KEEP FAITH (NESIRIS)

Si Nesiris aimait être une soeur, ce n'était pas uniquement pour le confort et l'impression d'être utile que ça lui apportait : c'était aussi pour les nombreuses personnes merveilleuses que ça lui permettait de rencontrer.

Son visage s'éclaira d'un sourire dès qu'elle reconnut l'homme qui entra dans la Chantrie, ce jourlà. Castiel de Serault... C'était un ami qu'elle appréciait énormément. Comme une autre de ses connaissances, il était Chercheur de Vérité ; il venait d'Orlais, mes ses occupations le menaient souvent à Denerim. C'était là qu'elle l'avait rencontré, peu après son arrivée à la Chantrie, où il se rendait de temps en temps... Ils n'avaient pas tardé à sympathiser. Castiel était un homme fascinant, et un artiste ; il dessinait très bien et avait même déjà fait son portrait.

Elle le salua avec bonne humeur en le voyant s'approcher. "Je suis heureuse de vous revoir aussi ! J'espère que vous vous portez bien." En tant que Chercheur, il devait avoir mille et une choses à faire : qu'il prenne quand même le temps de venir la saluer la flattait. "Je l'ai reçue, oui, ne vous inquiétez pas ! Merci beaucoup pour le dessin..."

C'était toujours une joie de recevoir une lettre, et encore plus quand y était joint un aussi joli croquis. Le dessin, qui représentait l'intérieur d'une Chantrie, était à présent affiché sur l'un des murs de sa petite chambre de Sœur, à côté des autres qu'il lui avait offerts et de quelques autres souvenirs. Quand elle y était arrivée, des mois plutôt, les murs étaient vides et blancs, mais elle en avait fait un endroit un peu plus chaleureux et personnel... La petite salle contenait l'ensemble de ses possessions physiques. Elle en prenait grand soin.

Castiel souriait, mais il avait l'air soucieux, comme si quelque chose lui occupait l'esprit. Il ne tarda pas à lui en expliquer la raison.

Il s'agissait de leur ami Armand. Ce que Castiel lui annonça la glaça. Le Chercheur avait été blessé - grièvement blessé - en menant sa mission à bien.  "Quoi ?" Elle sentit son cœur se serrer, horrifiée. Jamais elle n'aurait imaginé recevoir une si mauvaise nouvelle !

Elle se souvint de la dernière fois qu'elle avait vu Armand. Il était venu la réveiller en pleine nuit, dans sa chambre, avec une impressionnante plaie au bras et un urgent besoin d'aide. Nesiris l'avait soigné comme elle le pouvait, avec les moyens du bord ; elle n'avait plus reçu de nouvelles depuis.

Cette nuit-là, elle avait pu constater de ses propres yeux à quel point le métier de Chercheur pouvait être dangereux. Ceci n'aurait du en être qu'une triste confirmation. Elle demeurait pourtant étourdie et incrédule. Aux portes de la mort ! Elle le revoyait encore sortant de sa chambre... Il lui avait promis de lui écrire, et elle lui avait demandé d'être prudent...

-"Je suis désolée", dit-elle après avoir repris un peu de contenance. "C'est terrible." Oui, ça l'était... Elle se demanda si le responsable était le même que celui qui l'avait blessé la dernière fois. Un membre de la Chantrie, avait-il dit, ce que Nesiris ne pouvait toujours pas comprendre. Si vraiment une personne si dangereuse pouvait se trouver dans les rangs de l'organisation religieuse... que fallait-il en penser ? "Le Créateur lui vienne en aide. Savez-vous qui en est le responsable ? A-t-il été arrêté ?" La jeune femme n'était pas du genre à vouloir du malheur au autres, mais une personne comme ça devait être arrêtée et jugée. Elle espérait que c'était déjà le cas. Qu'au moins, Armand n'ai pas été blessé pour rien.

Nesiris hocha doucement la tête. Elle n'aimait pas savoir qu'un homme dangereux et coupable pourrait peut être échapper à la justice, ici, comme ça. Comme le disait Castiel, il ne servait à rien de se torturer sur le sujet tant qu'Armand ne se serait pas réveillé, et pourtant... Elle ajouta quand même, à voix basse comme une confidence : "La dernière fois que je l'ai vu... il a dit soupçonner un membre de la Chantrie." Il ne lui avait rien dit de plus, mais les paroles l'avaient marquée... et même choquée. Nesiris gardait une vision plutôt idéalisée de la Chantrie du Sud, dont tous les membres, malgré leurs défauts, devaient œuvrer de concert pour le bien général du monde : qu'un meurtrier - un traître ! - en fasse partie avait de quoi effrayer.

Elle ignorait si cette information serait d'une quelconque aide au Chercheur. Peut-être Armand lui avait-il déjà parlé de sa théorie. Et de toute façon, elle ne savait pas grand chose. "Un membre de la Chantrie", c'était vague, comme indication. Il y en avait tellement, ça aurait pu être n'importe qui... Et elle ne savait même pas réellement si ses deux agresseurs avaient été la même personne, peut-être avait-il plusieurs ennemis. Non, ce ne lui serait sans doute pas très utile, mais dans le doute, elle préférait quand même partager ce qu'elle savait.

Elle fut tout de même soulagée de changer de sujet. "Oui. Nous devons faire confiance au Créateur." Elle joignit sa propre prière à celle de Castiel - sans aucun doute la première d'une longue série. Ce n'étaient pas les raisons de prier qui lui manquaient, de toute façon... Il y avait des raisons évidentes - la fin des troubles avec les mages, une paix durable sans enclin et sans guerre ; des raisons égoïstes - sa propre sécurité, la sauvegarde de son secret à la Chantrie, une vie à l'abris de son passé et de sa demi-sœur ; et quelques raisons plus personnelles, comme le bien être des personnes qu'elle aimait et avait aimé. Le rétablissement de son ami Armand faisait certainement partie des bonnes raisons de prier, à défaut de pouvoir mieux faire pour l'aider.

Après un moment de silence, elle releva la tête. "Est-ce votre enquête qui vous emmène à Denerim ?" Elle ne pensait quand même pas qu'il ai fait le trajet jusqu'à Ferelden juste pour venir la voir... et c'était ici qu'Armand avait été blessé la première fois.

Manifestement, le Chercheur ignorait tout des soupçons d'Armand quant à la responsabilité d'un membre de la Chantrie. Nesiris en fut surprise, et en ressentit un soupçon de fierté : elle avait bien fait de lui en faire part... Qui sait, avec cette information, peut-être serait-il capable de retrouver le coupable ?

Il lui recommanda aussi d'être prudente, elle qui faisait également partie de la Chantrie... Elle acquiesça. S'imaginer que qui que ce soit de la Chantrie puisse être coupable de tels actes était choquant... Bien entendu, Nesiris n'était pas toujours d'accord avec tous ses confrères et consœurs, mais quand bien même : aucun d'entre eux ne lui semblait capable de faire une chose pareille. Mais peut-être était-elle simplement naïve.

En tout cas, lui avait sans doute de meilleures raisons de redoubler de prudence qu'elle. Elle, après tout, était simplement une Sœur parmi d'autres : lui était un chercheur, un enquêteur directement sur les traces de ce mystérieux traître. "Vous aussi." glissa-t-elle simplement avant de se lancer dans une prière

Ils finirent par changer de sujet, quand Castiel lui répondit qu'il n'était pas uniquement venu là pour les affaires, mais aussi pour lui rendre visite... Et, avec sa permission, faire un nouveau portait d'elle. Le Chercheur était en effet un excellent dessinateur, en plus d'un homme de foi... Lors d'une de leurs précédentes rencontres, il lui avait proposé de la dessiner - un simple portrait sans fioritures... L'idée l'avait plutôt surprise à la base - elle n'avait jamais pensé être le genre de personne intéressante à dessiner. D'un autre côté, elle se souvenait d'une conversation qu'elle avait eue il y a des années, avec un autre ami qui lui aussi aimait dessiner. Lui aussi avait déjà parlé de portrait... Accepter, ça avait aussi un peu été lui rendre hommage.

Nesiris avait donc déjà été particulièrement touchée par le premier portrait... et les compliments qu'il glissa dans ses explications la firent rougir. Elle sourit. "Oh ! Vraiment ? Bien entendu ! J'en serais honorée." Peut-être était-ce absurde de préoccuper de frivolités du genre vu les circonstances, mais d'un autre côté, elle trouvait important de toujours positiver, de chercher les choses belles et positives dans la vie. S'appesantir sur le négatif n'apportait jamais rien de bon. "C'est vraiment gentil à vous d'être passé juste pour ça... Je veux dire, surtout après en avoir déjà fait un autre ! Je pourrai le garder ? J'aime bien afficher des choses dans ma chambre..." En parlant, elle regardait autour d'elle, à la recherche d'un endroit où s'installer. Dehors ? Près d'une fenêtre ? Elle ne savait pas vraiment ce qui était le plus adapté.  

Castiel n'hésita pas avant de confirmer qu'elle pourrit garder le portrait. Elle lui en fut reconnaissante... Était-ce étrange de décorer son chez soi d'un portrait de soi-même ? Beaucoup de nobles le faisaient, mis maintenant qu'elle y réfléchissait, ça semblait plutôt vaniteux. Mais comme le Chercheur l'avait dit, c'était un cadeau : elle ne voyait pas de meilleure façon de l'en remercier.

Il chercha un endroit où s'installer et trouve rapidement son bonheur près d'un vitrail à travers duquel filtrait le soleil.

Les vitraux... Un bon choix. Sans doute étaient-ils ce que la jeune femme préférait dans cette Chantrie. Leurs couleurs, leur lumière - et surtout l'histoire qu'ils racontaient ! La plupart représentaient Andraste, qui était née dans cette ville, à divers moments de sa vie - si bien qu'on pouvait retracer son chemin et son combat en parcourant le bâtiment. Nesiris y avait déjà cherché des références à l'elfe Shartan, dont elle ne connaissait que vaguement l'existence - mais en vain. Elle n'avait pas vraiment osé poser la question à qui que ce soit - le sujet semblait difficile à aborder, presque tabou, et peut-être un peu trop proche de ses propres soucis pour qu'elle se sente à l'aise. Armand lui en avait déjà parlé, lui... Son cœur se serra à nouveau en y songeant. S'il revenait - et il reviendrait - à Denerim, il faudrait qu'ils en discutent.

Elle s'installa là où il le lui avait indiqué, s'appuyant sur le rebord de la fenêtre. "C'est bien, comme ça ?" Servir de modèle pour un artiste n'était pas spécialement quelque chose d'inné pour elle, mais elle s'efforçait de rester naturelle. Par chance, Castiel n'était pas très exigeant. Elle trouva une position agréable et cessa de bouger, se contentant de l'observer en train de préparer son matériel. Elle vit passer l'une de ses collègues, qui lui adressa un regard en coin. Nesiris espérait qu'elle ne serait pas jalouse... Elle ne tenait pas à engendrer des tensions.

Elle sourit au Chercheur. "Je suis prête, si ça vous convient..." Elle s'efforça de se détendre, et sourit un peu, le plus naturellement possible. Elle se savait capable de rester immobile le temps qu'il faudrait, mais elle voulait aussi que la pose lui plaise... Qu'il l'apprécie suffisamment pour vouloir lui offrir un second portrait lui faisait plaisir : elle ne voulait pas le décevoir maintenant. "Merci beaucoup, vraiment..."

Nesiris prenait son rôle de modèle sérieusement, attentive à ne pas bouger pour éviter de déranger l'artiste. Ce n'était pas difficile pour elle : ses années d'esclavage avaient fait d'elle quelqu'un de discipliné, et elle savait être patiente... Même si, vraiment, elle ne pouvait s’empêcher de s'interroger sur le résultat final en voyant Castiel s'affairer sur son oeuvre. Ce serait réussi, ça, elle n'en doutait pas...

Elle ne tarda pas à se laisser aller à ses pensées, songeant d'abord à Armand, alité à Lydes, à son rétablissement espéré et à la personne inconnue qui l'avait attaqué. Puis elle songea à Castiel - leur rencontre à la Chantrie, la première fois où il lui avait proposé de faire son portrait, les lettres reçues et les croquis affichés dans sa chambre... Elle songea aussi à son mensonge - un sentiment de culpabilité s'infiltrant en elle comme toujours. Plus ils se fréquentaient, plus c'était gênant... Pourtant, elle lui faisait confiance : le Chercheur était un homme de bien, elle ne pensait pas qu'il la détesterait pour être une elfe ou quoi que ce soit du genre... Mais qu'il lui en veuille pour ses mensonges, ça, elle le concevait parfaitement. De tout ce qu'elle lui avait dit à son propos, presque rien n'était réel. Comment pourrait-il continuer à la considérer comme quelqu'un de sincère et d’honnête s'il l'apprenait ?

Ce genre d'interrogations la mettait toujours mal à l'aise, et elle s'efforça, comme d'habitude, de penser à autre chose. Devant elle, Castiel était toujours concentré sur son tableau, esquissant des traits que Nesiris ne pouvait pas voir depuis sa position... Puis, finalement, il lui annonça qu'il en avait assez vu pour lui permettre de cesser de poser. La jeune femme se détendit un peu, en profitant pour s'étirer avant de retourner s'installer près de la fenêtre - carrément assise sur le rebord, cette fois. Castier n'avait pas encore totalement fini de travailler, mais, cette fois, elle pouvait l'observer dessiner tant qu'elle voulait sans s'inquiéter de bouger... Elle le regarda apporter les touches finales au tableau, sans rien dire de peur de le déconcentrer. Elle n'avait toujours pas été voir le résultat : il lui semblait plus adapté d'attendre que lui même le lui montre, une fois qu'il serait tout à fait achevé...

Et l'attente en valait la peine. Quand, finalement, son ami tourna vers elle le résultat de ses efforts, elle laissa échapper une exclamation et descendit de son perchoir pour l'observer de plus près. "Je suis... Il est superbe. Merci beaucoup." Comme pour le premier dessin, elle ne pouvait s’empêcher de trouver étrange de voir ainsi une image d'elle couchée sur une toile, surtout aussi jolie. Nesiris elle-même ne se considérait pas spécialement comme "belle", ou plutôt, elle ne s'était jamais vraiment posé la question : elle aimait être propre, présentable, bien coiffée, mais elle n'était pas coquette, n'ayant jamais vraiment un l'occasion de l'être. Mais sur le portait, elle se trouvait charmante. Avait-il amélioré ses traits en dessinant, était-ce une question de pose, de lumière, de contexte ? En tout cas, elle sourit franchement. "Je ne sais pas quoi dire... Il me plait, oui, bien sûr. Vous êtes vraiment doué."

Nesiris remercia vivement Castiel, rayonnante, en saisissant le portrait. Quel bel objet... Son nouveau compliment la fit rosir - elle lui assura que tout le plaisir était pour elle. Elle était déjà impatiente de l'installer chez elle... Peu importe que ce soit narcissique ou ridicule ! Le tableau était vraiment très beau, et le travail du Chercheur méritait d'être honoré par une belle place sur son mur, pas caché dans un coin de sa chambre.

Une pointe de déception se fit pourtant ressentir quand le Chercheur lui annonça - déjà ! - qu'il devait partir. Oh, bien sûr, il avait une vie bien remplie et certainement des tas de choses à faire... Vraiment, le fait qu'il se soit permis de venir la voir malgré son emploi du temps probablement très chargé était déjà un petit miracle en soi. Mais le temps était passé vite, comme d'habitude, et elle songea qu'elle aurait aimé qu'il reste un peu plus longtemps. Cela ne l’empêcha pas de sourire en répondant : "Bien sûr, je comprend. Je suis vraiment heureuse de vous avoir vu... Vous le savez, vous êtes toujours le bienvenu à Denerim !" Elle se demanda quand il repasserait. Rapidement, elle l'espérait !

Il l'assura qu'il continuerait à lui écrire : cela la consola un peu. "Je vous en remercie... Je ne voudrais pas rester trop longtemps sans nouvelles !" Recevoir des lettres était toujours une joie pour la jeune femme - et dans ce cas-ci, elle avait des nouvelles à attendre : les investigations de Castiel, le rétablissement d'Armand, et surtout leur sécurité à tous les deux. Elle était inquiète pour eux, bien sûr : et le geste réconfortant de Castiel, posant sa main sur son épaule,

Quand il lui dit qu'il la garderait dans ses prières, elle répondit, sincère : "Oh ! J'en ferai de même..." Sans doute aurait-il plus besoin de prières qu'elle, avec l’enquête difficile qu'ils s'apprenait à mener ! Elle ne pouvait désormais plus l'aider autrement.

Ensemble, ils se dirigèrent vers la sortie de la Chantrie. Et malgré les soucis qui semblaient se profiler de tous côtés, malgré les blessures d'Armand et les menaces d'enclin, Nesiris se sentait bien. Le monde, songea-t-elle, était tout de même rempli de gens de bien.

-"Allez avec la bénédiction du Créateur", lui dit-elle finalement quand il fut temps de se séparer... et ce n'est que quand il eu totalement disparu de son champ de vision, à l'entrée de l'Eglise, qu'elle finit par tourner les talons pour trouver un bon endroit où afficher son nouveau portrait.