CONVALESCENT ANSWERS - Arda et Rosélie

Il faisait frais, à Kirkwall. Arda aurait critiqué ce temps peu agréable, d'habitude : mais là, elle n'avait pas la tête à ça.

Elle avait très peu dormi, ces derniers jours, malgré les recommandations des soigneurs. Elle avait bien trop de choses à faire et à gérer, et n’avait pas le temps de s’arrêter pour reprendre son souffle. Les conséquences de l’attaque sur les hommes de Felix Seneca se ferait ressentir longtemps encore. Ils avaient essuyés de telles pertes… oh, en causant beaucoup de dégâts sur place aussi, mais la naine était loin de s’en réjouir. Elle avait toujours prôné une approche en douceur. Sous ses ordres, elle en était sûre, tout se serait bien mieux passé. Mais leur plan entier avait viré à la catastrophe, et pire encore, le bras droit de l’Inquisiteur avait disparu. Bastian Van Markham… Lui et Arda ne s’étaient pas toujours bien entendus, mais sans lui, l’Inquisition était fortement affaiblie.

Le plus dérangeant était surtout de ne pas savoir où il se trouvait. Mort, sans doute – mais ce n’était pas sûr… Arda ne supportait pas cette incertitude. Depuis leur fuite en urgence, elle n’avait cessé de s’interroger à ce sujet. Elle avait posé ses questions à tous ceux qui l’avaient accompagnés durant ses derniers moments, bien sûr : mais leurs explications avaient été vagues, incertaines, et souvent conflictuelles. Certains disaient qu’il était mort, d’autres qu’il avait été capturé, d’autres encore qu’il était devenu fou ; certains affirmaient qu’il avait été trahi par l’un de ses alliés de l’Inquisition tandis que d’autres déclaraient ne rien avoir vu du genre. Mais tous s’accordaient sur une chose : la personne qui l’avait approché le plus, durant la bataille, qui lui avait parlé peu de temps avant leur fuite, en saurait plus sur lui.

Cette personne, c’était une elfe, une jeune mage de Kirkwall qu’Arda avait rapidement remarquée avant que leur mission ne parte en vrille. Elle avait participé à la diversion de Bastian – et, à priori, n’y avait pas démérité ; elle avait fait partie de ceux qui s’en étaient sortis en s’enfuyant sur le chariot volé aux templiers. Rosélie était son nom… et Arda avait beaucoup de questions à lui poser. Les forces de l’Inquisition n’allaient plus trop tarder à regagner leurs quartiers, donc c’était le moment ou jamais.

C’est pour ça qu’elle s’était rendue dans cette ancienne prison qu’on appelait la Potence, où vivait la jeune mage depuis sa fuite du Cercle d’Orlais. Vêtue d'une tunique bleu nuit et d'un châle broché d'une épingle d'argent portant l'insigne de l'Inquisition, elle marchait rapidement à travers ce labyrinthe peu accueillant. Elle avait vécu sur place aussi, durant le temps qu'elle avait passé dans la Cité des Chaînes : l'Archimage Iris lui avait offert une belle chambre, mais ce confort était loin d'être suffisant pour lui convenir parfaitement. Enfin, on faisait avec ce qu'on avait.

Arda s’était un peu renseignée sur la jeune elfe avant de venir la voir : elle aimait connaître les gens auxquels elle parlait. C’était une elfe citadine orlésienne ; avant la réinstauration des Cercles, elle n’avait jamais vraiment fait parler d’elle ; elle avait été fortement blessée durant les derniers affrontements, mais restait lucide. C’était là tout ce que la maître espion lui demandait.

Elle se dirigeait justement vers sa chambre quand elle remarqua un mouvement en haut d’une volée d’escaliers. Elle s’arrêta. Longs cheveux roux, stature menue : c’était elle. Elle se déplaçait avec des mouvements étaient lents et difficiles, témoignant de ses blessures, mais parvenait malgré tout à descendre les marches une à une… Plutôt que de monter la rejoindre, la naine resta en bas et observa sa progression, attendant qu’elle finisse par la remarquer elle-même pour prendre la parole.

-"Ah, Miss Rosélie, c’est bien ça ? C’est bon de vous revoir sur pieds." Elle s'approcha de quelques pas vifs. "Vous sortez marcher un peu ? J'ai quelques questions à vous poser, je vais vous accompagner." Ce n'était pas une proposition : ce qu'Arda voulait, Arda l'obtenait...

Arda, quelles que soient les circonstances, avait pour habitude de scruter les gens qu'elle rencontrait et d'estimer à la fois les dangers et les utilités potentielles qu'ils représentaient. Ainsi, mine de rien, elle observa attentivement la réaction de l'elfe. Rosélie avait peut-être été un peu surprise de la voir, mais ça ne l'empêcha pas d'accepter sa demande sans poser de questions inutiles... Elle semblait plutôt maligne - réflexion que la naine s'était déjà faite la première fois qu'elle l'avait vue, avant leur dernière mission. Tant mieux ! Elle n'avait pas envie de s'ennuyer à discuter avec une personne lente d'esprit.

Elle était à priori sortie pour aller se promener sur le port. Arda esquissa un sourire en entendant cela. "Je ne vous ai pas cherchée pour cela, non, mais ça ne signifie pas que je ne veux pas l'entendre." Elle réfléchit un instant. Elle se moquait bien des bienfaits de l'air marin, mais il y avait pire destination... Déjà, parce qu'elle leur permettrait de sortir de la Potence : Arda avait beau faire, elle ne pouvait s'empêcher de trouver l'endroit oppressant. Il faudrait simplement faire attention à ne pas trop se faire entendre. Kirkwall avait beau être un territoire ami, Arda ne voulait pas que des bruits se mettent à courir à propos de l'Inquisition. "Bien, je vous suis."  

Et elles se mirent en route. L'elfe était lente - pas naturellement, nota Arda, mais à cause de toutes ses blessures. Elle avait véritablement bien souffert durant la bataille, et pourtant, elle marchait déjà : c'était le genre de force d'esprit qu'Arda appréciait chez les gens. Elle se prit à regretter que la demoiselle ne soit pas sous ses ordres. "Vous semblez bien vous remettre", commenta-t-elle, préférant commencer par quelques politesses... "Si vous le souhaitez, je peux mettre les soigneurs de l'Inquisition à votre disposition. Nous avons un médecin très compétent. Une elfe... Elle pourrait peut-être vous aidez." Elle fit une pause et laissa Rosélie pondérer cela, continuant de marcher à son rythme à ses côtés. Elle tenait à la mettre en confiance un minimum avant de rentrer dans le vif du sujet... Elle voulait des réponses complètes, réfléchies, et pour ça, il fallait s'assurer que la jeune elfe y mette de la bonne volonté.

Après un silence, elle reprit la parole. "Bien. Miss Rosélie, vous n'êtes pas stupide. Vous vous doutez que je veux vous parler des événements d'il y a quelques jours." Elle leva les yeux vers elle. "Vous faisiez partie de l'équipe de mon confrère Bastian Van Markham. A présent, j'essaie de me faire une idée de ce qui s'est passé de votre côté de l'action, pendant les combats... J'aimerais que vous m'y aidez." Elle avait lancé le nom de Bastian comme si de rien n'était. Elle n'était pas du genre à faire dans le sentimentalisme... Elle marqua une pause et reprit : "Par exemple, parlez-moi des explosions qui ont troublé nos plans. Avez-vous pu remarquer qui était le responsable ?"

Arda avait toujours été à la fois une femme calme et une femme d'action. Elle aimait les solutions ne la mettant pas trop en danger ; elle préférait obtenir ce qu'elle voulait par des menaces ou de la manipulation plutôt que par de la violence directe ; mais ça ne voulait pas dire qu'elle était incapable de se défendre quand il le fallait. Elle l'avait prouvé à de nombreuses reprises dans sa vie - comme durant les derniers combats. Cependant, elle n'avait pas participé à l'attaque directe, ce jour-là, et c'était pour cette raison qu'elle devait se rapporter à ce genre de témoignages pour comprendre ce qui s'y était passé. En temps normal, elle aurait demandé à Bastian, mais...

Leur lente progression continuait. La naine avait commencé son interrogatoire en douceur, avec un commentaire sur la santé de l'elfe et une proposition qu'elle déclina. C'est vrai que les mages soigneurs semblaient avoir déjà fait un bon boulot... Et la jeune femme elle-même semblait plutôt bien le prendre, en allant de l'avant malgré ces difficultés. Si ses blessures l'affectaient, elle ne le lui montrait pas trop - encore une chose qu'Arda pouvait apprécier.

L'espionne avait déjà une bonne idée de la cause des explosions, que les paroles de la mage semblaient confirmer. La première, celle qui avait touché le champ de bataille, l'inquiétait plus que toutes les autres. Une bombe au lyrium, une arme dangereuse, qu'elle n'aimait pas savoir entre les mains de leurs ennemis. Bon sang...

Elle évita cependant d'interrompre l'elfe avec une nouvelle question, se contentant de hocher la tête. "Goran. Il est mort." Il avait eu de la chance de mourir plutôt que de se faire capturer, songeait Arda, que ce soit par les templiers ou par l'Inquisition qu'il avait trahie. Surtout s'il avait, comme Rosélie l'affirmait, trahit directement Bastian en plus de déclencher ce chaos explosif.

Et puis le sujet sujet revint sur Bastian, son comportement lors des derniers moments de la bataille. La naine écouta la jeune elfe continuer décrire ce qu’elle avait vu, impénétrable. Intérieurement, pourtant, son esprit tournait à toute vitesse. Ces informations étaient loin d’être rassurantes... Arda avait eu du mal à considérer sérieusement les témoignages parlant de la rage soudaine qui avait pris Bastian, mais cela semblait pourtant s’avérer exact – du moins d’après ce que Rosélie avait vu. Et l’explication était encore plus dérangeante… Ce fameux lyrium pourpre ! Arda était frustrée de ne pas en savoir plus à son propos. Elle avait espéré pouvoir en apprendre d’avantage en en ramenant en quantité à Kirkwall, après leur fuite, mais les analyses étaient longues et fastidieuses. Trop lentes à son goût. Et se remettre à l’expertise de mages sans pouvoir participer elle-même aux analyses l’agaçait beaucoup.

-"Vous êtes sûre de tout cela ? Vous l’avez vu de vos propres yeux ?" Elle avait besoin d’être certaine – ce n’était pas qu’elle doutait de l’honnêteté de l’elfe, mais elle devait savoir si ses infos étaient fiables. Il était possible, bien sûr, que dans la panique, elle ne se soit imaginé des choses. Elle semblait fiable et sûre d’elle, mais on était jamais trop prudent. Enfin… En toute franchise, Arda regrettait surtout de ne pas avoir pu être témoin direct de tous ces événements. Elle avait tendance à n’avoir une confiance complète qu’en elle-même, et se référer à des témoins pour un sujet aussi important l’ennuyait, surtout quand elle s’était trouvée si près des événements au moment où ils avaient eu lieu. "Était-il toujours en vie le dernier moment où vous l’avez vu ?"

Elle serra en desserra son poing après cette question. Bastian. L’avaient-ils réellement perdu ? Chaque bataille avait ses victimes. Elle lui avait toujours dit qu’il mourrait avant elle, stupidement et en hurlant. Ils avaient travaillé ensemble des années. Était-elle triste ? Elle ne pouvait pas se permettre d’être triste, pas maintenant. Principalement, elle étant franchement fâchée. C’était stupide, beaucoup trop stupide. "Miss Rosélie, dites-moi - et je vais vous demander de me répondre en toute franchise. Pensez-vous qu’il y ai une chance qu’il vive encore ?"

Arda réfléchissait. L’elfe était sûre de ce qu’elle avait vu – et elle était inclinée à lui faire confiance. Mais cela ne rendait pas les choses plus faciles à accepter… Tout spécialement quand elle parlait du sort de Bastian. Elle s’était interrogée à ce sujet, mais elle disait s’être rangée à l’avis qui semblait le plus répandu. Le bras droit de l’Inquisiteur était mort… Disparu, pour toujours

Cela fit un coup à Arda, plus qu’elle ne l’aurait cru. Elle se demanda si ces dernières années dans l’Inquisition l’avaient réellement adoucie à ce point. Elle n’était pourtant pas du genre à pleurer pour les autres… Et, bien sûr, une bonne part d’elle-même était avant tout préoccupée par les conséquences pratiques de cette perte, pour l’organisation et le reste… Mais elle ne pouvait ignorer qu’elle était aussi partiellement choquée par le fait qu’elle ne verrait plus jamais son ancien collègue. Où en étaient-ils, la dernière fois qu’elle l’avait vu ? Elle se souvenait s’être sentie formidablement agacée par son attitude belligérante, comme elle l’avait été tellement de fois… Et puis quoi ? Il était parti au combat de face, comme d’habitude, comme l’idiot qu’il était, et…

Et il restait cette elfe qu’elle ne connaissait même pas pour lui en parler.

Elle soupira et regarda la jeune femme, qui avait arrêté de marché. Elle commençait à pleurer... Elle se reprochait les événements. Arda la laissa s’asseoir sur une marche sans faire de commentaire. Ce genre de démonstrations d’émotions lui aurait habituellement déplu, mais Rosélie avait fait preuve de force depuis le début de leur entrevue, et en ce moment, Arda elle-même ne se sentait pas au sommet de sa forme. Elle songea à l'impact que la nouvelle aurait sur les troupes, à Therinfal... Sur l'état de santé déjà flanchant de l'Inquisiteur... Non, la situation n'était drôle pour personne.

Rosélie lui avait posé une question, peut-être pour tenter de détourner l'attention de ses larmes, ou dans l'espoir de recevoir une petite bonne nouvelle. Mais Arda ne put que répondre, sur un ton très sérieux :

-"Entre les dégâts de l’explosion et le nettoyage que les hommes de Seneca ont fait avant de repartir… presque rien, non." Les informations qu’ils avaient réellement pu récolter, c’étaient celles que son équipe avait trouvé durant leur infiltration, avant que les choses ne dérapent. Rien d'assez important pour justifier tout ce massacre. Mais ça, Rosélie n'avait pas besoin de le savoir, lui semblait-il.

A la base décidée à en rester là, Arda se surprit à continuer.

-"Ecoutez, Mademoiselle. Vous avez fait ce que vous deviez faire pour rester en vie. Il n’y a rien de plus important que cela. Rien." C’était là la toute première croyance de Arda, celle qui venait bien avant son engagement dans l’Inquisition, bien avant toute idée de morale, d’ambition, de loyauté. Et c’était elle qui l’avait maintenue en vie jusqu’ici, elle qui l’avait sortie du quartier de misère où elle avait grandi et hissée jusque l’endroit où elle se trouvait actuellement. Si quelqu’un devait mourir, autant que ce soit quelqu’un d’autre. Et si quelqu’un devait survivre, autant que ça soit elle.

-"Vous avez fait ce que vous pouvez. Gardez votre colère pour vos ennemis. Et si vous désirez continuer dans votre voie – votre engagement ici… Apprenez à ne pas regarder en arrière."

C’était là un conseil des plus personnels – peut-être pas le meilleur, mais aux yeux de la naine, il n’y en avait pas de plus pertinent. Elle ignorait ce que Rosélie en ferait… Mais la question qu’elle se posait surtout, c’était ce qui la poussait à agir ainsi. Elle n’était pas du genre à dorloter les autres, habituellement. Et si on aurait certainement pu faire plus réconfortant et personnel que cette discussion qu’elle avait maintenant… eh bien, venant d’elle, ce n’était déjà pas mal.

Elle ferma les yeux.

-"Nous aurons notre revanche. Je vous le garantis."

Voilà sur quoi elle devait se concentrer. Survivre, et faire tomber ses ennemis. Survivre, et faire tomber ceux qui la menaçaient. Cet ennemi avait eu de nombreux visages, pour Arda. Felix Seneca n'en était jamais qu'un de plus.