L'Audience | ft. Beatrix

La Grande Cathédrale de Val Royeaux était aussi belle que dans les légendes. Elle n'avait rien à envier à un palais royal : elle semblait si puissante, si riche, qu'il était difficile d'imaginer les trouble que traversait actuellement l'organisation qu'elle représentait.

Pou la énième fois, Isobel leva les yeux vers toute cette splendeur, son visage fermant ne trahissant plus le reproche de l'admiration. Ce n'était pas la première fois qu'elle visitait ces lieux ; il était rare qu'elle passe par Val Royeaux sans venir y dire une petite prière. Pourtant, elle n'aimait pas vraiment cet endroit, dans le fond. Durant son enfance, elle ne s'y était jamais sentie la bienvenue, petite elfe citadine qu'elle était... Encore aujourd'hui, malgré son statut, elle n'y était pas à son aise. L'endroit était trop riche, trop ostentatoire - il était, au final, représentatif de ce qu'elle reprochait à la Chantrie au fond d'elle-même sans réellement réussir à mettre des mots dessus... de tout ce qui l’empêchait de réellement s'identifier comme une Andrastéenne malgré sa foi sincère en la Prophétesse.

Elle soupira. Tout cela importait peu, elle le savait.

Elle était là pour une toute autre raison - plus importante, sans aucun doute : une mission pour la Garde. Voilà deux mois qu'elle avait quitté la Forteresse de Skyhold, accompagnée d'une poignée de ses confrères. Elle avait parcouru toutes les grandes villes de l'Empire Orlésien, toutes les riches Chantries et les nobles familles de Ducs et de Comptes, dans l'espoir de s'assurer de leur soutien dans le combat contre l'Enclin. La Garde avait besoin d'aide. De quoi exactement ? Et bien, franchement, de tout... De matériel, d'argent, d'hommes. L'Archidémon avait disparu, mais ça ne signifiait pas qu'il était vaincu, et la Garde avait besoin de retrouver ses forces après les dernières batailles. Rénover Skyhold faisait partie de cet effort, et l'aide des riches orlésiens était on ne peut plus nécessaire.

C'était à Val Royeaux que se terminait le voyage, et c'était l'étape qui lui avait le plus pesé sur les épaules. Avec les dangers de l'Enclin, elle avait de quoi se demander si ceci n'était pas la dernière fois qu'elle visitait sa ville natale : l'idée avait été suffisante pour rendre tout son séjour étrange et mélancolique. Elle qui était d'habitude toujours si professionnelle s'était plusieurs fois retrouvée à prendre du temps pour elle plutôt que de se concentrer uniquement sur sa mission. Ses pensées morbides en tête, elle avait déambulé dans les ruelles du bascloître qui l'avait vue grandir, rencontré de vieux amis avec lesquels elle ne semblait avoir plus rien en commun, rendu visite à sa mère à laquelle elle n'avait plus parlé depuis des années... Et malgré sa mission, malgré son engagement, une part d'elle-même avait souhaité y rester, retrouver la minuscule chambre où elle dormait, enfant, et oublier tout de l'Achidémon et des Engeances.  

Mais c'était impossible. Impossible car elle avait prêté un serment, plus d'une décennie plus tôt... Impossible aussi pour la simple et bonne raison qu'il restait des hommes et des femmes dans une forteresse au loin dans les Dorsales qui comptaient sur elle - et qu'au plus vite elle serait de retour parmi eux, au mieux.

Et donc, elle était là, sérieuse et droite dans son armure de Garde au centre de cette splendide Cathédrale où elle se sentait comme un cheveu dans la soupe. C'était là qu'elle devait rencontrer la Comtesse Orrick, l'ambassadrice de Tantervale à Orlais. Une personne très intelligente et vive d'esprit, de ce qu'Isobel en avait entendu - ce qui l'effrayait quelque peu. Elle avait été l'une des Mains de la Divine - de Faustine, mais aussi de Victoria avant elle. Plus important, elle était riche et influente, et son support renouvelé pour la Garde serait le bienvenu.

-"Votre Grâce." L'honorifique état-il toujours approprié même si elle n'était plus Main ? Isobel n'en était pas sûre, mais mieux valait en faire trop que trop peu, lui semblait-il. Elle la salua raidement. Elle avait étudié, avant de se lancer dans ce voyage, toutes les façons de s'adresser aux nobles et aux gens importants qu'elle allait rencontrer... Personne ne pourrait dire d'elle qu'elle était impolie ou rustre, avait-elle décrété. Malgré cela, elle se sentait mal à l'aise dans ce rôle d'ambassadrice, comme si elle n'était pas à sa place. Peut-être était-elle trop terre à terre... Plusieurs fois durant son voyage, elle s'était demandé pourquoi elle et pas quelqu'un d'autre. Il y avait bien quelques Gardes de noble naissance, dans ses rangs, qui auraient été plus dans leur élément qu'elle... Ou même de meilleurs conteurs, qui auraient pu intéresser leurs interlocuteurs avec des récits de bataille qu'Isobel n'était capable que de décrire platement. Certes, elle était en charge de Skyhold, et elle s'y était distinguée durant la bataille pour la reprendre de l'armée des Engeances, mais tout de même.

Enfin, il était trop tard pour s'en plaindre.

-"Je vous remercie sincèrement pour cette entrevue," récita-t-elle, relevant la tête. "C'est un honneur. Je suis la Garde Isobel Saeris, pour vous servir." Elle observa la femme qui lui faisait face. C'était une Dame âgée à l'air austère et sérieux, semblable à ce que la garde s'était imaginé dans sa tête.

Elle espéra que la conversation se passe aussi bien que possible.

Isobel ne s'était pas attendue au meilleur des accueils. Cet endroit entier lui laissait une impression tenace de ne pas être la bienvenue.

Mais clairement, son hôte ne lui fit pas de cadeaux. Sèche et incisive, Beatrix se lança dans la conversation en lui faisait clairement savoir que dans ce bas-monde, on avait rien sans rien, et que si Isobel désirait son aide, elle devrait lui donner de bonnes raisons de la lui donner. Et tout cela en l'appelant "jeune fille" comme si elle était une nouvelle recrue de seize ans et pas une Garde Senior respectée qui tenait son poste depuis près de vingt ans. Oh, Beatrix n'était pas la première personne à lui manquer de respect dans sa vie. Elle n'était même pas la première durant ses quelques semaines de plaidoirie à travers Orlais. Avec ses origines modestes, ses oreilles pointues, sa mentalité des plus terre-à-terre, elle s'était souvent retrouvée face à tous ces nobles et ces dignitaires comme un cheveu dans la soupe : ce n'était agréable pour personne.

Elle avait pris l'habitude de rester digne et de passer outre... non sans quelques fantaisies internes dans lesquels elle s'énervait et tournait les talons. Vieille shem acariâtre, songea-t-elle en un flash en tentant de garder un visage neutre (dans ce genre de situations, elle se sentait plus proche de ses origines citadines que jamais). Qu'elle demande des arguments à un ogre, qu'on voie ce qu'il en pense...

Elle ne pouvait pourtant rien dire de tout cela dans la vraie vie, bien sûr - elle avait besoin du soutien de la noble, et ne pouvait se permettre de la froisser. L'image de la Garde était en jeu, pas uniquement la sienne. Elle devait rester diplomate... Après tout, au moins, Beatrix avait daigné la voir, là où elle aurait pu tout bonnement refuser. Elle ne pouvait pas gâcher cette occasion.

Elle se tint très droite, une posture quasi militaire, et prit la parole après une pause. Sa voix était ferme : il s'agissait-là d'un discours souvent répété durant les derniers jours, elle commençait à bien le connaître.

-"Madame, supporter la Garde des Ombres est bel et bien un devoir honorable... en temps normal. Mais nous sommes en temps d'Enclin, et actuellement, il s'agit d'une question de vie ou de mort." Qu'y avait-il à ne pas comprendre là ? Elle trouvait inouï que tant de gens avec les moyens d'aider la Garde croient nécessaire de parlementer et d'argumenter pour le moindre sou. Ne voyaient-ils pas l'urgence de la situation ? De voyaient-ils pas que rien, rien n'était plus important à l'heure actuelle ? On parlait beaucoup des troubles entre les mages et la chantrie, de la mort de la Divine, des nouvelles inquiétantes venant de Tevinter. Des problèmes entre humains, des problèmes aux causes absurdes. Rien de tout ça ne pouvait être comparé à l'ampleur d'un Enclin, et rien de tout ça n'aurait d'importance si la Garde ne parvenait pas à arrêter Razikaal. "Le Fort Céleste est un point stratégique pour nos troupes. Nous avons besoin de le voir redevenir entièrement fonctionnel au plus vite. Votre soutien est primordial, pas juste pour la Garde, mais pour notre société toute entière."

Dramatisait-elle les choses ? Isobel pensait sincèrement que non. Elle disait ce qui était, ce qu'elle avait toujours su. Elle espérait juste que Beatrix soit assez lucide pour le comprendre... Jouer sur son devoir envers l'humanité, c'était une stratégie plutôt basique, mais elle osait espérer qu'elle aurait du succès chez une Chantriste. Dans tous les cas, elle n'avait pas grand chose d'autre à offrir.