« Ne pleure pas... » ◘ ft. Katrina
THE DAWN WILL COME :: L'auberge Du Pendu :: Cimetière :: RP
Il règne tout autour de moi, comme dans ma tête. C’est le premier son que j’entends en me levant le matin, le dernier quand je me couche le soir. Tout au long de la journée, il n’y a que le silence. Je me souviens encore de ces dernières semaines. La tempête faisait rage dans mon esprit. La foudre crépitait dans mes veines. Etrangement, je ne me souviens plus de la sensation de la magie, mais les émotions, bien qu’elles m’aient déserté, me restent en mémoire. Je revois ces moments avec les yeux d’un autre. Je ne ressens pas la colère qui m’habitait alors, ni la haine, ni la terreur, mais je me souviens de les avoir éprouvées. Vivement.
Aujourd’hui, le temps s’écoule sans heurts. Les journées se ressemblent toutes. On m’interdit encore de sortir – peut-être s’imagine-t-on que je vais soudain recouvrer mes esprits, mes pouvoirs, et tout détruire. Me laisser gagner par l’appel des démons. Peut-être pense-t-on que je vais mourir, terrassé par un quelconque retour de bâton. À moins qu’on ignore comment les autres réagiront lorsqu’ils me verront. C’est sans doute cela la vraie raison.
Je suis un Apaisé. Voilà des décennies que l’on n’avait plus réservé ce sort aux mages rétifs et dangereux, puisque le Cercle n’existait plus. La Chantrie avait perdu ce droit d’aliénation sur nous. Sur eux. Je ne suis plus des leurs, désormais. Je suis... autre chose. Aucune rancune en moi – rien, le néant. J’attends, sans impatience, sans ennui, sans tristesse, que l’on décide quoi faire de moi. Et cela fait des jours que j’attends.
La porte de ma cellule s’ouvre. Assis au bord de mon lit, je lève les yeux, pour voir le Chevalier-Capitaine en personne se présenter devant moi. Je comprends à son regard qu’il a pris une décision. La logique aurait voulu qu’on me tue. J’étais plus qu’un problème : j’étais une bombe, prête à exploser à tout moment. J’aurais pu tuer tout le monde à la Tour, mages et Templiers sans distinction, moi-même, aussi, si cela avait pu me libérer de mes chaînes. Ils ont eu pitié. L’Apaisement était la solution la plus clémente à leurs yeux. Et à présent ?
Le Chevalier-Capitaine n’est pas homme à tourner autour de la question durant des heures. Son visage ne manifeste aucun dégoût, aucune colère, juste une vague compassion. Il est résigné. La décision de m’apaiser n’a pas dû être facile à prendre – il leur a fallu quinze jours pour y parvenir.
« Vous pouvez sortir », m’annonce-t-il de but en blanc.
J’accroche son regard. Il soutient le mien un instant, avant de finalement se détourner vers la mince fenêtre de ma chambre. Mon visage inexpressif doit être plus dérangeant que je ne l’imagine. Sa réaction est naturelle.
« Vous êtes libre de rester à la Tour si vous le souhaitez, mais vous pouvez aussi partir. N’étant plus un danger, vous êtes libre. »
Libre, oui, mais comment réagiront les gens, au-dehors ? Le Chevalier-Capitaine est courageux, solide : lui ne craint pas l’Apaisement. Les autres n’auront sans doute pas la carrure pour supporter mon regard et mon intonation monocorde. Je ne sais pas quoi décider. La perspective de me retrouver dehors m’aurait sans doute enchanté, quelques jours plus tôt ; aujourd’hui, elle me laisse parfaitement indifférent. Il n’y a rien pour moi par-delà les murs de la Tour. Ici, au moins, je bénéficierai de la protection des Templiers et de la richesse du savoir contenu dans la bibliothèque.
« Je souhaite rester pour le moment », réponds-je.
Il hoche la tête, me salue brièvement et se détourne. À voir la vitesse de son volte-face, je le présume désireux de me quitter au plus vite.
La porte reste ouverte après son départ, et j’observe le mince bout de couloir que j’aperçois de là où je me tiens. Le Templier qui me gardait a lui aussi quitté son poste. Je suis véritablement libre de sortir... et je ne sais pas où je désire me rendre.
Durant un long moment, je reste assis là, à regarder ce couloir où passe parfois une robe pourpre ou azur, ou une armure rutilante. Qu’aurais-je fait, avant ? Sans doute aurais-je cherché un moyen de m’enfuir, mais ce n’est plus dans mes projets. L’heure de l’office est passée depuis longtemps. On m’a déjà servi mon petit-déjeuner – le bol est toujours posé par terre, au pied de mon lit, attendant que quelqu’un vienne le prendre. Mais cette fois, le Templier ne viendra pas l’enlever.
Ayant enfin un but, je me lève, me penche pour saisir le plateau et me dirige vers la sortie. Il n’y a aucune hésitation dans mon geste lorsque je quitte ma chambre : j’ai désormais une chose à accomplir. Sur mon chemin, un mage me fixe, intrigué, avant d’ouvrir des yeux ronds et de pousser un cri d’effroi. Sa surprise ne m’atteint pas, pas plus que sa réaction. Naturel. Je suis la preuve que la Chantrie a repris le contrôle sur les mages.
Sans sourciller malgré les regards que l’on me jette, les pas précipités que j’entends derrière moi, les murmures, les exclamations, je me dirige résolument vers les cuisines. Puis, au détour d’un couloir, un visage familier m’apparaît. Je ne l’ai pas oublié.
« Bonjour, Katrina. »
La moindre des politesses. Katrina et moi étions amis, après tout. Elle va sans doute avoir un choc en me voyant ainsi, mais elle finira par comprendre. Il n’y avait pas d’autre solution. J’étais bien trop dangereux.
by tris
Adieux mon ami ft. tristan & katrina
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Ses bras s’enroulent autour de moi. Des semaines plus tôt, ce contact aurait peut-être réveillé quelque chose chez moi. Aujourd’hui, je garde un bras le long de mon corps, l’autre portant toujours mon plateau, légèrement écarté de moi pour laisser Katrina se blottir contre mon corps. Elle s’agrippe, me serre, et se désole pour ce qu’ils m’ont fait. Sa voix est chargée de douleur.
Je devrais la rassurer. Les autres vont immanquablement réaliser mon Apaisement, mais ils risquent surtout de paniquer ou, pire, de se rebeller. Les Templiers ne toléreront pas un acte collectif. Si une individualité peut être maîtrisée par la rupture de son lien avec l’Immatériel, un groupe sera anéanti et le Cercle oblitéré. Je ne ressens pas de compassion pour les mages. Leur sort m’indiffère. Mais ont-ils pour autant mérité de finir massacrés par ma faute ? Le symbole sur mon front, la peine de Katrina, la colère de tous, peuvent-ils justifier d’une tuerie au sein du Cercle ? Non. En toute logique, je dois m’y opposer. Et puis mon sort n’a rien de dramatique.
« Tout va bien. »
Le ton glacé de ma voix contraste avec les mots qui se veulent rassurants. Katrina n’y croira pas une seconde.
« C’était nécessaire. J’étais beaucoup trop dangereux, pour tout le monde. J’aurais fini par blesser quelqu’un. »
Je sais que cela ne lui suffira pas. Nous qui avons si souvent parlé de nos vies en dehors du Cercle, de notre volonté de nous libérer de cette prison, de notre incrédulité face à cette injustice... Elle ne pensera pas une seule seconde que ce que je dis est vrai. Et pourtant, c’est exactement ce que je crois. Il n’y avait aucune autre solution, hormis la mort, pour moi, et bien qu’Apaisé, je préfère tout de même être vivant que de passer par le fil d’une épée. Je suis dépourvu de sentiment, mais pas d’instinct de survie, à ce qu’il semblerait. Serais-je aussi capable de me battre pour sauver ma vie, s’il le fallait ?
Les regards se tournent vers nous. Des mages pointent mon front, d’autres se couvrent la bouche de leurs mains, et d’autres encore serrent les poings. La rumeur va se répandre dans le Cercle comme une traînée de poudre et bientôt, tout le monde connaîtra la nouvelle. Tristan a été Apaisé. La situation va dégénérer. Les mages céderont à la panique et à la colère ; les Templiers riposteront. Ce sera le chaos et pourtant, malgré mes prédictions logiques sur la suite des événements, la peur me déserte. La honte aussi. Ni le désespoir ni le doute ne parviennent à fleurir dans mon cœur. En moi, c’est le silence qui domine.
Les Templiers commencent à s’assembler par petits groupes, nous observant avec intérêt. Certains posent déjà la main sur le pommeau de leur épée, au cas où, mais la plupart des mages ne les ont pas remarqués, trop absorbés qu’ils sont par le spectacle de mon récent Apaisement. Parmi les Templiers, beaucoup se réjouissent sans doute de l’effet provoqué par mon apparition. Mon maître m’avait parlé des Apaisés et de leur rôle à la Tour. On ne les gardait pas au Cercle par pure charité, du moins pas toujours. Bien souvent, leur présence servait à rappeler aux autres mages quel sort pouvait leur être réservé, s’ils se montraient trop rebelles. Et ça marche, en effet : ceux qui m’entourent ont l’air tétanisé. Tout le monde est tendu – hormis moi – et la moindre étincelle mettra le feu aux poudres. Et si toute logique disparaît, c’est peut-être à moi de faire quelque chose pour y remédier.
« Ne t’inquiète pas pour moi, reprends-je pour Katrina. Je me sens parfaitement bien. »
Doucement, je l’écarte de moi. Ses yeux sont gonflés, humides. Sa peine pour moi n’est pas feinte. Elle m’appréciait vraiment. Je devrais lui en être reconnaissant. Au lieu de cela, je la fixe sans rien ressentir. Si naguère j’ai éprouvé de l’amitié pour elle, si j’ai apprécié le feu qui couvait en elle, tout ceci a disparu en même temps que mes pouvoirs. Pour autant, je ne souhaite pas être le centre d’attention de la salle trop longtemps, ni lui attirer des ennuis avec les Templiers. Ceux-ci seraient trop heureux de se confronter à des mages et je n’aspire qu’à la tranquillité. On dit que les sourires apaisent tous les maux : je tente une ébauche sans âme, qui rassurera peut-être Katrina – ou la fera fuir en courant, qui sait.
« Je t’assure que tout ira pour le mieux à présent. »
by tris
Adieux mon ami ft. tristan & katrina
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Elle m’arrache mon plateau des mains pour le poser sur une table, puis m’entraîne hors des cuisines. Voilà une sage décision. Il vaut mieux que nous nous tenions à l’écart afin de ne pas susciter davantage de tensions dans l’air. C’est sur moi désormais que se déverse sa fureur. Je peux le comprendre. Mon état la met hors d’elle et je suis la seule personne sur qui elle peut déverser toute cette frustration. Mes propos lui sont intolérables. Pourtant, au fond, elle doit savoir que c’était la seule issue possible pour moi. Hormis la mort.
« J’étais prêt à tuer pour m’enfuir, et même à pactiser avec un démon, rétorqué-je de ma voix sans émoi. J’aurais mis trop de vies en péril par mon inconscience. Aujourd’hui, je peux me consacrer à autre chose sans être un danger. »
Ce n’est pas la notion de danger qui l’effraie, non. Elle a toujours été prête à risquer sa vie pour sa liberté, mais là où elle a tort, c’est que tous ici ne partagent pas cette opinion. Il y a ici des enfants, des adolescents, des personnes qui, si elles rêvent de leur liberté volée, n’en demeurent pas moins farouchement attachées à leur vie.
« Oblitérer le Cercle reviendrait à tuer tous ceux qui y vivent, lui rappelé-je. Voudrais-tu vraiment voir mourir les mages ? Même les plus jeunes ? Personne ne mérite de mourir parce qu’un seul homme a manqué de jugement et s’est associé à un démon pour vaincre les Templiers. Et de plus, je n’aurais pas aimé me transformer en Abomination. »
En réalité, je n’en sais absolument rien. Avant mon Apaisement, j’étais déterminé, prêt à tout. Comme Katrina, l’Oblitération et le pacte avec un démon ne m’effrayait pas. Je réalise maintenant l’inanité d’un tel raisonnement. Cela n’aurait rien apporté de bon, pour personne. Peut-être même cela aurait-il provoqué un nouveau soulèvement des mages, une nouvelle guerre civile, une nouvelle période d’instabilité pour Thédas. Non, l’Apaisement était l’unique option.
Je sais toutefois que je ne pourrai convaincre Katrina. Sa fureur est telle qu’elle serait sans doute prête à lui laisser libre cours et à tout détruire sur son passage. Pour elle, pour les autres, je ne peux pas laisser faire ça. Il n’y a rien de rationnel à tout cela.
« Garde ton calme. S’ils ont choisi de m’apaiser, alors ils sont prêts à le refaire. Pour le moment, il n’y a rien que tu puisses faire pour te libérer de cet endroit, et la mort n’est pas la solution. Si les Templiers se doutent que tu vas leur causer des problèmes, alors tu seras Apaisée, toi aussi. »
Je n’ai nulle envie de la menacer, ni de lui faire peur, ni même aucune envie de me mêler de tout cela. Néanmoins, je perçois l’ampleur de ce qui pourrait découler d’une sanglante tuerie au sein du Cercle. Les morts me seront indifférentes, mais ce ne serait pas juste, ni sage, pour personne. Et puisque Katrina réprouve tant l’Apaisement, puisqu’elle estime que je ne suis plus humain, elle redoutera peut-être de subir le même sort que moi.
Je pose mes mains sur ses épaules, plante mon regard éteint dans le sien. Ce sont ses émotions qui la guident, celles que j’ai perdues, mais celles qui la perdront, elle, si elle ne parvient pas à les maîtriser. Elle ne désire pas cela. Elle ne veut que recouvrer sa liberté.
« Les plus jeunes mages auront besoin d’aînés solides et de conseils avisés. De plus, rien ne dit que cette situation va perdurer. Tu dois faire preuve de discernement, ne pas te laisser dominer par tes émotions. Je suis un avertissement pour vous tous. Tâchez de le prendre en considération. »
Mes mots dénués de vie résonnent sèchement dans l’air, mais je n’en ai pas conscience. Katrina a dit que je n’étais plus humain. Mon âme a déserté mon corps, dit-elle. C’est peut-être vrai, et pourtant je suis encore en mesure de réfléchir – avec bien plus d’acuité qu’avant. N’ai-je pas plutôt gagné quelque chose, dans cette histoire ? J’ai l’esprit clair, la conscience tranquille, l’envie de me plonger dans le travail. Cela ne m’était pas arrivé depuis très longtemps.
by tris
Adieux mon ami ft. tristan & katrina
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» Let me kill these humans - Katrina
» Une arrivée imprévue FT. Katrina
» ROUE DU RP ▲ Caerlion Loe - Aloïs Martell - Katrina Gaheris
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