One last drink before we go | ft. Maedhros [FB]

Les bords du lac Calenhad étaient aussi beaux que le disaient les rumeurs. Les eaux bleutées miroitaient au soleil, reflétant un ciel d'été où le jour se transformait progressivement en nuit... De nombreuses plantes poussaient un peu partout et l'on pouvait entendre chanter oiseaux et grenouilles - et aussi, moins agréablement, un certain nombre de moustiques. Il était difficile de se douter que la route vers Denerim ne se situait pas très loin, tant la nature semblait intacte : on aurait pu se croire en plein territoire sauvage. Seule trace de l'activité humaine du pays, la Tour des Mages de Ferelden se tenait au milieu de l'eau, isolée sur son île : elle était éloignée, mais de par sa taille, on la voyait plutôt bien. Un beau bâtiment... si on faisait abstraction de son histoire pas toujours joyeuse.

C'était à même le rivage du lac qu'Eshalineva et ses compagnons s'étaient installés, l'aravel dans lequel elle stockait tout ses affaires immobilisé au bord de l'eau. La dalatienne avait toujours aimé ce genre d'endroit : la mer avant tout, bien sûr, mais un lac aussi grand que celui-ci semblait tout aussi respectable. Calenhad n'était pas qu'un lac : c'était un véritable joyaux... Ce n'était d'ailleurs pas la première fois que la doctoresse le visitait, même si jamais encore elle ne l'avait fait sans son clan : là, elle n'était accompagnée que par Tamariel, son protecteur, compagnon, et plus encore, originaire de son clan, et de cet autre elfe rencontré au hasard de ses voyages avec lequel elle voyageai depuis quelques temps.

Il s’appelait Maedhros. Un drôle de personnage... Un elfe citadin, bavard comme pas deux, un vrai puits d'informations plus ou moins intéressantes. Le courant était assez vite passé avec Eshalineva, qui avait rapidement apprécié la conversation du blond même s'il fallait avouer qu'il pouvait devenir saoulant. Il était intéressant, étrange, et clairement unique, et Esha pouvait apprécier cela. On ne pouvait pas en dire autant de Tamariel. Moins patient, sans doute un peu revêche, il avait rapidement prit le parti d'éviter un maximum de discuter avec leur compagnon temporaire... reprochant même à mots couverts à sa compagne de lui avoir proposé de voyager ce concert. Chose qu'elle avait plutôt mal pris.

Ils s'étaient encore disputés, la nuit précédente, et ils avaient passé la journée entière à éviter soigneusement de s'adresser la parole. Eshalineva avait pris l'habitude de ces conflits de couple, éreintants mais semble-t-il inévitables, et pourtant il lui arrivait de plus en plus souvent de regretter que cet amant compliqué ne l'ai suivie dans son grand voyage d'apprentissage à travers Thedas... Elle l'aimait, indéniablement, mais ils étaient si rarement sur la même longueur d'onde... C'était une chose de vivre en couple au sein d'un clan tel que les Lavellan, s'en était une autre de partager un Aravel à deux et de voyager ainsi pendant des mois ! Elle se disait de plus en plus souvent qu'il n'y avait rien de mieux que d'être seul.

Le sujet de tension du moment, en tout cas, n'allait pas tarder à disparaître. Maedhros leur avait en effet signalé le matin même qu'il comptait changer de cap le lendemain : cette soirée serait leur dernière soirée ensemble. Eshalineva avait aussitôt proposé de marquer le coup en profitant d'un dernier repas tous ensemble et en ouvrant l'une des bouteilles qu'elle gardait, bien cachées, en réserve dans son aravel. Le chasseur avait répliqué qu'il avait mieux à faire que se saouler, et avait décidé de s'absenter dès qu'ils avaient fini de manger. Il avait besoin de dormir, avait-il dit avec un regard significatif. Autant dire que son départ avait été des plus froids.

Mais tant pis pour lui. Elle aurait plus à boire comme ça.

-"Alors... Pas de regrets, tu nous quittes vraiment ?"

Ils venaient de terminer de manger et la dalatienne faisait de son mieux pour essayer de se débarrasser de sa mauvaise humeur.

-"Désolée pour Tam, hein. Il a décidé d'être énervant."

Le citadin avait un don pour dire les choses sans détours. Ainsi, quand Eshalineva mentionna Tamariel, son amant qui venait de partir râler dans son coin et s'était globalement montré de mauvaise compagnie depuis qu'ils s'étaient rencontré, il expliqua que ce n'était rien et qu'il avait conscience de ne pas être apprécié par son compagnon. Il n'avait pas l'air choqué ou même attristé - il en parlait comme il aurait parlé de la météo : avec un intérêt poli. Ca arracha un sourire à la doctoresse. Avait-il tellement l'habitude d'être mal vu ? Ca devait expliquer une partie de sa réaction, mais la jeune femme était persuadée qu'il y avait autre chose. Maedhros avait réellement une autre façon de voir le monde - et c'était quelque chose qu'elle appréciait franchement. "Eh, pour être honnête, il n'est jamais aimable avec grand monde..." Même si c'était vrai qu'il avait fait fort avec le citadin. Son comportement avait été la cause de nombreuses tensions dans le couple, ces derniers jours - même s'ils n'avaient vraiment pas besoin de ça pour se disputer, de toute manière.

A priori, il était bel et bien décidé à quitter leur petite équipe - un choix qu'elle respectait même si il allait lui manquer.

-"Oui, ça risque d'être compliqué. Nous autres dalatiens, on bouge beaucoup, après tout..." Et elle et Tamariel étaient d'autant plus difficile à traquer qu'ils ne voyageaient qu'à deux, sans clan pour les accompagner. Elle doutait qu'une lettre le les trouve, même si c'était dommage : elle aurait bel et bien aimé rester un contact. "Hey, tu sais quoi ? Si un jour je m'installe quelque part pendant assez longtemps, je t'envoie une lettre à Weisshaupt." Ce n'était pas si improbable que ça ! Il lui était déjà arrivé de s'arrêter plusieurs mois à des endroits qu'elle jugeait intéressants - que ce soit parce qu'elle y avait trouvé un mentor quelconque, un phénomène remarquable, ou un patient particulièrement atteint qu'elle désirait aider - et étudier. Bien sûr, si Tamariel l'avaient entendue maintenant, il y aurait sans doute trouvé à redire... mais ne disait-on pas que les absents avaient toujours tort ? "Qu'est-ce que tu compte faire là bas d'ailleurs ? Rejoindre la Garde ? J'ai entendu des trucs fascinants à propos d'eux." Les Gardes des Ombres étaient toujours très discrets quand il s'agissait de leurs secrets, mais il se disait qu'ils avaient un remède contre la souillure des engeances. Un remède qui forcerait tous ceux qui le prendraient de rejoindre leurs rangs... Forcément, l'elfe aurait bien voulu en savoir plus. Les Gardes qu'elle avait pu croiser l'avaient tous gentiment rabrouée quand elle s'était mise à leur poser des questions, hélas - et ce même quand elle avait tenté de les convaincre avec de l'alcool.

Elle sourit aussi en le voyant prendre son luth en main - pinçant déjà les notes de l'instrument en une mélodie aux notes graves. En effet - c'était sa dernière occasion de l'entendre avant un bon bout de temps. "Oh ! Chante un truc antivan ! Un truc joyeux." C'était de là dont il venait, Antiva, la capitale, et il devait en avoir ramené bien des chansons... Et contrairement à bien des dalatiens, Eshalineva s'intéressait au cultures des cités - qu'elles soient elfiques ou même humaines. Elle voyait les choses ainsi : pourquoi aurait-elle du se limiter aux connaissances strictement elfiques ? Bien sûr, les clans d'elfes de Thédas regorgeaient de savoirs passionnants, mais les autres cultures aussi - et elle voulait en savoir le plus possible, surtout si ça concernait la médecine. "Si tu veux, je t'apprendrai une chanson de mon clan, après. Je ne suis pas la meilleure chanteuse, mais bon !" Elle connaissait quand même quelques chants de chez elle - la base pour n'importe elfe comme elle. Elle n'avait aucun problème à les partager.

Elle tendit le bras pour attraper la bouteille qu'elle avait préparée pour l'occasion tout en écoutant son ami se lancer dans sa musique. Elle en retira le bouchon avec un pop. Après tout, chanter donnait soif.

Maedhros avait donc bel et bien pour plan de devenir un Garde des Ombres. Il en parla dans des termes vagues, et avec n'importe qui d'autre, la dalatienne aurait probablement tenté d'argumenter que ce n'était peut-être pas une excellente idée, mais... Quelque chose dans le calme dont il faisait preuve en en parlant l'en dissuada.

Ils se firent songeurs. Quel étrange choix de vie c'était... La plupart des gens rejoignaient la Garde par obligation, parce qu'ils n'avaient nulle part ailleurs où aller. Certains, plus rares, le faisaient par conviction ou appel supérieur. Mais lui... Il semblait tout simplement avoir pris la décision comme ça, sans trop y réfléchir - il le disait lui même, il n'était même pas sûr de savoir pourquoi. Est-ce que ça allait vraiment bien se passer, pour lui, là-bas ? Elle se surprit à penser que oui.

-"Eh bien, essaie quand même de ne pas te faire embrocher trop souvent", fini-t-elle par lancer après un petit moment de silence partagé entre eux. "Je ne serai pas là pour te recoudre." Et puis, anticipant une réponse du type 'je ne survivrais probablement pas à me faire embrocher une première fois...', elle précisa : "C'est une blague". Elle avait commencé à s'habituer à ses manières, durant ces quelques jours à voyager ensemble... La plupart du temps, son humour lui passait un peu par dessus la tête.

Il se lança ensuite dans une chanson traduite par ses soins racontant l'histoire d'un assassin atypique, et Eshalineva l'écouta, souriant à certains passages croustillants. C'était bien agréable, et elle était contente d'être là, même si dans un coin de sa tête, elle se demandait ce que faisait son petit ami, où il était, et s'il savait qu'à cause de sa mauvaise tête il ratait un moment vraiment sympa. Elle se servit un verre.

-"Bravo !" Elle leva son verre quand la chanson prit fin, riant légèrement, et elle écouta ses dernières explications, car, bien sûr, il devait bien donner quelques dernières explications. Elle sourit. "Oui, c'est souvent le cas avec les chansons. En même temps, ce serait ennuyeux si elles étaient toujours très réalistes." Eshalineva avait tendance à préférer les faits exacts à la fiction, mais ce n'est pas pour autant qu'elle était totalement fermée à l'idée de chansons plus fantasques.

Elle lui tendit la bouteille de vin, un truc humain acheté quelques mois plus tôt. S'il y avait bien une chose à envier aux humains, c'étaient leurs alcools... Ce n'est pas qu'elle tenait spécialement à ce que Maedhros boive - il faisait ce qu'elle voulait, après tout - mais elle aurait apprécié partager ça.

-"Je crois que j'ai déjà entendu celle avec le chat. A moins que ce ne soit un mage qui se transforme en chat..." Elle but quelques gorgées elle-même, songeuse. Elle n'avait pas sa mémoire à lui, et préférait se concentrer sur les arts médicaux plutôt que sur les chansons. En fait, les seules qu'elles connaissaient par cœur étaient les comptines de son enfance... De vieilles chansons dalatiennes, souvent un peu déprimantes, d'ailleurs. C'était une autre raison pour laquelle elle avait aimé voyager avec le citadin : au moins, ses chants sortaient de l'ordinaire. "Eh, avec un peu de chance, tu pourras bientôt ajouter quelques chants de Gardes à ton répertoire. Ils doivent bien en avoir quelques unes..."

L'idée d'apprendre des chants de Gardes motivait le citadin - ce qui ne surprenait pas vraiment Eshalineva.

-"Les Gardes aiment certainement leurs secrets ! C'est dommage. Ils doivent en savoir beaucoup sur la corruption, l'enclin. S'ils pouvaient au moins partager ça..." Bien sûr, en cette époque de paix, il n'y avait pas vraiment de risque de se faire infecter par les engeances, à moins de visiter les tréfonds, mais tout de même... L'elfe jugeait les cachotteries de la Garde des Ombres comme contre productives et absurdes et elle ne s'était jamais privée de le dire. Elle supposait que beaucoup d'elfes dalatiens étaient comme ça aussi, avares de connaissances, peu enclins à partager leurs savoirs... C'était mois le cas des Lavellan, mais pour ce qui était des autres clans... Leur attitude était franchement pénible, parfois. Peut-être était-ce pour ça qu'elle s'entendait bien avec Maedhros : il était plus ouvert d'esprit que ça.

Il lui rappela alors sa promesse de chanter à son tour. C'est vrai : elle avait bien dit ça.

Elle sourit. "D'accord. Mais sache quand même qu'il y a une raison pour laquelle je suis devenue médecin et pas ménestrel." En vérité, la raison était une simple question d'appel (elle avait toujours voulu être soigneuse), mais elle supposait que sa voix ne lui aurait pas permis d'être barde même si elle en avait eu envie. Elle n'était pas atroce en chant, mais n'avait pas de talent particulier non plus, et ne chantait en général jamais avec une audience. Pas sobre, en tout cas. Enfin ! Elle l'avait proposé, et Maedhros devait être assez bon public. Elle réfléchit quelques instants à quel air choisir. Pas quelque chose de trop connu... idéalement, elle voulait que son ami ne l'aie jamais entendu. Ce qui n'était pas chose facile. Il en connaissait déjà beaucoup.

Finalement, elle opta pour une chanson plutôt courte, assez récente, qui existait d'ailleurs en elfique et en langue commune. Elle la pensait originaire du clan Lavellan, donc peut-être parviendrait-elle à surprendre son compagnon... Sinon, eh bien... ce n'était pas perdu, l'air restait agréable. "Et en parlant d'histoire qui semble trop incroyable pour être vraie... Celle-ci est à propos de l'Inquisitrice ! Celle du siècle dernier. La meilleure, bien sûr." Elle rit un peu. Inutile de préciser qu'il s'agissait d'une héroïne très appréciée au sein de son clan...

Elle la chanta entièrement, ne passant à l'elfique que pour les refrains... En toute franchise, elle trouvait ça bien plus simple. Elle reprit son souffle à la fin, avec un léger rire, et attrapa à nouveau sa bouteille. "Voilà ! Il va falloir que je vide une bonne partie de ceci pour recommencer, je te préviens !"

Elle soupira d'aise - elle se sentait franchement bien. Une bonne compagnie, un décor agréable, et une bouteille ! Que demander de plus ? Il n'y avait que Tamariel pour rompre sa bonne humeur, mais elle cessait déjà d'y penser.

Eshalineva termina sa chanson avec une pointe de soulagement, mais son compagnon la rassura bien vite. Elle n'avait peut-être pas la meilleure des voix, mais son interprétation lui avait parue juste...

Cela fit plaisir à la dalatienne, car elle l'avait compris, Maedhros n'était pas de genre à mentir par politesse : ses compliments devaient être parfaitement mérités. Elle sourit également quand il mentionna que l'histoire de l'inquisitrice Lavellan l'intéressait depuis toujours... Il est vrai qu'une telle vie ne pouvait que fasciner. "Oh, elle est très appréciée, comme tu peux l'imaginer." Tes images de son clan et sa jeunesse là-bas lui revinrent en tête... Les Lavellan étaient forcément tous très fiers de leur lien avec l'Inquisitrice, l'une des raisons, probablement, pour lesquelles ils restaient si ouverts aux humains. "Quand j'étais petite, moi et les autres enfants du clan voulions tous devenir comme elle. En plus de toute les légendes dalatiennes qu'on doit entendre dans chaque clan de Thédas, notre archiviste nous parlait d'elle. C'était un peu notre héroïne à tous." Y repenser la fit sourire. Bien sûr, avoir une telle figure parmi les ancêtres de son clan représentait aussi une certaine pression... Tout le monde voulait rendre son clan fier, oui, mais c'était un peu difficile si on se comparait à quelqu'un d'aussi fameux. "On raconte qu'elle était mage - la première de l'archiviste, à son époque. Qu'elle n'a jamais cessé de veiller sur le clan, même  distance, durant la crise de la Brèche... Qu'elle portait les vallaslins de Mythal. Il est toujours possibles que certains détails se soient perdus dans l'histoire, mais c'est mieux que rien, tu sais - ça aide à la rendre plus vivante et réelle. Plus qu'une figure historique distante."

Même aujourd'hui, dans le fond, Eshalineva avait toujours un peu le rêve d'avoir un impact sur le monde comme l'avait eu l'Inquisitrice. Oh, peut-être pas autant qu'elle, et pas de la même manière, mais... Elle avait de vagues idées d'innovations médicales, de reconnaissance globale dans la communauté académique de Thédas, de soins ou de maladies nommées en son honneur. Des choses assez risibles, dont elle avait un peu honte, et qu'elle aurait niées avec véhémence si on lui avait posé la question.

-"Tu avais des héros, toi ? Dans ton enfance ?" La question témoignait d'une certaine curiosité - Eshalineva avait toujours un peu de mal à s'imaginer comment vivaient les citadins au jour le jour et quel genre de préoccupations ils avaient en tête. De plus, Maedhros venait d'Antiva... Une région qui restait étrangère à la dalatienne, mais qu'elle aurait été heureuse de mieux connaître.