❧ « I'm sorry », is not enough, right ? [PV : Eliott Ronceret]

Une journée de plus qui s’écoulait avec pour ordre de rester au lit. Ou du moins, de rester tranquille. Ce qui ne devait être au départ qu’une ou deux semaines devenait de plus en plus long : mais Eliott le savait, il ne devait s’en prendre qu’à lui-même. A crapahuter dans les couloirs en tentant de ne se faire voir de personne, à rouvrir plus ou moins entièrement la blessure, il n’allait jamais se remettre. A croire qu’il faisait exprès. Même son faucon lui lançait parfois des regards noirs. Aujourd’hui n’allait certainement pas déroger à la règle. Il s’ennuyait, pouvait-on lui en vouloir ? Et quand il s’ennuyait, après tout ce qu’il s’était passé, les pensées qu’il ressassait n’étaient pas des plus joyeuses. Elles lui donnaient même parfois carrément envie de rouvrir encore une fois la blessure pour penser à autre chose.

Pourtant, avant qu’il n’ait le temps de s’exfiltrer silencieusement de sa chambre pour crapahuter dans la forteresse, surveillé de près par une jeune mabari prête à le dénoncer à la moindre personne qui passait, la journée avait pris un tournant auquel Eliott ne se serait pas attendu. Il y avait des choses qui, pour lui, et même s’il espérait le contraire de toute son âme meurtrie, était autant enterré que son frère. L’homme qui frappa à la porte avant d’entrer en faisait partie. « Lance ? » Un hoquet de surprise agita Eliott qui se redressa sur son matelas. « Tu es venu terminer ce que tu as commencé ? » Son regard se fit confus, comme s’il peinait à recoller tous les morceaux. Comme s’il se mélangeait les pinceaux entre les deux seuls Templiers à qui il avait pu un jour accorder un peu de sa confiance, peut-être à tort. « ... Ce que Draco a commencé ? »

Le regard suspect, il vit Maya se relever immédiatement pour faire la fête à l’homme qu’il ne pensait plus revoir. Piètre garde du corps ! Mais il ne peut pas lui en vouloir, la jeune mabari n’avait certainement que de bons souvenirs du Chevalier Commandant et de son vieux compagnon. « Tu... Tu ne peux pas être là. Est-ce qu’ils m’ont drogué pour que je reste tranquille ? Est-ce que je rêve ? » Ou bien il devenait fou. Ce serait fort probable, après tout. « Ne me réveille pas... » Il soupira un instant, furieux contre lui-même. Ne serait-il donc jamais en paix ? Fallait-il qu’il pense et rêve aux choses qui lui faisait mal, à ce qu’il ne pourrait plus avoir quand il voulait précisément les oublier ? Rapidement, cependant, le doute s’installe en lui.

Le jeune Barde a à peine clos ses paupières qu’il les rouvre. Il s’assoit sur le matelas, abandonnant son air rêveur et pensif pour observer le géant à la crinière blanche. C’est vrai qu’il lui avait envoyé une lettre, quelques jours plus tôt. Etait-ce possible qu’il soit venu ? Pourquoi voudrait-il venir le voir, d’ailleurs, au cœur de Therinfal ? Ah, Eliott entend Feanor jaser d’ici, encore une fois. « Lance ! » répéta-t-il avec une sorte d’insistance, balançant ses draps pour sauter sur ses pieds, faisant fi de la douleur que cela réveillait comme un coup de tonnerre, ou encore de sa tenue qui n’était pas des plus présentable. Quand on est censé rester enfermée et tranquille toute la journée, on se met à l’aise, que voulez-vous, et une chemise un peu ample avec un caleçon était largement suffisant. Il aurait aussi pu porter l’un de ses bas en dentelle, après tout.

Son esprit lui hurle d’être prudent, tout comme sa raison, mais le jeune orlésien a à peine le temps de tituber qu’il s’écrase contre son visiteur, l’enlace brièvement, et semble soudainement se souvenir de la dernière lettre qu’il ait reçu. Alors il recule, son regard lance des éclairs, et il tente vainement de lui asséner un coup sur le torse – mais Eliott se fait plus mal au poignet qu’autre chose, et il recule misérablement jusqu’à son lit. Avec un soupire, l’espion finit par se calmer. Avec tout ça, le voilà bien loin d’être resté sagement entre ses draps. « Pourquoi tu es venu ? » finit par demander Eliott en lui lançant un regard plein d’espoir. « Je ne comprends pas. »

Il se sent soudainement idiot d’avoir réagit comme il vient de le faire. Mais Lance est pour lui plus une apparition qu’une réalité. Eliott est perdu, il ne sait pas comment réagir sur le coup : ne le déteste-t-il pas ? Apparemment non. Sagement rassis sur son lit, il passe ses mains sur son visage en inspirant profondément. Lance n’a jamais été quelqu’un de très doux, ou compatissant. Comme qui dirait, il était plus un produit bruit féreldien qu’autre chose, et Eliott ne pouvait pas douter du fait que ce soit bien le vrai Lance en face de lui. S’il s’agissait d’une fantaisie de son esprit, le Templier aurait été bien plus... Sensible. Ce qui, finalement, n’aurait pas été Lance du tout. Lorsque Maya retombe sagement sur le sol, laissant le géant tranquille, c’est pour gratifier Aska d’un coup de museau amical, se rappelant certainement d’avoir harceler le pauvre Mabari en espérant pouvoir jouer avec.

Aux paroles de Lance, pourtant, le cœur d’Eliott se serre, rate un battement. Il observe le Chevalier Commandant, avant de répondre doucement : « N-Non, je n’ai pas besoin de plus. Je pensais juste que tu... Que tu me détestais. » Les paroles d’Alerion et de Draco se superposaient dans son esprit. Ne devrait-il pas plutôt faire sortir Lance de sa chambre et de sa vie, plutôt que de se réjouir de le revoir ? Le traître avait peut-être raison, finalement, il ne changerait jamais. Mais il s’en moquait bien, finalement. Et il ne voulait pas risquer de faire fuir Lance, ou de le perdre à nouveau. Il était inquiet pour lui, rien que cette affirmation ramenait soudainement un peu de lumière dans sa vie, et il luttait pour ne pas s’en sentir coupable. Il pouvait bien se laisser aller un peu, se réjouir enfin, non ?

« Bien sûr que je l’ai toujours soupçonné, depuis le début, tu le sais ! » Il lui en avait déjà parlé, et Eliott s’était d’ailleurs rendu compte, en écrivant sa dernière lettre, qu’il en avait sans doute trop dit à Lance. Il avait cru s’être fait berner par les deux Templiers, et n’était pas encore tout à fait certain que ce ne soit pas le cas. Quoi que. Lance était suicidaire de venir jusqu’ici, et s’en rendre comptait touchait finalement bien plus Eliott que n’importe quels mots. « Je ne sais pas. J’allais pas bien, je... Je pensais que venger mon frère me soulagerait, mais c’est pire. J’avais besoin de quelqu’un, il en a profité, et j’ai baissé ma garde. Je ne réfléchissais plus convenablement. » Un « Et tu n’étais pas là » resta coincé dans sa gorge. Il n’avait pas le droit de l’accuser, toute la faute lui revenait. Il le savait pertinemment.

Il l’observe à nouveau un instant, en silence, assimilant doucement le fait qu’il ne rêve pas et que le Templier est bien là. Finalement, doucement, Eliott se relève. Il voudrait d’abord pouvoir enfiler un pantalon, mais il n’a pas vraiment envie de grimacer devant Lance. Quelque part, il a soudainement peur de le décevoir. Le Barde s’approche plutôt doucement, à nouveau, et s’arrête juste en face de Lance. La tête et les yeux levé vers le Chevalier Commandant, il finit par renvoyer momentanément au placard sa mélancolie. Il veut profiter de l’instant, et un sourire vient naturellement prendre place sur ses lèvres. « Merci d’être venu, Lance. Et désolé... Pour tout. » Eliott sait de quoi il a envie. Il voudrait pouvoir se hisser sur la pointe des pieds, glisser ses bras autour du coup de Lance et l’embrasser. Mais il sait aussi que s’étirer comme ça reviendrait à tirer sur sa blessure, et quelque chose lui dit que ce ne serait pas au goût de tout le monde – alors, il reste sagement devant lui, sans oser le toucher, sans oser l'enlacer.

Le temps qu’il passe debout, planté à quelques centimètres de Lance, lui paraît infini. Eliott est dans une sorte d’attente, en suspend entre ce qu’il voudrait avoir, et ce qu’il peut avoir. Il ne sait pas, en réalité, ce qu’il est autorisé à faire. Est-ce qu’il a toujours le droit de le toucher, l’enlacer, l’embrasser ? Le jeune homme ne sait plus s’il est autorisé à franchir cette limite, à présent. C’est pour ça qu’il ne bouge plus, se contentant d’observer l’homme qui hantait beaucoup trop souvent ses songes. C’est également pour cela qu’au moment où Lance glisse ses bras autour de sa taille et le soulève, Eliott ne sent même plus sa blessure particulièrement mal placée pour l’exercice : il ne ressent qu’un soulagement intense. Il esquisse un sourire en sentant les lèvres du Chevalier Commandant contre les siennes, et glisse ses bras autour de son cou en espérant futilement rester comme ça pour très, très longtemps. Pour la première fois depuis bien trop longtemps, Eliott se sent parfaitement heureux – même si une petite voix au fond de son esprit le met en garde. S’il doit chuter à nouveau, peut-être ne s’en remettrait-il pas encore.

« J’ai ma part de responsabilités, tu sais... » Une mine boudeuse, simulée, s’affiche sur son visage lorsqu’il se fait reposer sur son lit. Pourtant, lorsque la main de Lance se pose sur sa joue, la sienne vient immédiatement recouvrir la paluche de l’homme. Il détaille ce visage qui lui semblait si familier, écoutant avec attention ses paroles qui lui sert le cœur autant qu’il le lui réchauffe. Son regard s’adoucie ; comment pourrait-il lui en vouloir ? Après tout, il ne lui en a pas réellement voulu un seul instant, persuadé depuis le début que tout était de sa faute, malgré les bons conseils d’Alerion. « Lance... » commence-t-il en cherchant ses mots, ses doigts caressant doucement la main du Templier. « Je sais que j’ai dû te décevoir, alors même si tu ne veux pas de mes excuses, tu les auras quand même. » Un sourire taquin vint un instant étirer ses lèvres. Celui-là même dont Lance parlait dans l’une de ses premières lettres, et qu’il n’avait pas arboré depuis un moment.

Doucement, Eliott se penche vers le Templier pour, à son tour, déposer un baiser sur ses lèvres. Le jeune barde s’y attarde un instant, les yeux mi-clos, désirant profiter de cet instant comme si ce serait le dernier. S’il y avait bien une chose qu’il avait appris, avec tout ça, c’est que tout pouvait basculer du jour au lendemain, et que si on ne profitait pas du plus petit moment de bonheur, on risquait de gaspiller son existence. « Je n’ai pas besoin de plus, tu sais. Je... Le fait que tu ais de l’affection pour moi, que tu tiennes à moi... C’est largement suffisant. » Il se tût quelques secondes pour l’observer. Eliott n’avait pas l’impression qu’on puisse réellement tenir à lui. Il se sentait aisément remplaçable, fantôme errant dans l’existence de toute une génération. Il n’avait jamais demandé à Lance d’être amoureux. « La manière dont tu... M’aimes, je n’ai pas besoin de plus. Je n’ai pas besoin que tu sois amoureux de moi ou quoi que ce soit d’autre. » Eliott était sincère. Terriblement, éperdument sincère. Peu lui importait que Lance l’aime autant que lui pouvait l’aimer, tant qu’il tenait à lui.

« Tu es fou d’être venu. » souffle soudainement Eliott en fronçant légèrement les sourcils. « Tu n’aurai pas dû prendre tous ces risques pour moi. » Qu’allait-on dire si on trouvait un Chevalier Commandant à l’Inquisition ? Ou plutôt : que dirait la Chantrie ? Le barde ne voulait pas perdre Lance sitôt retrouvé. Le destin serait un vrai salaud s’il tuait le Templier après tout ça. En tous cas, il avait là une belle preuve de l’affection que Lance pouvait avoir pour lui ; et cette pensée l’aidait à soigner tous ces maux. Sentimental et naïf, peut-être, mais il prenait ce qu’il pouvait. Quand on avait tout perdu (ou presque), on s’attachait à ce qui nous revenait finalement. « Ne te méprend pas, je suis plus qu’heureux de te voir en personne. Tu m’as manqué. »

Un léger sourire étira les lèvres d’Eliott lorsque Lance vint finalement s’asseoir à côté de lui. Glissant légèrement sur le côté, ne résistant pas à l’envie de se rapprocher et se coller contre le géant, Eliott s’appuie doucement contre lui. Le Templier a raison ; il s’en fait certainement trop pour rien. Lance a de l’expérience, il n’est pas venu au cœur de l’Inquisition d’un pas hasardeux. Le Barde devait lui faire confiance, et cesser de toujours s’inquiéter. Il avait toujours peur de perdre ce qu’on lui accordait, et l’ours à la fourrure blanchissante (blanche, même) en faisait partie. « Et nul doute qu’il aurait été… évasif. » avoue-t-il dans un souffle. Surtout après la situation telle qu’elle avait été laissée, suite à ses aveux et aux évènements de la Tour Blanche.

L’un de ses bras se glisse dans le dos de Lance, tandis qu’il grimpe tout bonnement sur ses genoux. Tant qu’à faire, autant en profiter jusqu’au bout. L’orlésien aime le ton que prend la conversation. L’espace d’un instant, il pourrait croire que tout est normal, que tout as toujours été comme ça. Qu’il n’a pas passé les dernières semaines le corps et l’âme crevée. Et ça, mine de rien, ça lui fait beaucoup plus de bien qu’il ne peut s’en rendre compte sur le moment. Un petit rire fini même par lui échapper en retour, avant qu’il ne se retienne en se mordant la lèvre. La grimace qui avait déformé l’harmonie de ses traits disparu rapidement, plus vite que la douleur qu’avait réveillé les soubresaut de son corps rieur. « Ah, Fëanor !... C’est mon ami, oui. Il se peut qu’il ait lu certaines de nos lettres. » Un petit air faussement désolé passe rapidement sur son visage, avant de laisser place à quelques œillades plus taquines : « Cela dit, tu ferais un magnifique crapaud… Mais ça m’embêterait de devoir embrasser l’un de ces trucs pour rompre le sort. »

Eliott se cale contre Lance avec un soupire d’aise, glissant ses bras autour de sa nuque. Il est bien décidé à s’abreuver de son contact, et jusqu’à la noyade s’il en avait la possibilité. Malheureusement, il sait très bien que c’est impossible. Et il n’est même pas en état de pouvoir profiter un peu plus intimement de la présence de son Templier favoris ; mais, pour des retrouvailles comme celles-ci, cela vaut sans doute mieux. « Je suppose... Je suppose que tu n’as pas le loisir de trop t’attarder ? Et tu ne peux pas non plus me kidnapper, hum ? » Un léger sourire étire ses lèvres, tandis qu’il pose sa joue contre l’épaule du Rutherford. « Et moi, je peux peut-être te prendre en otage, par contre ? »

Eliott avait l’impression qu’une éternité s’était écoulée depuis le dernier moment où il avait été heureux. Il ne devrait sans doute pas l’être ; il en souffrirait certainement un moment où un autre. Qu’ils le veuillent ou non, d’ailleurs. Mais il n’était pas l’heure de penser à l’écart que les années marquaient toujours plus entre leurs deux âges, ni aux conséquences de celui-ci. Pelotonné entre les bras du Templier, il oubliait ses problèmes. Même avec tous les efforts du monde, il n’aurait pas pu s’empêcher d’apprécier ce moment. Qu’il le veuille ou non, son attachement pour le Chevalier Commandant était bien ancré. Peut-être avait-il commencé à s’estomper avec le temps et le fait qu’il était persuadé que Lance le détestait, mais revoir le Templier, savoir qu’il s’inquiétait pour lui, connaître le fin mot de l’histoire…

Au baiser que Lance déposa sur sa tempe, Eliott raffermit son emprise autour de lui, ses petits bras presque maigres à côté de ceux de son amant enlaçant fermement ce dernier. Sa présence lui mettait du baume à l’âme. Un sourire en coin étira ses lèvres : « Il lit, et il commente ! C’est un sacré numéro, mais je suis content de l’avoir. Il… Fait attention à moi à sa manière, je suppose. J’aurai fait pareil, si j’avais été lui ! » Eliott défend Feänor, même s’il n’en a pas vraiment besoin. Un léger rire agite son buste, avant de voir que l’expression de Lance s’assombri à sa question, laissant présager une réponse qui ne tarde pas à venir.

Avec un sourire tendre et un regard désolé, Eliott dépose un baiser sous son oreille, un autre sur sa joue, et garda pour lui le dernier, effleurant à peine ses lèvres. « Je m’en doutais, ne t’inquiète pas. Il… Sait pourquoi tu es parti ? » Les sourcils d’Eliott se froncent légèrement, et son regard se verrouille dans celui de Lance, curieux. Il aimerait pouvoir sonder le Chevalier Commandant, et il aimerait encore plus pouvoir s’endormir contre lui. Cela ne lui serait pas donné, pas ce soir. « J’ai une cabane, il faudra que je t’y emmène un jour, on sera tranquille… Est-ce que tu veux quelque chose ? Tu as peut-être faim, ou soif ? » Peut-être pour être certain que la pointe de déception qu’il ne peut s’empêcher de ressentir ne se voit pas, le jeune Barde s’agite. Il oublie encore sa blessure, se tortille pour échapper aux bras de son amant qu’il n’a pourtant pas envie de quitter.