Doctors's orders | ft. Alerion

Eshalineva n’était rentrée à Therinfal que depuis quelques jours, mais elle n’avait pas pour autant eu le temps de se reposer. En fait, elle avait l’impression de ne pas avoir fait la moindre pause depuis la bataille dans les Marches Libres ; ou peut-être même depuis son entrée dans l’Inquisition, aurait-elle pu ajouter par plaisanterie.

L’attaque de ses alliés contre Felix Seneca n’avait pas été sensée être si sanglante. Une attaque surprise, discrète et rapide, voilà ce à quoi elle s’était attendue – ce qui ne l’avait pas empéchée de suivre les troupes jusqu’à Kirkwall, juste au cas où on y aurait besoin de ses talents. Elle avait bien fait : le jour venu, elle et les mages soigneurs de la Rébellion n’avaient pas été de trop. La situation avait dégénéré : il y avait eu des explosions, dont Esha ignorait aujourd’hui encore l’origine, et qui avaient fait de gros dégâts dans les deux camps. Ceux qui étaient revenus étaient tous réellement amochés, le genre de blessures qui ne peut que laisser des séquelles ; et le pire était que certains n’étaient pas revenus, leur sort restant incertain, mais certainement pas enviable. La dalatienne ne pouvait qu’espérer que Seneca aie de bons soigneurs de son côté également : il devait en avoir besoin.

L’une des personnes à être rentrée à Kirkwall mal en point était l’un des amis d’Eshalineva, un homme qu’elle avait déjà vu passer quelques fois dans son infirmerie et dont elle se sentait plutôt proche. Alerion avait eu la jambe écrasée sous des débris. Ceux qui étaient venus à son secours l’en avaient dégagé, mais le mal était fait, elle l’avait su dès qu’elle avait posé les yeux sur lui. Sa jambe était perdue… Et comme souvent, elle avait du prendre une décision difficile.

C’était loin d’être sa première amputation. En fait, son habitude des amputations était un sujet sur lequel elle aimait bien rire quand elle buvait un verre de trop à la taverne. Ses plaisanteries ne signifiaient pas qu’elle prenait la chose à la légère dans le feu de l’action, pourtant. Surtout quand il s’agissait de quelqu’un comme Alerion… Quelqu’un qu’elle connaissait, qui ne tenait pas en place, qu’elle devait déjà poursuivre avec ses médicaments pour avoir une chance de le soigner. Alerion, une jambe en moins… Malheureusement, c’était ainsi.

Il ne lui en voulait pas. C’était déjà un soulagement – même sans le vouloir, il arrivait que certains patients la blâment pour leurs malheurs. Mais elle se doutait bien qu’il ne devait pas très bien le vivre. Eh, elle-même ne le vivait pas très bien, incapable de se séparer de l’impression que peut-être, peut-être, elle aurait pu faire quelque chose de plus.

Ce qu’elle pouvait faire, en vérité, c’était l’aider à être plus mobile à présent. Il se débrouillait avec des béquilles, pour l’heure, mais elle avait en tête quelque chose de plus sérieux. Une fausse jambe, une prothèse en bois… Elle avait commencé à travailler sur l’idée quelques jours après la bataille… Elle ne lui en avait encore rien dit, de peur de lui donner de faux espoirs, mais à présent que ses plans étaient plus ou moins terminés, elle se disait qu’elle devait sans doute lui parler.

Mais pour ça, il fallait le trouver. Surprise-surprise, il n’était pas dans sa chambre où elle lui avait pourtant demandé de se reposer le plus possible ; il n’était pas dans la cour à faire une promenade lente dans un endroit facile d’accès, car cela aurait été trop facile ; il n’était même pas dans les cuisines, où eux deux avaient passé tant de temps à papoter qu’il lui semblait presque naturel de l’y trouver à présent. Elle avait fait le tour du fort, avait demandé à plusieurs personnes s’ils l’avaient croisé, pour finalement le trouver dans les écuries. Elle aurait du y penser plus tôt.

S’approchant, elle lança sans s’annoncer : "Tu sais, lethallin, je ne devrais pas avoir à jouer les pisteurs à chaque fois que j’essaie de te retrouver." Le pistage – c’était, ça avait été l’une de ses spécialités à lui. Elle, par contre… Elle était peut-être dalatienne, mais niveau chasse en pistage, elle n’était nulle part. "Viens, un peu, j’ai un truc à te dire."