cela avait certainement un lien avec l’explosion à la Flèche Blanche et la lettre incendiaire de Lance. « Parce que les choses se seraient déroulée autrement. »

Il reste droit, tente de ne pas s’écrouler. Pourtant, dans son esprit, c’est un autre combat. Une petite voix pernicieuse, insidieuse, qui lui souffle que Draco a raison. Il est tombé pour Lance, il est tombé pour Draco. Et il lui semblait que cela arriverait encore, et encore. Il ferma un instant les yeux, prenant une grande inspiration. « De toute façon, t’es pas mon genre. » finit-il par lâcher, en haussant une épaule, affichant à nouveau une molle indifférence. « Et puis, même si je ne devais pas totalement m’en relever, au moins je suis encore en vie. Est-ce qu’on peux en dire autant pour toi ? Est-ce que tu n’es pas déjà un peu mort ? » Croisant doucement les bras dans son dos, hésitant sur les mots qu’il voulait laisser échapper, il finit par prendre un air concerné : « D’ailleurs, je me suis toujours posé la question... Tes petits copains Templiers, ils jouaient la comédie eux aussi, où ils te prennent pour un traître ? Tu te souviens de celui que je vous ai ramené et que l’Inquisiteur t’as demandé d’achever... C’était ton ami ? Il savait que tu ne les avais pas vraiment trahi, ou tu n’étais qu’une ordure de plus à ses yeux ? » Il essaie de faire mal, lui aussi. Eliott n’était pas venu pour ça, au départ, mais il ne peut pas se laisser briser aussi facilement. Il ne se le permet pas.

Eliott tique légèrement. Tout son être saigne – son esprit, son cœur, son corps. Il encaisse mais il a parfois l’impression d’être au bord de la rupture. A quel moment est-ce qu’il s’est enfoncé à ce point dans d’inextricables sables mouvants ? Cependant, le Barde sait que le seul but de Draco, à ce moment précis, est de le blesser. Après tout, le sien n’est pas bien plus différent : le Templier n’est que venin, trahison. Que pouvait-il espérer de plus ? Toutes ses illusions ont volé en éclat, il ne peut plus essayer de les recoller vaguement ensemble pour rester dans un déni bancal. Un grimace vient déformer son visage, tandis qu’il croise les bras sur son torse : « Je suis désolé, mais tu n’es vraiment pas mon genre. Il faut dire que je suis particulièrement difficile... » Eliott pouvait jouer le désir à la perfection, il avait néanmoins remarquer qu’il ne le ressentait réellement que très rarement. Il devait avouer ne pas comprendre l’intérêt de s’envoyer en l’air avec quelqu’un qu’on ne connaissait pas vraiment, sans avoir de liens forts avec. Peut-être fonctionnait-il différemment, mais il devait au moins reconnaître que ce qu’avait fait Draco, aller jusque dans le lit de l’Inquisiteur pour mieux le frapper... Il en aurait été incapable.

Eliott combat son envie de reculer, de rester à une distance raisonnable qui impliquait que même à bout de bras, le Templier ne le pourrait pas le toucher. Il ne veut plus se montrer aussi faible, il veut faire mentir Draco, lui prouver qu’il avait tort et qu’il avait échoué. Après tout, mentir et faire croire étaient ses deux spécialités, non ? La définition même d’un Barde ? Alors même s’il devait serrer les dents pour ne pas sauter un mètre en arrière, il tenait. Pour le moment. Et avait la satisfaction de voir les doigts de son ennemi se crisper contre les barreaux, signe qu’il avait vu juste. « Tout bon espion est prêt à mourir pour la cause qu’il défend. Il doit en être de même pour toi, non ? Enfin, si la cause que tu défends te prends pour un traître, tu n’as même pas la satisfaction de savoir que ton sacrifice sera reconnu et apprécié... Pauvre, pauvre petit Draco. » Il siffle, tentant à son tour de se faire serpent. Maintenant qu’il a trouvé une faille, autant l’exploiter. Rendre coup pour coup, comme sa némésis le faisait si bien. Si un jour Eliott s’en remettait, il remercierait peut-être Draco pour cette « belle » leçon.

La suite, cependant, il ne s’y attendait pas. Un instant, son regard se perd. Evidemment. Evidemment que Draco lui avait menti ; il l’avait pressenti. Il n’en avait pas été certain, à l’époque, et s’il y avait repensé au moment où il avait baissé sa garde, il aurait pu y croire. Ses lèvres tressautent un instant, mais il finit par esquisser un léger sourire : « Je ne suis pas parti à la chasse au Templier. J’ai eu ma vengeance, avec la mort de la Divine, et... Je n’aime pas le goût de la vengeance. Elle n’apporte rien, pas même un peu de réconfort. Peu importe que le meurtrier de mon frère court encore, la tête du serpent a été coupée. ». Oui, Eliott est en colère, au fond de lui. En colère contre ces maudits Templiers aveuglés par leur foi. Mais Lance, même s’il a le cœur brisé, lui a appris que tous les Templiers n’étaient pas comme ça. Et la mort de la Divine, qui était pour lui son seul et unique vrai moyen de se venger, ne lui a laissé qu’un vide encore plus glacial.

Ils tournent en rond. Eternel serpent à deux têtes tentant de se mordre la queue sans jamais totalement y parvenir. Concours puéril de celui qui parviendra à faire le plus souffrir l’autre, alors qu’ils sont déjà tous les deux au plus bas. Plus ou moins. Cet échange ne mène plus à rien, il n’a jamais mené à rien. Ce n’était pas son but. Naïf est l’enfant qui a pu le croire, mais la naïveté n’est plus de rigueur. Un sourire en coin vient même étirer les lèvres du Barde lorsque sa némésis lui crache de ne pas l’appeler comme il l’avait fait. Pauvre petit Draco. Osera-t-il recommencer ? Il s’humecte les lèvres, près à récidiver. Après tout, que peut lui faire le Templier déshonoré, derrière ses barreaux ? Quelque chose l’en empêche, cependant. Peut-être l’autre qui reprend la parole.

Eliott renifle, ne répond pas tout de suite. Foutaise. Qu’il crève. Qu’il crève tous. Qu’est-ce qui l’empêche de tuer Draco, d’ailleurs ? Est-ce qu’on pourrait réellement lui en vouloir ? « C’est ce qu’on verra. Mais je ne parierai pas là-dessus, si j’étais toi. A la rigueur, on parlera peut-être de celui qui a tenté de tuer l’Inquisiteur, et qui a lamentablement échoué, mais pour le reste… » Il haussa une épaule avec désinvolture. Une haine viscérale s’insinue dans toutes les brèches de son esprit éclaté, une colère sourde qu’il a envie de diriger vers Draco. Surtout quand il évoque la personne qui a tué la moitié de son âme. « Quoi, ça t’agace ? Je ne perds pas mon temps, je n’ai rien à faire à part me reposer. Je pourrais prendre une chaise et t’observer toute la journée, si j’en avais envie. Toi, tu ne peux que subir, en fin de compte. » Un rictus déforma son visage.

Pendant quelques instants, Eliott hésite. Il sait sa lame près de lui. Il n’a qu’à dégainer, être assez rapide. Il l’a déjà fait, plusieurs fois. La mort de la Divine n’est sans doute pas de son fait, mais il n’est pas étranger au meurtre. Le regard fixement planté dans celui de Draco, il hésite sincèrement. L’aboiement de Maya le ramène à la réalité. Deux gardes dépassent la chienne, lancent un regard aux deux hommes et demande à leur camarade si tout va bien. Le barde se détend immédiatement, et arbore même un léger sourire. « Tout va très bien, merci. A plus tard… » Sans un regard de plus, Eliott quitte les cachots. Il a eu ce qu’il voulait ; une preuve de la culpabilité total du Templier. Il n’y avait plus de place pour le doute. Il pouvait se reposer tranquillement – aussi tranquillement que son esprit torturé le lui permettrait.