Dream On

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“Yes: I am a dreamer. For a dreamer is one who can only find his way by moonlight, and his punishment is that he sees the dawn before the rest of the world.” ▲ Oscar Wilde

On pouvait croire qu'une telle maison fourmillait toujours d'activité, qu'aucun jour ne ressemblait à un autre, mais même au cœur du pouvoir tévintide, on trouvait une routine, et c'était rassurant. Waylian s'était bien vite habitué à sa condition, en particulier car elle était un peu plus spéciale qu'on pouvait le penser. Il avait également su plaire au Divin et se rendre utile auprès du frère de ce dernier : on ne pouvait pas dire qu'il était en mauvaise posture. Certains esclaves vivaient mieux que beaucoup d'hommes libres : Waylian ne pensait pas un jour vérifier cette hypothèse qu'il pensait fantaisiste.

Il avait gardé quand même beaucoup de choses pour lui en vivant auprès du Divin, notamment sa capacité à voyager dans les rêves. Ce n'était pas dans son habitude d'user de ce don très spécial pour s'immiscer dans la vie des gens : il préférait de loin en apprendre davantage sur l'Histoire qu'autre chose... Mais il avait dû faire une entorse à son code de conduite il y a quelques nuits de cela, officiellement pour rassurer Renatus. En réalité, il avait eu un coup de panique et s'était inquiété pour Faustus.

Compte tenu des occupations de chacun, Waylian et le Divin ne s'étaient pas vraiment croisés ensuite, jusqu'à ce jour. Comme à son habitude, l'elfe profitait de sa fin d'après-midi pour somnoler dans un coin de la bibliothèque privée de Faustus, ne souhaitant pas attiser la jalousie des autres esclaves en s'affichant en train de dormir.

Trop perdu dans les contrées d'une Tevinter depuis longtemps oubliée, il n'entendit rien quand Faustus entra. Il n'avait toujours pas fait le rapprochement avec Verius, d'ailleurs, et ignorait que le Divin pouvait se changer en chat.

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I saw you in my dreams, and I'm wondering if by any chance...

Songeur, mes doigts tapotent en rythme contre le bois du meuble sur lequel je suis actuellement accoudé. Mes pensées s'égarent, elles errent au grès de mes envies et de mes préoccupations du moment. Devant moi, un amoncellement de paperasse aussi indigeste qu'inutile s'étale mais je ne le vois plus. Le regard dans le vide, je fixe un point vague, à quelques mètres de là. La journée tire sur sa fin, et je me sens las. Toute motivation envolée, je n'ai plus la moindre envie de faire ne serait-ce qu'un effort supplémentaire. Avec un soupir de frustration, je me lève soudainement de mon fauteuil pour quitter le bureau d'un pas décidé. Assez travaillé pour aujourd'hui, si je pose encore les prunelles sur le moindre document officiel de l'empire, je jure que je me jette par la fenêtre.

Tandis que je me dirige vers les cuisines pour y attraper quelque chose à grignoter en attendant le dîner, je dépasse la porte de ma bibliothèque personnelle sans même y accorder un regard... Quoique. Subitement titillé par la curiosité, je tourne les talons et pousse l'un des battants de bois massif et sombre, pour pénétrer dans la vaste salle débordante d'ouvrages et volumes en tout genre. Je referme soigneusement la porte derrière moi, et me mets à marcher entre les rayonnages, le pied léger, discret. Sauf erreur de ma part, je devrais trouver Waylian, niché quelque part entre les livres, comme à son habitude. Et justement, à présent que j'ai du temps libre, il y a quelques petites choses que j'aimerais éclaircir avec lui.
C'est au détour de la section des tomes de nécromancie que je finis par trouver l'elfe... Assoupi sur l'un des coussins que j'aime à éparpiller un peu partout au sein de ma demeure, aussi bien pour Verius que pour moi-même. Je dois l'avouer, la tentation est grande de me métamorphoser pour venir le taquiner un peu. Cependant, je retiens mes envies de jeu. Je ne suis pas là pour ça. Le silence et la paix qui règnent ici sont propices au repos, et pour être honnête, je songe, l'espace de quelques instants, à venir m'allonger là moi aussi. Goûter à la tranquillité, tout simplement.

Malheureusement, je ne peux pas me le permettre. Je me contente donc d'attraper un coussin vacant pour l'installer plus ou moins en face de mon esclave, et m'y assois. Là, je me penche en avant pour secouer doucement son bras, tout en glissant d'une voix ferme, mais néanmoins douce :

- Debout, le Rêveur. Tu me dois quelques explications, il me semble.

.SHADOW

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“Yes: I am a dreamer. For a dreamer is one who can only find his way by moonlight, and his punishment is that he sees the dawn before the rest of the world.” ▲ Oscar Wilde

Waylian n'avait pas le sommeil particulièrement lourd aujourd'hui, une chance puisque c'est le jour que choisit le Divin pour venir le réveiller. En sentant une pression sur son bras, et surtout, la voix de Faustus, Waylian se réveilla presque en sursaut. Le ton avait beau être doux, les mots qu'il prononçait l'étaient moins.

— Hein que quoi... Des... des explications ?

Qu'est-ce qu'il avait fait encore ? En tant qu'esclave de la maison Scaevola, il faisait tout ce qu'on lui demandait, peut-être un peu moins par flemme, mais pas de là à se faire engueuler, si ? Paniqué, Waylian se redressa comme il le put, essayant de faire face à la sanction encourue. Même s'il n'avait toujours pas compris ce qu'il avait fait.

Et puis, avec quelques minutes de retard, son cerveau percuta. Rêveur, hein ? Il ne pensait pas que le Divin l'aurait démasqué aussi facilement, pas après une seule petite intervention de rien du tout.

— Je... Je ne le referais plus.

S'il n'y avait que ça pour faire plaisir à Faustus, alors ce serait vite réglé. Waylian avait outrepassé les limites des bonnes manières en s'imposant dans un rêve qui n'était pas le sien (et le fait que ce soit un cauchemar qu'il ait pu calmer ne changeait rien à cela ) et il en prendrait toutes les responsabilités.

— J'aurais dû demander votre permission... je suppose.

Bah oui, au moins ça. Ce n'était pas très très poli de venir se balader dans les songes des autres, non ?

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C'est avec un certain amusement bien dissimulé que je vois Waylian s'arracher aux griffes du sommeil d'un air plus ou moins paniqué. Allons bon, a-t-il quelque chose à se reprocher, pour craindre ainsi d'échanger quelques paroles en ma compagnie ? Hormis le fait qu'il ait volontairement fait l'impasse sur l'une de ses capacités de mage, évidemment. Et pas des moindres, il faut dire ce qui est. Les Rêveurs sont rares, ce qui, si on me demande mon avis, n'est pas plus mal. J'ai déjà suffisamment peur que Aquila ne se glisse une nouvelle fois dans mes songes comme ça, nul besoin que je me mette à craindre des intrusions à répétition.

Je laisse l'Elfe balbutier, retrouver ses esprits, me contentant de le toiser d'un regard neutre tout en croisant les bras. Il ne cherche pas à s'esquiver, ni même à nier. En soi, c'est déjà mieux que rien. Cela ne répond en rien à ma demande d'explications, mais puis-je vraiment attendre une réponse claire et rationnelle de la part de quelqu'un qu'on vient de tirer du sommeil ? S'il faut que je précise ma pensée, eh bien soit.

- Ce n'est pas ce que j'aurais voulu entendre. Des excuses auraient été un bon début. Effectivement, j'aurais préféré que tu me demandes la permission de t'immiscer dans mes rêves, au lieu de le faire de ton propre chef. Mais pour cela, il aurait fallu que tu me dises la vérité, Waylian. Cependant... Je te remercie pour ce que tu as fait pour moi, cette nuit-là.

Autant être honnête, j'ai apprécié le geste. Après son intervention, j'ai pu dormir paisiblement jusqu'au matin, ce qui est relativement rare. Oh, et tiens, tant que j'y pense... Un léger sourire amusé s'esquisse sur mes lèvres tandis que je reprends la parole, le ton joueur plus qu'accusateur.

- A propos de permission, quand je te demande de prendre soin de mon frère, cela ne signifie pas que tu doives te plonger dans son bain. Note que j'apprécie ton dévouement, ceci dit.

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Le Divin était intimidant, ce n'était rien de le dire : Waylian s'affaissa un peu sur lui-même, comme s'il voulait fusionner avec son coussin et disparaître totalement. Des excuses, c'est vrai. Il aurait pu en faire... Il allait le faire, même s'il était un peu tard, mais Faustus lui dit également qu'il le remerciait. Perplexe, Waylian releva les yeux vers lui pour savoir enfin sur quel pied danser.

— Je... je suis vraiment désolé... Je voulais juste m'assurer que vous alliez bien.

Il allait expliquer dans le détail, mais Faustus le coupa dans son élan en évoquant le bain pris avec Renatus. Comment avait-il su ? Avait-il des yeux partout dans cette maison ? Mortifié, Waylian écarquilla les yeux et ouvrit la bouche silencieusement. Il avait commis un impair en étant si proche de Renatus, il le savait...

— Comment... Mais je... Il semblait avoir besoin de moi. Je ne savais pas si ç'aurait été judicieux de refuser, il avait l'air perdu. Enfin, je ne veux pas rejeter la faute sur lui, c'est bien normal, dans sa situation...

Waylian se confondait en explications, et il n'avait même pas encore commencé à réellement dire ce qu'il voulait dire à Faustus. Cette histoire de bain, et surtout la manière dont le Divin aurait pu être au courant le perturbait bien trop.

— Je suis désolé de ne pas vous avoir dit que je pouvais arpenter les rêves. Je regrette, vraiment. Je ne savais pas si je pouvais vous faire confiance, si vous n'alliez pas chercher à m'utiliser pour ça... Je ne vous connaissais pas. Je ne vous connais pas beaucoup plus aujourd'hui, mais je sais que vous n'êtes pas quelqu'un de cruel. Vous avez sauvé votre frère, et la nuit où je... je suis entré dans vos rêves, c'était parce qu'il était venu me voir. Il avait cauchemardé, il avait peur que vous soyiez mort, ou que quelque chose vous soit arrivé alors je l'ai rassuré, mais j'ai eu peur aussi. C'est tout.

Il inspira un grand coup et détourna le regard. Il était prêt à assumer ses actes et à endurer les punitions qu'il méritait.

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Honnêtement, plus le temps passe, et moins je sais sur quel pied danser en ce qui concerne Waylian. C'est un Elfe, certes. Mais pour une obscure raison, il me paraît différent des autres. Le fait qu'il soit un Somniari pourrait être une explication valable, cependant... Je viens à peine de découvrir ce fait, il ne peut donc s'agir de cela. Non, c'est quelque chose d'autre. J'ignore simplement de quoi il s'agit pour le moment. Soit. La patience est l'une de mes qualités, et je saurai attendre de comprendre le pourquoi de cette affaire.
Reste que je me retrouve quelque peu partagé. Et je le suis d'autant plus lorsque les mots de l'esclave s'enchaînent. Que Renatus ait été perturbé au point de réclamer de l'affection jusque dans son bain, je veux bien le croire. Je commence à connaître mon demi-frère, et ce n'est pas étonnant. Quelque part, je me sens un tantinet coupable d'avoir dû le laisser seul, ce soir-là. Alors si effectivement une pointe de... Jalousie ? M'aiguillonne désagréablement le coeur, au fond je suis satisfait de savoir que Waylian a pris soin de lui et ne l'a pas laissé se noyer dans sa détresse.

Lorsqu'il affirme avoir eu peur pour moi, je ne peux m'empêcher d'arquer un sourcil. Est-il sincère ? Ou bien tente-t-il tout bonnement de m'adoucir pour éviter une hypothétique punition ? Bien vite, je me serine intérieurement ; comment pourrait-il réellement se soucier de ce qui m'arrive, alors que j'incarne très certainement à ses yeux sa liberté perdue, moi qui suis l'homme auquel il doit sa condition d'esclave et qu'il doit dorénavant considérer comme son maître ? Impossible qu'il soit sincère.

- Que veux-tu qu'il m'arrive, enfermé à double-tour dans ma chambre ? Je laisse échapper un léger soupir. Non, je n'ai aucune intention d'utiliser ce talent qui est le tien. Je préfère m'en sortir par mes propres moyens. Ceci dit... Si tu en es capable, j'apprécierais que tu empêches d'autres Rêveurs de s'immiscer dans mes songes. Il y a des sujets quelque peu... Sensibles, que j'aurais en horreur de voir dévoilés au grand jour.

Par chance, le cauchemar que Waylian a interrompu l'autre nuit était quelque chose de relativement neutre. Enfin, selon mon point de vue. Je préfère qu'il soit tombé nez à nez avec ma peur de l'Apaisement qu'en face d'une réminiscence de mon enfance brisée. Cela reste moins gênant à justifier, et lui-même étant mage, je sais qu'il me comprendra.
Alors qu'il détourne la tête, comme s'il craignait de voir de l'agacement ou de la colère déformer les traits de mon visage, mon regard s'accroche sur la pointe de son oreille, qui s'échappe derrière sa chevelure dorée. Après une hésitation de quelques instants, je tends la main et glisse mes doigts entre ses mèches pour venir à nouveau recouvrir son oreille. Sans savoir pourquoi, je n'aime pas qu'on me rappelle à quelle espèce appartient Waylian. Et ces extrémités pointues sont des preuves accablantes. Par chance, elles sont la plupart du temps cachées.
Puis je me lève finalement, arrangeant les plis de mes vêtements, avant de reprendre la parole.

- J'ai dans l'idée de maîtriser une nouvelle transformation, peut-être veux-tu m'aider à trouver les bons ouvrages ? Tu vas finir par connaître cette bibliothèque mieux que moi.

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La punition que Waylian attendait tardait tellement à arriver qu'il songea que le Divin jouait peut-être avec lui. À moins qu'il n'ait vraiment pas l'intention de le punir ? En tout cas, il trouvait que de s'inquiéter pour lui était stupide, mais Waylian n'était pas de cet avis.

— Il y a toujours un risque. Magique, ou plus... classique. On entre dans votre chambre, vous vous y enfermez, et personne ne peut vous secourir d'un éventuel assassin... Sauf vous-même, bien sûr. Je...

Il soupira à son tour, esquissant un léger sourire bien malgré lui. Il était idiot et il le savait parfaitement.

— J'imagine que vous ne m'avez pas attendu pour y penser. Mes excuses. Je ne voulais pas sous-entendre que vous étiez mal protégé juste... Sur le coup, j'ai paniqué.

Quant aux capacités si spéciales de Waylian, Faustus disait qu'il n'avait pas l'intention de les utiliser... tout en embrayant sur le fait que si, il aimerait bien les utiliser quand même. Repousser les attaques extérieures, protéger l'intimité du Divin, tout cela était tout à fait dans les cordes de Waylian.

— Oui, bien sûr. Mais vous faites vraiment autant de cauchemars ? Aussi terribles ? Pas étonnant qu'il ait toujours autant de cernes, et qu'il ait l'air si fatigué. Parce que je pourrais vous aider aussi, je veux dire, ça me ferait plaisir d'être utile.

C'est vrai que pour le moment, Waylian avait beaucoup pris au Divin sans vraiment le lui rendre. Il squattait sa maison, sa bibliothèque, lisait ses livres, embêtait son chat... Il pouvait bien garder ses rêves et empêchait qu'un étranger ne vienne mettre son nez là où il ne fallait pas, tout en veillant aussi sur son sommeil.

Il allait ajouter quelque chose à sa défense, mais Faustus lui coupa l'herbe sous le pied en venant remettre une mèche de ses cheveux sur ses oreilles. Waylian rougit; il ne savait pas comment prendre ce geste. Devait-il en conclure qu'il n'était qu'un elfe que le rappeler dérangeait le Divin, ou au contraire, que ce dernier l'aurait préféré humain ? Il avait presque envie de poser la question, mais il n'en eut pas le temps. Faustus voulait travailler ses... transformations.

— Vous pouvez vous transformer ?

Way se releva en remettant bien ses vêtements et en prenant garde de bien laisser les ondulations paresseuses de ses cheveux dorés cacher les pointes de ses oreilles. Il se dirigea sans hésiter vers un rayon et sortit quelques grimoires.

— Je n'ai pas la prétention de connaître cet endroit mieux que vous... mais je peux vous aider, je pense.

Il déposa les ouvrages sur l'un des bureaux, et puis fouilla sa mémoire un moment pour chercher s'il n'y avait pas d'autres références intéressantes. Mais son esprit était trop parasité par des questions qui n'avaient rien à voir, tant et si bien qu'il ne put s'empêcher de les poser :

— Divin... Est-ce que je vais être puni ? Je... Je me rends compte de la chance que j'ai d'être ici, et je ne voudrais pas que vous songiez à me renvoyer... Enfin, me revendre. Ici au moins, je n'ai pas l'impression d'être un elfe. Pas tout le temps, du moins.

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Waylian a l'air de soutenir mordicus qu'il se soucie sincèrement de mon sort ; si bien que je commence à douter. Il est vrai que ses paroles paraissent honnêtes, mais une petite voix continue de me murmurer que cela ne peut pas être vrai. Que ce sont forcément des mensonges destinés à s'attirer mes bonnes grâces, qu'il cherche seulement à se protéger. Cependant, je fais le choix de faire comme si. La perspective que ma vie puisse importer à quelqu'un à quelque chose d'agréable, même s'il s'agit d'un de mes esclaves. Oh, la plupart n'ont pas à se plaindre, je ne suis pas un maître foncièrement désagréable à supporter, je pense même être l'un de ceux chez qui il fait bon tomber. Mais de là à ce qu'ils s'inquiètent de mon état, il y a une sacrée différence.

- Ne panique pas pour si peu. Si quelque chose allait mal en ce qui me concerne, je pense que la maison aurait tôt fait d'être réveillée par les miaulements désespérés de Verius. J'arque ensuite un sourcil, accueillant sa proposition avec un certain scepticisme. Pour l'heure, je préfère ne rien répondre, et prendre le temps d'y réfléchir. La seule idée de laisser librement l'Elfe errer au beau milieu de mes rêves n'est pas forcément pour me plaire, je crains qu'il ne mette le doigt sur des informations sensibles me concernant. Toujours est-il que je caresse cette perspective de nuits débarrassées de tout cauchemar. J'hésite.

Un léger sourire amusé vient rapidement étirer le coin de mes lèvres, ceci dit. L'Elfe a-t-il commencé à comprendre, ou bien est-il encore muré dans son innocence ? Pour l'instant, il semblerait qu'il ne fasse pas le lien entre le chat noir et ma personne. Il doit encore croire qu'il s'agit de Verius. Tant mieux, je suppose ? Cela me laisse d'autres opportunités dans un avenir proche.
Je le laisse sagement aller piocher sur les différentes étagères, vérifiant d'une rapide oeillade le titre des ouvrages qu'il vient poser sur une table. Bons choix, ces volumes sont de solides références dans le domaine de la métamorphose. Mais voilà que le doute assaille à nouveau Waylian, qui prend le courage de s'exprimer. Une nouvelle fois, je laisse échapper un soupir discret. Suis-je vraiment si effrayant que cela ? Il faut croire que oui.

- Tu ne seras pas puni, et encore moins vendu. D'une part parce que je ne peux pas prendre le risque de laisser un Rêveur entre les mains du premier venu... Mais aussi car, je dois bien l'avouer, je me suis quelque peu attaché. Suis-je sincère ? Oui, même si cela blesse mon ego de l'admettre, c'est le cas. Je n'exclus néanmoins pas d'ainsi le mettre de mon côé, me prémunissant éventuellement au passage d'une tentative de trahison future. Je pense toujours au pire, oui. C'est pourquoi je prends le risque d'accepter de me livrer un peu plus. J'avance mes pions sur l'échiquier, en priant pour qu'on ne me prenne pas à revers sur un flanc que j'aurais laissé sans surveillance. Pour en revenir à mes rêves... Le cauchemar que tu as interrompu n'est pas le plus terrible que je puisse faire. Aussi, il est vrai que j'apprécierais quelques interventions, ponctuellement. Ceci dit, je compte sur toi pour garder tes lèvres fermement closes par rapport à ce que tu seras fatalement amené à y voir. Si je devais apprendre que tu as eu la langue bien pendue, je me verrais forcé de sévir.

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Faustus assura à Waylian qu'il n'aurait pas dû paniquer, et ce dernier pensa sincèrement qu'il avait raison. Il ne pouvait juste pas s'empêcher de s'inquiéter pour lui, aussi stupide que cela puisse paraître. Il soupira, hocha la tête et se mit ensuite au travail. Le Divin avait visiblement besoin de son aide pour s'y retrouver plus facilement dans sa bibliothèque, tâche que Waylian pouvait aisément remplir. Il connaissait bien l'endroit désormais, et trouva en quelques minutes des ouvrages de références qui pouvaient répondre aux questions de Faustus.

Mais la conversation n'était pas terminée. Waylian demanda s'il allait être vendu, ou simplement puni, mais ce n'était pas le cas. Si Faustus doutait que son elfe s'inquiète de sa santé, ce dernier doutait que son maître soit si indulgent avec lui. Cela dit, il avait une bonne raison : Waylian avait un pouvoir trop précieux pour le laisser entre de mauvaises mains. Il avait commencé à prendre une mine un peu déçue malgré son soulagement, quand Faustus parla de s'être attaché. Un peu comme à un animal perdu, un chaton ramassé dehors. Waylian aurait dû se sentir rassuré, mais le tourbillon de ses sentiments était plus complexe que cela. Il garda le silence, inclinant seulement légèrement la tête en guise de réponse.

La suite fut plus étonnante encore. Le Divin acceptait que Waylian s'occupe de ses rêves, car ce qu'il avait pu voir n'était que la partie émergée de l'iceberg.

— Je n'ose imaginer votre paysage onirique si l'Apaisement n'est pas la pire chose... Pour être honnête, c'est là mon pire cauchemar, et une des raisons pour lesquelles j'ai fui.

Bon, il s'était retrouvé esclavagé d'un autre côté, mais il était au-delà de l'influence néfaste de Faustine V, ce qui était déjà ça de pris. Quant à tenir sa langue, Waylian hocha de nouveau la tête pour confirmer qu'il garderait le silence.

— Je serais bien idiot de vous trahir, Divin. J'avoue ne même pas en avoir l'envie, à croire que votre attachement n'est pas à sens unique...

Cependant, il restait encore une inconnue. Waylian y réfléchit un peu seul, avant de retourner dans les rayonnages, pensif. De dos à Faustus, il demanda très simplement :

— Comment saurai-je que vous avez besoin de moi ?

Il hésita un petit moment, avant d'ajouter avec un sourire et sur le ton de la plaisanterie :

— Vous allez faire comme votre frère et venir me rejoindre dans mon lit en pleine nuit ? Pas que ça me dérange mais... c'est surprenant.

Waylian rit doucement, rasséréné bien plus qu'il ne le pensait. Le Divin le considérait peut-être comme un petit chat, mais il ne comptait pas s'en débarrasser, et lui pouvait se rendre enfin utile.

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On ne peut pas dire que je sois une personne très ouverte. Ce serait même tout l'inverse, à vrai dire. Méfiant, paranoïaque même -oui j'en suis conscient- je ne fais confiance à personne ; ou à si peu de gens. Je n'apprécie guère qu'on m'approche, peu importe la manière. C'est en cela que Waylian m'interpelle, entre autre détails. D'une façon que je ne m'explique pas, l'Elfe semble parvenir à se frayer lentement mais sûrement un chemin à travers la gangue de glace que je m'efforce de dresser entre le reste du monde et moi. Par quel miracle ? Je n'en ai pas la moindre idée. En pas loin de quarante années d'existence, c'est la première fois qu'un individu de son espèce gagne un certain intérêt à mes yeux, si bien que j'en arrive à considérer Waylian comme la victime préférée de mes farces félines, et qu'il pique ma curiosité au vif. Cependant, je me garde bien de montrer un quelconque favoritisme, ce ne sont pas là mes habitudes, et j'ignore comment le reste de mes esclaves réagiraient si tel était le cas. Surtout que d'une certaine manière, il se trouve déjà privilégié. Je crains de lui attirer l'hostilité des autres serviteurs de la maison, en lui accordant davantage que ce qu'il possède déjà.
Le seul fait que je me soucie de ce genre de détails le concernant est significatif d'une affection plus que certaine que je commence à lui porter... Et qui m'effraie quelque peu, je dois l'avouer. J'aimerais que les choses soient plus simples, parfois.

- Disons que j'ai eu une vie... Compliquée. Tu ne tarderas pas à comprendre de quoi je veux parler, et à constater l'étendue des dégâts.

L'elfe avoue ensuite à demi-mots que mon attachement à son égard serait réciproque, et honnêtement... Je ne sais plus quoi penser. Une part de moi, de plus en plus influente, rêverait d'y croire, et s'y accroche désespérément ; mais ma raison ne me quitte pas pour autant, et une nouvelle fois je crains un calcul de sa part. Me voilà partagé, déchiré oserais-je dire, entre mes souhaits et mon besoin de rationalité. Il semble sincère. Mais la trahison m'apeure trop, est une perspective bien trop douloureuse, pour que je m'accorde le luxe d'y croire. J'ai déjà suffisamment souffert au cours de mon existence.

Un léger sourire étire le coin de mes lèvres, quand j'entends Waylian évoquer la possibilité que comme Renatus, je vienne le rejoindre dans son lit au beau milieu de la nuit. Oui, pour cela aussi je suis au courant. Afin de chasser mes idées noires, je décide de m'engager à mon tour dans le jeu que l'Elfe vient -inconsciemment ou non- de lancer. C'est pourquoi, après une vive réflexion de quelques instants à peine, je m'approche à pas de velours dans son dos, pour glisser à son oreille sur le ton de la confidence :

- Si jamais j'ai envie de ce genre de choses, je préférerais autant que ce soit toi qui viennes te perdre dans mes draps plutôt que l'inverse. Le confort de mon lit me manquerait trop. Puis, tranquillement, l'ombre d'un sourire toujours accroché au visage, je m'écarte pour le dépasser, et me saisis d'un autre volume, en hauteur, que j'ouvre pour le feuilleter brièvement. C'est une bonne question, sinon. Je dois avouer que je sais peu de choses sur les Somniaris, donc je vais prendre le parti de te faire confiance, et te laisser faire ce que tu juges le plus approprié. Ceci dit, je pars pour Qarinus dans une petite semaine, ça te laissera le temps de réfléchir à comment procéder. Avant de poursuivre, mes prunelles quittent les lignes de l'épais grimoire pour retourner se ficher dans celles de l'elfe. Je compte d'ailleurs sur toi pour garder un oeil sur mon frère durant mon absence, Waylian. Je reviendrai relativement vite, je ne peux pas me permettre de m'éloigner de Minrathie bien longtemps, mais je serais rassuré si je savais Renatus sous garde avant mon départ.

Pas que je ne me fie pas à Soren, évidemment que je lui accorde une grande confiance, mais il est très pris par le reste de ses obligations, c'est pourquoi je préfère confier la tâche à Waylian.

.SHADOW

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Quelles peurs se tapissaient dans le cœur du Divin pour que l'Apaisement ne soit pas sa plus grande frayeur ? Waylian redoutait d'en savoir plus désormais, mais curieux comme un chat, sa crainte n'était pas assez forte pour qu'il renonce. Son attachement certain à Faustus l'en empêchait également : s'il était par nature secret, Waylian était rarement mal intentionné ou pessimiste. Ces dégâts dont le Divin parlait, l'elfe se sentait gêné et dans le même temps honoré d'en avoir connaissance. Il espérait seulement qu'il pourrait réellement faire quelque chose d'utile pour le Divin. Il n'avait rien à répondre de bien intelligent, alors il inclina seulement la tête : il avait compris, il mesurait toute l'importance de ce que lui confiait Faustus.

L'atmosphère se détendit un peu ensuite, Waylian cherchant à savoir si Faustus était également au courant pour les escapades nocturnes de son frère. Vu le manque de réaction du Divin, l'elfe en déduit que oui, il savait. Comment faisait-il pour tout savoir à ce point-là...? Peut-être que Renatus le lui avait dit, tout simplement ? Enfin, ce n'était pas important, et vu la façon dont Faustus répondait à sa plaisanterie, plus grand-chose n'avait d'importance... En dehors de sa voix qui se glissait dans son cou pour venir s'insinuer directement dans son cœur, sans passer par son cerveau. La présence de Faustus juste derrière lui, furtive et silencieuse comme l'ombre d'un fauve, le fit rougir violemment jusqu'à la pointe de ses oreilles. Il ne s'était pas attendu à autant de proximité, aussi vite.

Il cherchait quelque chose à répondre, mais il n'en eut pas le temps : Faustus lui coupa l'herbe sous le pied en redevenant sérieux et lui laissant carte blanche sur la méthode à adopter. Tout n'était pas gagné, mais il avait la confiance du Divin : il lui confiait sa bibliothèque, son savoir, ses rêves, et même son frère. Cette fois, il n'était plus question de plaisanter.

— Je... Je me montrerai à la hauteur.

Cela dit, il n'était pas un guerrier, et il ne pourrait pas protéger Renatus contre toutes les menaces. Tout au plus pouvait-il lui offrir de la compagnie, de la conversation et veiller sur son sommeil... Aux yeux de Waylian, cela ne pesait pas bien lourd. Vérifiant une dernière fois que Faustus avait tous les volumes qui pouvaient lui être utiles, l'elfe se plaça un peu en retrait pour le laisser travailler.

— Votre absence, aussi courte soit-elle, laissera un vide en ces lieux. Je pourrais garder vos draps au chaud, si vous le souhaitez.

Un fin sourire étira ses lèvres rougies d'avoir été mordillées, alors que le rose lui montait de nouveau aux joues. S'il s'était vu, il se serait sûrement mis quelques gifles tant il avait l'air d'un adolescent face à son premier prétendant. Bon, ce n'était pas non plus très loin de la vérité.

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Avec un peu de recul, je finirai par me demander ce qui me prend. C'est à un Elfe que je confie non seulement mes plus précieux ouvrages, mais également mes rêves et jusqu'à mon propre frère. Au nom de quoi et depuis quand ces créatures-là ont-elles gagné autant de crédit à mes yeux pour que j'en arrive à un tel point ? Cependant, il y a une nuance importante à faire, dans cette histoire. Une nuance qui change tout, et que je commence seulement à entrevoir. Ce n'est pas un Elfe quelconque, il s'agir de Waylian. Pour une obscure raison, une dissociation lente mais sûre s'est amorcée, quelque part au sein de mon esprit. Je ne saurai pas l'expliquer, mais c'est différent, voilà tout.
Ceci dit, sur l'instant je ne vois pas où se trouve le mal. J'ai, de toute manière, l'esprit bien trop accaparé par cette escapade prochaine vers Qarinus qui me tarde plus qu'elle ne devrait. Quitter Minrathie me fera du bien, je crois.

- Je n'en doute pas. me contenté-je de répondre sobrement, sans prendre la peine d'ajouter qu'il le regretterait si je devais avoir mal placé ma confiance. Cela, je crois qu'il le comprend très bien de lui-même. Si un de mes sourcils s'arque non sans un certain amusement à la suite de ses paroles, j'estime qu'il est néanmoins nécessaire de redresser le tir. Je doute manquer à qui que ce soit durant mon absence ; hormis à Renatus. Et quand bien même je me trouve de l'autre côté de la mer, ce n'est pas une raison pour venir t'accaparer mon lit. Laisse-moi, j'ai du travail.

D'un vague signe de la main voilà l'Elfe congédié, tandis que je m'assois pour me plonger dans les vieux grimoires.

.SHADOW