Deep dive | ft. Tinuviel

La devise officielle de la Garde des Ombres est bien connue. "Dans la Guerre, la Victoire. Dans la Paix, la Vigilance. Dans la Mort, le Sacrifice"... Cela résumait bien, aux yeux d'Isobel, le propre de leur mission pour Thédas. Depuis le début de l'Enclin, cependant, il circulait dans les rangs une version alternative de cette devise, une version un peu moins poétque, mais au moins aussi appropriée : elle disait tout simplement "Pas de repos pour les Gardes".

Depuis qu'ils avaient chassé l'archidémon de la Forteresse de Skyhold, l'Enclin s'était partiellement calmé, mais les Dorsales demeuraient dangereuses : la corruption était partie de là, après tout. Avec Orzammar pas très loin et le réseau souterrain des tréfonds sous leur pieds, les engeances était plus nombreuses qu'ailleurs. Ce qui expliquait certainement l'importance de leur présence sur place... Et le fait qu'ils n'aient jamais une journée de paix.

Dangereux, le coin qu'Isobel Saeris et sa consœur la Garde Senior Tinuviel l'était particulièrement. La densité d'engeances présentes y était élevée, ce qui avait poussé certaines des têtes pensantes de leur organisation à croire qu'une source devait se trouver dans le coin. Une source - ou plutôt une entrée vers les tréfonds, qu'il aurait fallu boucher, ou, à défaut, surveiller de près... Mais avant toute chose, il fallait la localiser. Aucune des cartes à leur disposition n'indiquait ce genre de passage - et en ce qui concernait les entrées vers les tréfonds, les cartes de la Garde des Ombres comptaient parmi les plus complètes. Bien sûr, il était possible que l'une d'elle leur soit passée inaperçue, voir même qu'elle ne ce soit ouverte que récemment... Dans tous les cas, il fallait agir.

C'est pourquoi plusieurs groupes de Gardes avaient été envoyés explorer la zone concernée. Par deux ou par trois, ils devaient quadriller la région, trouver leur source, et après - eh bien, après, il faudrait voir. Chaque chose en son temps.

Les deux elfes étaient parties du campement au matin. Leur expédition s'était jusqu'à présent déroulée dans un relatif silence - elles ne s'adressant la parole que pour parler de leur mission ou pour se donner des indications utiles. Cela convenait parfaitement à Isobel, qui préférait se concentrer sur la tâche du jour plutôt que sur une quelconque conversation... C'était une chose qu'elle pouvait apprécier chez sa consœur : elle était professionnelle. La citadine avait toujours eu un peu de mal avec les gens trop directement familiers.

Bien sûr, Tinuviel était un cas un peu particulier. Isobel aurait été incapable de dire si elle devait la classer parmi ses quelques amis ou ses pires rivaux. C'était une dalatienne - bien que l'absence de tatouages sur son visage semble indiquer le contraire - et ses opinions avaient en général un don incroyable pour agacer la citadine. L'inverse était probablement vrai aussi. Elle se connaissaient depuis des années, ayant fait leur apprentissage dans la Garde en même temps...

Le fait était en tout cas qu'elles travaillaient bien ensemble, ce qui expliquait sans doute pourquoi elles étaient à nouveau en binôme pour la mission du jour. Elles espéraient trouver ce qu'elles cherchaient avant le soir. Elles avaient fait une brève pause à midi, mais c'était tout ; et Isobel commençait à fatiguer, à force de crapahuter avec son épée et son bouclier sur le dos dans cet environnement difficile. Pas question de l'admettre la première, cependant.

Elle serait quand même contente de s'arrêter.

-"Là !"

Elle avait poussé l'exclamation en pointant un point devant elle du doigt - bien qu'il soit probable que Tinuviel l'ai déjà remarqué par elle-même. Plus loin, découpé dans la surface rocheuse de la montagne, se trouvait ce qui ressemblait à l'entrée d'une grotte.

Elles s'approchèrent. L'entrée était irrégulière, à moitié dissimulée parmi les pierres de la montagne... Si elles n'avaient pas été attentives, elles auraient facilement pu passer à côté sans rien remarquer. Elle n'était pas très large, mais suffisamment tout de même pour laisser passer une personne de taille humaine - ou peut-être une engeance. L'obscurité à l'intérieur était totale, il était impossible de voir plus loin que quelques mètres à l'intérieur ; tout semblait immobile et silencieux, mais cela n'empêcha pas Isobel de ressentir une certaine appréhension face à ce trou noir.

Ca aurait pu être l'entrée vers les tréfonds qu'elles cherchaient, ou alors une simple grotte comme il y en avait beaucoup dans ces montagnes. D'ici, c'était difficile à dire - il lui semblait que ses sens de garde s'affolaient quelque peu mais peut-être n'était ce qu'une impression causée par l'aspect menaçant de leur découverte. Isobel n'aimait pas beaucoup les grottes. Peut-être sa consœur aurait-elle une idée plus claire... Si c'était le cas, Isobel devinait qu'elle ne se priverait pas de lui faire savoir.

Elle siffla. "Tu penses que ça descend jusqu'où ?"

Elle fronça les sourcils en s'approchant de quelques pas. Il leur faudrait probablement vérifier cela par elles-même avant d'alerter qui que ce soit, mais la perspective ne la réjouissait pas. Elle était Garde depuis presque vingt ans, mais les Tréfonds ne lui semblaient pas plus hospitaliers qu'au premier jour... Elle ne comptait plus le nombre de fois qu'elle y était descendue, et pourtant, le fait demeurait : le moins elle y allait, le mieux elle se portait. Enfin, elle n'allait pas commencer à se plaindre - surtout avec Tinuviel dans le coin.

Garde des ombres. Une fonction à la fois gratifiante et maudite. Quand on y entre, on ne sait même pas si on passera le rite de passage. Et si on le passe, on sait que l’on finira par mourir pour la Cause. Mais y a-t-il, aujourd’hui, une meilleure façon de trépasser ? Tinùviel n’en voit pas. Elle a voué son âme à la Garde il y a plus d’une décennie. Sans regrets.
L’Enclin, bien que moins actif, reste présent. Trouver sa source est un véritable défi. Isobel et Tinùviel le relevaient encore une fois. Conscientes du danger, quelque part on pourrait dire qu’elles s’en nourrissaient. L’adrénaline crépitant dans leurs veines étant une forme d’addiction. Armées et prudentes cependant, elles sont à la recherche du passage vers les tréfonds. Un nouveau sans doute. Elles ne sont pas les seules, d’autres binômes et trio quadrillent le coin. Pourquoi elles ensemble ? Non pas parce que ce sont deux elfes, leurs anciens modes de vie étaient diamétralement opposés et ne sont toujours pas ce qui les rapprochent. C’est plus parce qu’elles se complètent sur le terrain. Même si leur relation peut se qualifier d’amicale, il persiste toujours une drôle d’animosité. Peut-être comme chez des sœurs finalement.
Toujours est-il que là, sur un terrain hostile, elles se font confiance et se motivent toujours. Ne serait-ce que pour prouver qui est la meilleure. Comme là, alors que leurs corps réclament clairement une pause mais qu’aucune ne veut se l’avouer. Et tant mieux car soudain, Isobel repère quelque chose. L’elfe aux allures d’albinos suit son geste du regard et cligne des yeux pour s’assurer que ce n’est pas la fatigue qui leur joue des tours. Non, il y a bien une grotte. Revigorée par cette découverte, elles s’élancent. Une faille plus qu’une entrée de grotte, un noir infini à l’intérieur, le silence absolu. Impossible de deviner ce qui se cache ici. C’était comme si les lieux pouvaient vous aspirer.

❝ Les tréfonds. Comme ça peut ne pas être ça. Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir. ❞

Tinùviel sent l’adrénaline fusionner avec ses veines. A la fois un appel et une mise en garde.

❝ On doit aller jeter un œil. Au moindre indice, on va prévenir les autres, ça te va ? ❞

Mourir pour la Cause d’accord mais pas stupidement. Devinant qu’Isobel ne va pas la contredire, Tinùviel prend son bâton et ferme les yeux quelques secondes. Elle invoque la magie en quelques paroles murmurées. La lumière se fait, comme une boule de feu qui tournoie sur elle même au dessus du bâton. La dalatienne passe la première dans l’antre obscure. Il n’y a pas beaucoup d’air et l’odeur rance chatouille doucereusement ses narines. Du genre entêtante, jusqu’à donner la nausée aux estomacs les plus sensibles. Difficile de tenir la torche et sa lance mais elle se servira de la magie au besoin. Elles pouvaient aussi bien tomber sur des engeances que sur un ermite. Sur le sol terreux, pas de réels indices. Quelques petits os, rien de probant. Elles avancent dans ce qui s'apparente à un long couloir qui s'élargit peu à peu avant de descendre et de s'ouvrir sur deux galeries. Tinùviel souffle, agacée.

❝ On ne se sépare pas. Gauche ou droite ? ❞

Ce qui se trouvait là dessous ? Comme l'avait dit Tinùviel, il n'y avait qu'un moyen de le savoir. "Très bien. Après toi."

Elles entrèrent donc, l'une après l'autre, sans plus de commentaire. Qui avait-il a ajouter, de toute façon ? L'une et l'autre savait qu'il s'agissait là de leur devoir.

L'intérieur de la grotte était sombre et silencieux, heureusement éclairé par la magie de la dalatienne. La lueur étrange de sa torche ne rendait pourtant pas les lieux beaucoup plus accueillants. L'effort d'avoir marché toute la journée avait réchauffé Isobel jusqu'à présent, mais elle fut tout de même parcourue d'un frisson... L'odeur familière et rance de renfermé était omniprésente, et quelques petits ossements jonchaient le sols. Des restes d'animaux, semblait-il. Pas assez pour leur fournir beaucoup d'indices sur la nature de l'endroit, pourtant... Il leur faudrait descendre plus loin.

Le couloir finit par s'élargir, au soulagement d'Isobel. Le problème, c'est qu'il se divisa en deux branches, deux galeries obscures qui poussèrent Tinùviel à s'arrêter un instant. Bien sûr, elles ne pouvaient se séparer - ça aurait été le meilleur moyen de se rendre plus vulnérables... Elles avaient été déployées en duo pour une bonne raison. Mais cela signifiait qu'elles devaient faire un choix sur la direction à prendre. Choix difficile à faire sans la moindre indication de l'endroit où elles se trouvaient à la base.

-"A droite," décida Isobel puisque l'autre elfe lui posait la question. Le couloir de gauche avait l'air plus étroit : elle préférait l'éviter. "Ca a l'air plutôt profond." Elle chuchotait, et pourtant même comme ça sa voix semblait trop forte pour ce silence... Si quelque chose se trouvait dans le noir avec elles, cependant, il ne devait pas encore les avoir remarqué.

Elle tâcha d'ors et déjà de mémoriser leur chemin. De son expérience, les grottes - et surtout les tréfonds - pouvaient s'avérer être de vrais labyrinthes, et elle n'avait pas la moindre envie de se perdre. Un jour, elle le savait, elle trouverait la mort dans ce genre de couloirs - du moins, si l'Enclin ne prenait pas sa vie avant... Mais pas aujourd'hui. Comme bien d'autres Gardes, elle faisait toujours de son mieux, sans réussir, pour ne jamais penser à l'Appel qui l'attendait à la fin de sa carrière.

Elles se remirent en marche, prudemment. Isobel restait attentive au moindre bruit qui leur aurait été étranger. Rien jusqu'à présent... Le couloir s'élargissait graduellement, mais son sol irrégulier ne facilitait pas leur progression et l'odeur se faisait de plus en plus forte. La galerie ne semblait pas faire mine de s'arrêter, cependant. Combien de temps allaient-elles devoir marcher ainsi ? Pour l'instant, tout ceci ne ressemblait pas aux anciennes routes naines qui constituaient les Tréfonds, mais il suffisait d'une seule ouverture sur l'une d'elles, et...

-"Tu vois quoi que ce soit ?"