Siblings ~ Aveline

Depuis quelque jours, Aveline semblait se trouver sur un petit nuage.

C'était à présent arrangé. Elle allait se marier avec Gabriel de Serault. Après près d'un an de cour à l'orlésienne, il lui avait fait sa demande... et elle avait accepté, bien sûr. Tout cela avait été très romantique. Du piano, des fleurs... La douairière en était encore toute émue - et ce n'était pas dans ses habitudes.

Elle avait déjà été fiancée deux fois. On aurait pu croire qu'avec cette expérience, tout ceci ne serait qu'une simple répétition à ses yeux. Pourtant... Elle se sentait heureuse, plus heureuse qu'elle ne l'avait été depuis des mois - et la perspective d'un mariage avantageux n'en était pas la seule responsable. En vérité, elle l'aimait vraiment - et elle se réjouissait d'entamer une nouvelle part de sa vie à ses côtés.

Elle était habituellement plus terre à terre que ça. Mais elle avait eu si peu de raisons de se réjouir, ces derniers temps ! La famille de Lydes était dans la tourmente. L'Enclin faisait des ravages. Les décisions de la divine Faustine V, qu'on les apprécie ou pas, généraient un climat de tension partout à la Cour. Au milieu de tout ça, une bonne nouvelle semblait presque être une denrée rare... et Aveline comptait en profiter.

Elle s'était installée au jardin de sa demeure pour profiter du beau temps. Au soir, elle avait été conviée à une réception organisée par une amie de la cour - un événement qui promettait d'être intéressant ; pour l'heure, néanmoins, elle n'avait rien de spécial à faire. Elle avait songé à profiter de ce moment pour discuter un peu avec l'une des Bardes qui travaillait pour elle, mais... elle avait fini par changer d'avis. Elle avait la tête ailleurs. Distraitement, elle chantonnait les notes de la Sonate pour une Plume que le compositeur avait écrite pour elle en déambulant parmi ses roses... Elle se serait trouvée bien sotte, à se comporter comme la jeune protagoniste d'un roman  l'eau de rose, si elle n'avait pas été si satisfaite.

Soudainement, quelqu'un l'attrapa par la taille.

-"Ah !"

Elle poussa un cri de surprise en se retournant vivement.

-"A-anthelme ? Qu'est-ce que tu fais ici ?"

C'était bien son grand frère, tout sourire, mais elle n'avait absolument pas prévu de le voir aujourd'hui. Ce n'était pas un problème, bien sûr, mais elle était surprise. Elle ne l'avait même pas entendu arriver. "Tu pourrais prévenir !" Elle prit un air faussement fâché. "Tu m'as fait peur !"

Aveline fit la moue, mais ne tarda pas à rendre sa bise à Anthelme en retrouvant le sourire. Elle n'aimait pas beaucoup les surprises, car elle préférait être en contrôle de tout son petit univers... mais dans ce cas-ci, c'est vrai, c'était une bonne surprise. Elle était bel et bien heureuse de voir son grand frère. "Moi aussi."

Ils s'observèrent mutuellement pendant quelques instants. Anthelme semblait bien se porter, mais Aveline ne s'inquiétait pas trop à son sujet... En bonne sœur dévouée et joueuse orlésienne, elle gardait toujours un œil sur les membres de sa famille, s'assurant de leurs situations, de leur santé. Ces derniers temps, les choses avaient été dures pour les de Lydes, entre l'agression d'Armand, la disparition d'Alaric, et le reste. Anthelme, lui, semblait épargné par cette vague de malchance. Cela la rassurait.

Il avait du se faire la même réflexion, car la prochaine chose qu'il fit fut de mentionner qu'elle avait l'air heureuse. Son observation la fit sourire. C'est vrai qu'elle se sentait bien, ces derniers temps, et compte tenu des événements des derniers mois, c'était dire quelque chose. Cependant, elle ne fit que sobrement répondre : "Le Jeu me sourit, mon cher frère. Et, crois-le ou non, mais ta visite me met également de bonne humeur."

Ce n'est pas qu'elle comptait lui cacher son engagement avec Gabriel ; en fait, maintenant qu'il était là, elle comptait même lui en parler le jour même. Lui annoncer de but en blanc comme ça ne lui semblait néanmoins pas adapté... surtout que, les deux derniers fois, il avait plutôt mal pris ses mariages. Elle espérait que la proximité des familles de Lydes et de Serault (la tante de Gabriel ayant été la première femme de leur père) le rassurerait un peu.

Elle prit son bras avec grâce et tous deux se mirent à marcher dans le jardin. Les fleurs étaient magnifiques (Aveline avait un bon jardinier, même si elle ne lui avait, bien sûr, jamais montré de reconnaissance particulière) et il faisait bien bon : le décor semblait parfait pour ce genre de conversation.

-"Comment vont les choses à Lydes ?" demanda-t-elle, sur le ton de la conversation. "J'ai l'impression de ne plus jamais m'y rendre que pour de graves occasions. Dis-moi, qu'est-ce qui t'emmène à Val Royeaux ?"

Aveline haussa les épaules. Le Noble Jeu était aussi délicat et dangereux que jamais, mais dire qu'il lui réussissait n'était pas un mensonge. La déchéance et la fuite de cette peste de Talys Shiral, par exemple, la faisait toujours sourire - même si les rumeurs parlant de sa réapparition parmi les mages rebelles lui déplaisaient fortement.

Mais elle n'allait pas ennuyer Anthelme avec toutes ces histoires, déjà parce que lui n'avait pas le même intérêt qu'elle pour le Jeu, et surtout parce qu'elle n'en avait pas spécialement envie. Il y avait bien d'autres choses à discuter ! Comme par exemple les nouvelles concernant le chateau familial de Lydes, où elle ne s'était plus rendue depuis l'accident d'Armand.

Elle savait bien sûr que lui et Alaric étaient partis combattre l'Enclin qui faisait rage au nord du pays. Inutile de dire qu'elle n'avait absolument pas approuvé de cette décision, surtout dans le cas d'Armand, à peine remis de ses blessures. Un pincement d'inquiétude la prit au cœur ; elle le chassa sans attendre. A ce stade, il n'y avait rien qu'elle puisse y faire, à part prier, et ce n'était pas son genre.

Elle rit un peu à la mention "du couturier", qui avait à priori quitté le domaine de la famille, au grand dam de leur aîné. Le templier Martell était, il est vrai, plutôt doué avec une aiguille. Aveline elle-même possédait quelques unes de ses robes. Mais elle savait fort bien que son meilleur client - et bien plus encore - c'était Ariel... La chose, en vérité, lui semblait plutôt absurde. Oh, tant mieux si son frère était heureux, mais s'amuser ainsi avec un couturier sans même avoir de femme ou d'enfant... Il semblait à Aveline qu'il aurait du être plus raisonnable.

Anthelme, lui, n'avait jamais prétendu aimer le templier. Sa dernière remarque la fit sourire. "Profites-en, je suis sûre qu'il ne tardera pas à refaire le voyage..." Une petite plaisanterie. Malgré son emploi du temps de templier, qui devait être des plus chargés, Aloïs Martell avait toujours semblé trouver le temps de passer à Lydes.

Mais Anthelme continua avec un aveu qui éloigna vite ses pensées des histoires de cœur d'Ariel. Quelque chose à lui dire, vraiment ? Ils étaient deux ! Cependant, lui avait l'air franchement gêné par son histoire.

Cela piqua sa curiosité. Elle prenait régulièrement des nouvelles de la maison en échangeant du courier avec ceux de ses frères qui y résidaient encore, mais n'avait rien entendu de spécial le concernant - qu'Ariel ai gardé le secret ou n'ai tout simplement pas été au courant. "Oh ?" Elle sourit, taquine. "Tu en dis trop ou pas assez, frère ! De quoi s'agit-il ?" Elle espérait que ce ne soit pas quelque chose de trop gênant. Encore une fois, Anthelme n'était pas un grand Joueur, et la dernière chose dont il avait besoin c'était d'un scandale le concernant. "Si tu me le dis, j'aurai une nouvelle pour toi, aussi..."

Anthelme bafouillait comme un enfant gêné. Quoi qu'il ai à dire, manifestement, il avait du mal à l'avouer. Mais, comme il le remarquait très justement, elle finirait de toute façon par l'apprendre : aussi admit-t-il finalement qu'il s'agissait d'Horace, le palefrenier de leur domaine de Lydes... à qui il "tenait", à priori, selon ses propres mots.

Elle était décidément la seule personne responsable de sa fratrie.

Le palefrenier. Aveline n'était pas du genre à se préoccuper des pensées ou des intérêts du petit personnel dans son genre. Bien sûr, elle savait qu'ils avaient un palefrenier à Lydes, et pour ce qui était de s'occuper du bien être de sa jument pendant ses longues absences, elle lui faisait confiance ; mais elle n'y avait jamais, jamais songé autrement que comme un subalterne parmi tant d'autres - et certainement pas comme un potenciel amant pour un membre de sa famille. Eh ! En fait, si Anthelme ne le lui avait pas rappellé, sans doute aurait-elle été incapable de se souvenir de son prénom. La noble dame avait une bonne mémoire, mais uniquement pour les choses qui importait. Cet Horace... Il n'en faisait pas partie.

-"Vraiment ?" Le ton était incrédule, mais elle ne put retenir un sourire amusant en voyant l'expression d'Anthelme. Il avait l'air gêné comme un adolescent avouant un secret honteux... ce qui n'était pas si loin de la vérité, d'ailleurs. "Eh bien, je vois que tu vises haut." Déjà, Ariel et son couturier, ça l'avait irritée... Mais au moins, Aloïs Martell avait un nom, une famille, même un poste chez les templiers. Cet Horace avait quoi, au juste ? Une fourche ?

Il avait certainement vu une opportunité à se lier avec un de Lydes. C'était quelque chose qu'Aveline, en bonne Joueuse, pouvait comprendre. Il faudrait surveiller ça.

Elle ne tarda pas se radoucir, pourtant. Regardant ailleurs, elle soupira et continua. "Amuse-toi, je suppose. Du moment que tu ne le présentes pas à Père..." Ce changement dans son ton était du à deux choses. Déjà, elle savait très bien que ce n'était pas si grave. Il n'était pas si rare pour des nobles de forniquer avec certains de leurs servants, aussi ridicule que ça puisse paraître. Aveline elle-même n'y avait jamais pensé (qu'aurait-elle a y gagner ?) mais tant qu'Anthelme gardait ça pour lui... Il n'y aurait sans doute pas de mal. Ce n'est pas comme s'ils risquaient de procréer. De plus... Eh bien, avec tous les soucis que leur famille traversait en ce moment, un peu d'amour ne pouvait pas faire de tort. Elle était de toute façon d'humeur joyeuse.

L'autre raison pour ce changement d'attitude était plus réfléchi. Elle aussi avait une grande nouvelle pour Anthelme aujourd'hui, et si elle lui passait cette histoire de palefrenier, lui ne pourrait décemment pas critiquer sa propre décision de se remarier. Non pas que ça aurait changé son avis... c'était simplement plus facile comme ça.

-"J'ai une grande nouvelle, oui." Elle marqua une pause, tournant les yeux vers son frère. Elle ne semblait ni hésitante, ni embarrassée : elle n'avait aucune raison de l'être. "Tu te souviens du marquis Gabriel de Serault, n'est-ce pas ? Le compositeur officiel de la Cour ? Eh bien... Il m'a demandée en mariage. Nous allons nous épouser." Son visage sérieux se fendit d'un sourire - un sourire sincère. Oui, la nouvelle la rendait heureuse, et Anthelme était le premier à qui elle en faisait part.

Anthelme avait l'air plutôt sérieux, avec son histoire d'amour. Pas juste un jeu, disait-il ? Cela expliquait probablement pourquoi il avait pris la peine de se déplacer pour lui en parler en face à face. Elle soupira, heureuse qu'au moins toute cette histoire reste confinée à Lydes, loin de la capitale. Moins de chance que ça ne se sache...

Sans surprise, il n'était pas excessivement enthousiaste à l'idée que sa petite sœur se remarie, mais il lui dit quand même être heureux pour elle... ce qui fit grandement plaisir à Aveline. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il saute de joie, mais tout de même, c'était une bonne nouvelle et elle était contente qu'il le réalise. "J'espère bien", répondit-elle malicieusement quand il lui fit remarquer que son fiancé avait intérêt à se rendre compte de sa chance... Pas de fausse modestie ici, Aveline avait parfaitement conscience de sa propre valeur. "Mais ne t'en fais pas, il en a tout l'air. Sa demande en mariage a été... on ne peut plus respectueuse." Ca, c'était vrai. Gabriel avait eu l'air parfaitement conscient de tout cela - doutant même qu'elle n'accepte réellement sa main après leur longue cour. Après tout, elle était une duchesse, et lui n'était "que" marquis... Il lui avait même dit d'emblée qu'il désirait qu'elle conserve son nom de famille. Très humble, comme décision.

La question de l'annonce au reste de la famille ne tarda pas. "Et bien, tu es le premier, bien sûr..." Ca allait de soi. Même si Anthelme n'avait pas décidé de venir la voir par surprise ce jour-là, ça aurait été à lui qu'elle aurait fait l'annonce en premier. "...mais je compte en parler aux autres très vite. Je comptais envoyer une lettre à Lydes... mais si tu y retournes prochainement, peut-être pourrais-tu l'y emporter ?" Elle ne comptait pas faire de cette affaire un secret, et de toute façon, Ariel ne tarderait pas à l'apprendre. Tout comme elle ne doutait pas qu'il finirait par apprendre l'affaire entre Anthelme et le palefrenier, qu'il le veuille ou non. "Quant à père... Il faudra que j'aille le voir. Je suis sûre qu'il approuvera." Il avait approuvé des deux autres - ah, c'était même lui qui avait trouvé le premier. Elle restait un peu soucieuse, pourtant, comme toujours quand leur paternel était impliqué. Il était le genre d'homme qui rendrait nerveux n'importe qui.

Elle soupira, heureuse. "Ce sera un bon mari. Il m'a même écrit une sonate au piano !" Son palefrenier lui écrivait-il des sonates, lui ? Elle en doutait. Aveline se demandait bien ce que son frère pouvait lui trouver. Ca la dépassait totalement... mais en même temps, elle avait tendance à ne pas accorder d'attention aux gens qui n'étaient pas assez nobles ou assez riches. Alors s'imaginer en tomber amoureuse... même pas en rêve.

Qu'Anthelme ai besoin de quelques jours pour emporter le message à Lydes, ça ne la dérangeait pas à outre mesure. Elle pouvait clairement comprendre qu'il aie envie de profiter de Val Royeaux. Aveline aimait beaucoup Lydes, mais rien ne valait la capitale. Là-bas, elle se sentait trop éloignée de tout. C'était ici que les choses importantes se déroulaient. "Merci ! Ne tarde pas trop quand même..." Elle imaginait qu'il désirait revoir quelques autres chevaliers...

En tout cas, il se faisait à l'idée de ce futur mariage sans grand problème, ce qui était parfait. Comme tout bon grand frère, il avait parfois tendance à être surprotecteur, mais vraiment... Aveline n'avait pas besoin de ça.

-"Je n'ai jamais subis quoi que ce soit, Anthelme. Je n'ai jamais regretté aucun mariage." Ni aucun veuvage, d'ailleurs...

Pour elle, ce n'était pas une question d'amour, ou de bonheur conjugal. C'était une question de réussite. Ses mariages lui avaient profité, ils l'avaient enrichie, ils lui avaient apporté des terres supplémentaires... Ils ne l'avaient même pas rendue malheureuse, vraiment. Elle n'avait pas aimé ses époux, elle les avaient parfois trouvés ridicules et avait souvent du résister à la tentation de rouler les yeux face à eux, mais elle avait toujours trouvé que ça en valait la peine.

Elle avait un peu de mal à comprendre pourquoi Anthelme, ou Aria qui était pareille sur ce plan, avait tant de mal à comprendre cela. Son inquiétude était touchante, mais peu nécessaire... "Quelle solicitude ! Mais tu peux me faire confiance, oui. Je sais ce que je fais."

Il l'assura ensuite qu'il ne serait pas trop envahissant pendant son séjour, maintenant qu'elle était fiancée. Il avait peur de les interrompre ? Elle gloussa. "Nous ne sommes pas encore mariés... " Les choses avaient jusqu'à présent été très chastes entre eux. Sans doute avait-il d'autres habitudes avec le palefrenier. Cela dit, après le mariage... Aveline avait de plus en plus envie d'un enfant. Arthur avait bien besoin d'un nouveau petit camarade de jeu, non ? "Je te préviendrai s'il passe. Mais il serait sans doute heureux de te voir... Tu es mon frère, après tout." Gabriel aussi avait des frères, il savait ce que c'était. Bon, lui et son frère avaient des styles assez différents, et elle ne s'attendait pas à les voir devenir meilleurs amis... Mais elle serait tout de même content que les deux se rencontrent. Ils faisaient partie des hommes les plus importants de sa vie, après tout.