Who's in command | ft. Kera [FB]

Pour la première fois de sa vie, Agrippa se rendait dans une caserne militaire tévintide.

Comme toujours, elle avait laissé son uniforme au placard. Celle qu'on surnommait la Femme en Rouge n'était pas du genre à rentrer dans les rangs, et les tons bleus et gris de la tenue classique réservée à la Garde des Ombres ne lui avait jamais plu. Elle avait donc enfilé, comme à son habitude, l'une de ses longues robes rouges qui faisaient sa réputation... Elle se sentait bien plus à l'aise comme ça. Un collier de pierres rougeâtres et son baton de mage, dont elle ne se séparait plus jamais, complétaient le costume. Le seul rappel de son statut était une broche d'argent qui maintenait un pan de tissus en place, représentant deux griffons aux ailes déployées... Cela lui suffisait. Elle avait une apparence assez hors norme, lui semblait-il, pour que quiconque d'un minimum informé la reconnaisse en la croisant.

Elle devait rencontrer quelqu'un, justement. C'était pour cela qu'elle était sortie, s'arrachant à ses activités plus importante et à la compagnie de ses fidèles gardes... Elle espérait que la conversation qui suivrait serait intéressante, mais elle en doutait : elle avait rendez vous avec une militaire, et elle n'avait pas beaucoup d'admiration pour ces derniers. Des esprits simples, pour la plupart, ennuyeux au possible...

Il faudrait bien s'y faire, pourtant.

Leur rendez-vous, bien sûr, concernait l'Enclin. Ce dernier était à présent bien officiellement de retour, et même s'il ne concernait à présent que les pays du Sud, Tevinter se devait de rester attentif à la situation. En vérité, une décision avait déjà été prise bien longtemps à l'avance, entre le magister Varian Titus, son groupe politique Exordium, l'Archonte, et probablement d'autres, encore. Agrippa ne connaissait pas les détails politiques, ce n'était pas sa spécialité. Ce qu'elle savait, c'était que pour l'instant, les directives étaient simples. Laisser le Sud se débrouiller. Des ordres qu'elle était plus qu'heureuse de suivre, bien qu'une partie d'elle même brûlait d'envie de quitter son poste pour se rendre au plus près de l'Archidémon.

Pourtant, peut-être par tradition, il convenait d'en discuter avec la personne à la tête des armées. En tant que dirigeante de la Garde des Ombres locales, c'était à elle que revenait l'honneur... A moins que ce soit du à son statut social comparativement modeste. Peu lui importait.

Elle était un peu en retard - elle n'avait jamais été ponctuelle, et s'était pire à présent que son esprit était perpétuellement concerné par l'Enclin. C'était comme une chanson obsédante qui lui tournait encore et encore en tête. Elle en avait du mal à se concentrer sur quoi que ce soit d'autre. Avec un léger soupir, elle pressa le pas jusqu'à arriver en vue de son objectif.

-"Général Kera !" La militaire, qui correspondait au descriptions qu'on lui en avait faite, semblait l'attendre. Agrippa étira les lèvres en un sourire peut-être un brin trop large, et s'avança vers la concernée à grands pas. Elle avait la réputation d'être très expressive, presque trop, dans sa façon d'être : c'était mérité. Elle aimait se démarquer, et quel meilleur moyen pour se faire remarquer d'entrée de jeu que de faire preuve de vivacité ? C'était comme ça qu'on faisait au théâtre. "Nous nous rencontrons enfin ! C'est un honneur !" Sans cesser de sourire, elle la détailla des yeux. C'était une femme à l'air solide et sérieux, assez proche de ce à quoi la mage s'était attendue. Elle avait entendu dire qu'il s'agissait d'une ancienne esclave. Elle ignorait si c'était vrai. Il était possible qu'il ne s'agisse que d'une rumeur visant à la décrédibiliser. Des rumeurs, il en circulait beaucoup au sujet d'Agrippa, aussi. La plupart concernant les origines de ses parents ou son arrivée au poste qu'elle occupait depuis plusieurs années. La Dame en Rouge avait mieux à fair que s'en préoccuper.

Elle en savait bien peu sur cette femme, au final. Elle n'avait pas vraiment pris la peine de s'y intéresser. Mais elle avait traversé toute sa vie en allant vers les défis avec confiance, et elle ne comptait pas arrêter maintenant.

Kera l'attendait près d!un terrain d'entrainement, pas très différent de ceux dont la Garde disposait. Le revoir fit remonter quelques souvenirs, elle-même y avait passé pas mal de temps, à ces débuts, une expérience qui ne lui avait d'ailleurs pas plu du tout. Elle avait tendance à utiliser ses dons magiques de façon beaucoup trop spontanée pour ces exercices... Et trouvait toute autre forme de combat absolument détestable. Et puis, elle n'était pas au meilleur de sa forme, à l'époque de son entrée dans la Garde... Pas avant de faire certaines rencontres, en tout cas... Enfin : elle y avait appris pas mal de choses quand même. Elle ne pouvait pas le nier.

Elle ne s'excusa pas de son retard - en toute franchise, elle ne l'aurait fait pour personne. Elle avait tendance à considérer que l'heure à laquelle elle arrivait devait forcément être la bonne heure... Elle aurait peut-être fait plus d'efforts pour être ponctuelle avec quelqu'un comme Varian - et encore ! - mais là, il lui semblait que ça n'en valait pas la peine. En fait, elle avait déjà presque tout oublié de son impair. Mieux valait entrer dans le vif du sujet sans tarder.

Elle répondit à son salut militaire par un léger salut de la tête accompagné d'un demi sourire. Le genre de geste auquel on pouvait s'attendre de la part d'une personne comme ça, elle supposait. Un peu trop raide à son goût... mais c'était ainsi. Sans rien ajouter, elle suivit le Général vers l'endroit qu'elle lui désignait - une petite fontaine ombragée un peu éloignée du terrain d'entrainement.

-"La chaleur ne me dérange pas. Mais je veux bien un verre d'eau, oui." Plutôt sobre comme offre mais, encore une fois, la mage n'était pas particulièrement surprise. De toute façon, leur rendez-vous risquait d'être sérieux en tout points - autant que les boissons le soient aussi. Kera s'attendait déjà à une "longue discussion" - et avait sans doute raison.

La mage se fit ensuite plus sérieuse... cessant de sourire, elle continua néanmoins d'observer son vis-à-vis, guettant ses réactions. Elle songea que la militaire devait déjà bien se douter de la raison de sa présence sur place. A l'époque actuelle, surtout, il ne devait pas y avoir mille et un sujets dont discuter avec une représentante de la Garde. "De quoi pourrions-nous parler, à part de l'Enclin ?" Ca faisait un bon moment, à présent, qu'Agrippa était au courant de l'éveil de l'Archidémon, mais le même frisson électrisant d'excitation lui parcouru la colonne vertébrale. Songer à ce qui se passait en ce moment dans le Sud la mettait toujours dans cet état. On aurait peut-être pu interpréter ça comme de l'inquiétude. Peut-être. Elle continua d'une voix inspirée... "Je suppose que vous connaissez déjà la situation. Nous faisons face à une période de grands bouleversements... Pour l'Empire et pour le Monde entier. Je suis curieuse, moi aussi. Avez vous déjà des plans ou des directives, face à ces événements ?"

La mage n'avait même pas spécialement conscience d'être impolie... Elle se moquait bien de la façon dont les autres la voyaient, du moment qu'elle marquait les esprits. Elle prit le verre d'eau, avec un signe de tête en remerciement.

De recrutement... Il était vrai qu'Agrippa cherchait bel et bien à recruter de nouveaux gardes, mais les critères sur lesquels elle les trouvait étaient bien particuliers. A ses yeux, c'était plus une question de religion qu'autre chose. Elle cherchait des gens qui avaient besoin d'une aide spirituelle ; des gens aussi perdus dans leur vie qu'elle l'avait été elle-même quand elle avait été faite Garde sans vraiment le vouloir. C'était quelque chose de personnel, dont elle ne pouvait pas parler à Kera - et quand bien même elle l'aurait pu, elle doutait qu'elle aurait pu l'aider.

Bref, elle n'était en effet pas venue pour ça. Le sujet de l'Enclin était plus important et intéressant que quoi que ce soit d'autre. Kera, clairement, y avait déjà beaucoup réfléchi... Non seulement ça, mais elle désirait s'y impliquer, elle et ses armées - intervenir dans le Sud après cette longue période de silence de la part de Tevinter. Agrippa supposait que c'était plutôt admirable de sa part.

Bien sûr, l'idée d'une invasion d'un pays voisin était dans l'air depuis longtemps déjà, mais ça n'allait pas plus loin que des rumeurs et des manœuvres militaires que Kera connaissait sans doute bien mieux qu'elle. L'Enclin, d'une façon ou d'une autre, devrait avoir son impact sur le prochain conflit. L'Archonte comptait en profiter pour affaiblir les troupes sudistes sans difficultés, chose à laquelle Varian l'encourageait.

Elle esquissa un nouveau sourire. "Je vois. Le Magisterium brille encore une fois par sa lenteur." L'arrivée de l'Enclin, d'après ce qu'elle avait pu comprendre, était à l'origine de pas mal de conflits au sein des plus hautes sphères du pouvoir tévintide. Elle faisait entièrement confiance à Varian pour mener tous ces débats là où il le désirait, cependant. Surtout avec son entente actuelle avec Aquila Caelina. Un Archonte était toujours une bonne personne à compter parmi ses alliés. "Je suis heureuse de vous dire que j'en sais un peu plus sur leur plan, cependant."

-"Aucune engeance ne menace nos frontières, n'est-ce pas ? Il semblerait que nos dirigeants aient donc décidé que tout cela ne nous concernait pas. Pour l'instant, du moins." Elle haussa les épaules. Parler de 'leurs frontières' comme si cela signifiait quelque chose d'important pour elle était tout de même un peu amusant... Tout ça, c'était de la comédie - elle n'avait aucun réel intérêt pour Tevinter, surtout le Tevinter actuel. On attendait d'elle d'être une patriote, pourtant, et elle pouvait jouer ce rôle - elle était une bonne actrice.

Elle leva les yeux vers la militaire qui la regardait, soutenant son regard de ses yeux légèrement écarquillés. "J'ai personnellement reçu des appels à l'aide de la part d'autres sections de la Garde des Ombres. Nous ne sommes pas sensés nous préoccuper de politique internationale, après tout - pas officiellement." Pour la Garde de Tevinter, cela avait toujours été plus compliqué que ça. Historiquement, le groupe avait souvent été plus proche de son gouvernement que de ses confrères étrangers. Agrippa ne faisait pas exception à la règle, bien qu'elle ai ses propres objectifs en tête.

-"J'irai, bien sûr, mais pas dans l'immédiat... et, j'en ai bien peur, avec ma Garde comme seule compagnie." Même pas toute la Garde, songea-t-elle. Les gens de confiance uniquement. Les gens qui connaissaient la vérité sur les Anciens Dieux, et qui étaient prêts à tout sacrifier pour cette cause.

Agrippa s'était attendue à une certaine déception de la part du Général. Clairement, cette dernière s'attendait à se battre - elle n'attendait que les ordres pour se mettre en route. Pourtant, elle n'aurait pas cru obtenir une réaction aussi clairement négative. Après tout, non seulement elle était une militaire, mais si ce que la Garde avait entendu dire était vrai, elle était aussi une ancienne esclave... On aurait pu croire qu'elle aurait eu l'habitude de recevoir des ordres sans discuter. Peut-être sa position dans l'armée lui était-elle montée à la tête.

En tout cas, la militaire était énervée, presque accusatrice. Son ton, qu'elle tentait pourtant de maîtriser, laissait clairement sous-entendre des reproches. Envers le Magisterium ? Ou envers Agrippa elle-même ?

Elle n'allait pas s'outrer pour si peu. Peu lui importait, dans le fond, qu'une simple militaire désapprouve d'elle. Elle n'était pas Garde, elle n'était même pas mage, elle n'avait pas le moindre début d'idée de ce en quoi croyait Agrippa, de l'importance de sa mission sur terre. Sa colère ne signifiait rien pour elle, et encore moins pour le monde. Elle était déjà en train de perdre son temps à lui parler.

Elle arqua un sourcil, l'air légèrement moqueuse.

-"Ai-je l'air d'une politicienne ?"

En fait, peut-être que oui. Les politiciens de Tevinter étaient tous des mages, après tout, avec un air peut-être un peu plus sérieux qu'elle, mais pas si différents au final. Pourtant Agrippa ne se considérait absolument pas comme l'un d'eux. Elle n'aimait pas la politique, elle la trouvait inutile et frustrante. Si elle avait pu, elle aurait laissé tomber tous les faux semblants qu'elle devait maintenir avec Varian, pour étaler ses vraies croyances et ses vrais objectifs au grand jour...

Elle devait s'y plier, hélas. Mais toujours avec distance. Elle laissait son allié Varian prendre soin de tout cela. Elle, son rôle était de garder les yeux tournés sur l'Enclin. Et, à priori, de gérer les doléances des militaires énervés... C'était tout de suite moins intéressant.

-"En tant que Garde, je pense que vous devriez laisser cette tâche aux véritables professionnels. Que savez-vous de l'Enclin ? Sachez que moi et mes confrères surveillons la situation de près. Les engeances ne menacent pas nos frontières : nous le saurions. Et les Sudistes n'ont pas demandé votre aide, à ce que je sache." Elle avait cessé de sourire. "Si c'est un combat digne de ce nom que vous voulez, peut-être devriez-vous vous plaindre directement au Magisterium. Je suis sûre que vous y trouveriez au moins quelques personnes qui seraient heureuses de vous voir marcher vers le Sud." Et autant qui seraient heureuses de lui ordonner de ne rien en faire. Voilà bien l'ennui avec la politique. Mais Agrippa avait mieux à faire que de se préoccuper de tout cela.

Assurément... Assurément, la Général n’acquiesçait qu'en apparence. Cela agaça Agrippa plus que de raison. Avait-elle réellement l'air d'une politicienne ? Elle se demanda brièvement ce que les vrais magisters de Tevinter en auraient pensé. La plupart d'entre eux n'auraient sans doute pas beaucoup apprécié la comparaison... Après tout, toute mage qu'elle était, elle ne faisait pas exactement partie 'de leur milieu'... Avec ses parents d'origine orlésienne, son manque d'éducation formelle en magie et ses années de bohème qui avaient précédé son entrée dans la Garde, elle ne devait pas être du gout de tous. Heureusement, elle plaisait aux gens qui comptaient - Varian, et par extension l'archonte...

Elle n'était pas une politicienne, elle était une prophète, une prêtresse, une Garde des Ombres. Là où les politiciens ne se préoccupaient que de rivalités mesquines et de la postérité de leur nom, elle servait les seuls vrais Dieux de Thedas !

Son ego était autre chose qu'elle avait sans doute en commun avec les politiciens tévintides.

Enfin ! Kera n'avait rien à voir avec tout ça et Agrippa ne pouvait rien lui en dire... Elles passèrent heureusement rapidement à la suite. La général se remit admirablement vite de sa colère, retrouvant son professionnalisme et son efficacité toute militaire... En apparence, du moins. Brièvement, Agrippa se demanda si la personne plus passionnée et emportée qui était apparue l'espace d'un instant était la vraie "Kera", habituellement cachée derrière une façade. La mage se disait presque qu'elle aurait préféré parler à l'autre. Mais au moins le sujet semblait être clos.

Elle sentit la tension tomber et rit légèrement. "Foncer sur les engeances armée d'un bâton, c'est l'un des aspects de mon poste," répondit-elle en tapotant doucement du bout des doigts sur son arme - plus pour entendre les mots sortir de sa bouche que pour vraiment partager une plaisanterie avec l'autre femme. Elle songea un instant au magisterium. Même si Kera avait décidé de s'y rendre, Agrippa doutait que ça aurait donné quoi que ce soit... Pas avec Varian pour veiller au grain. Tout de même, elle allait sans doute devoir lui parler de la réaction de la militaire, plus tard... Pas sûr que ça l'intéresse, mais on ne savait jamais. Et puis, elle avait du se taper la visite, elle pouvait tout aussi bien partager ce qu'elle avvait vu.

Elle balaya enfin les excuses de la militaire d'un geste de la main. "Peu  importe, peu importe - au moins, maintenant, vous êtes au courant." Elle n'allait certainement pas faire durer les choses plus longtemps iutilement. Elle se demanda vaguement ce qui motivait la Général. Sa fierté de tévintide ? La sensation d'être à la tête d'une armée ? La simple envie de se battre ? Elle avait toujours eu tendance à accorder une valur aux gens en fonctions de leurs motivations - et bien sûr, les siennes propres étaient toujours les meilleures.

Sa première impulsion suivant cela fut de prendre congé, mais elle se retint en écutant la proposition de son hôte. Visiter ces lieux... Ce n'était pas ça qui allait révolutionner sa vie - elle en baillait d'avance. Quant à trouver des nouvelles recrues, certes, la Garde tévintide elle-même aurait certanement besoin de quelques nouveaux hommes, mais Agrippa avait des critères très particuliers pour cela, des critères qui auraient été difficiles à justifier à Kera. Après tout, sous sa direction, la Garde devenait plus un culte qu'une organisation guerrière. Il y avait déjà quelques anciens militaires dans ses rangs, dont certains étaient parfaitement acquis à ses idéaux... Mais pour trouver de nouvelles personnes prètes à découvrir et écouter son message, il fallait chercher dans une toute autre population. Des gens vulnérables, déboussolés, en recherche d'un sens à donner à leur vie. Des gens prêts à accepter la salvation dans la religion - comme elle l'avait été elle-même des années plus tôt. S'il s'était agi de soldats actifs, confrontés à la guerre et à ses horreurs, ça aurait pu marcher. Là, par contre, elle avait des doutes.

-"Mais me laisseriez-vous emporter vos hommes ? Qui sait quand vous en aurez besoin !", répliqua-t-elle pour gagner du temps. Elle lui adressa un regard malicieux et sans doute un peu agaçant.

Elle devait prendre une décision rapidement. Refuser aurait été suspect, et puis rien ne l'empêchait de trouver deux ou trois recrues intéressantes à confier à quelques vieux gardes sans implications dans ses histoires. Ils ne survivraient sans doute même pas à leur Union. Il faudrait juste bien les surveiller entre temps... Kera n'avait pas l'air du genre à envoyer des gens espionner, mais on était jamais trop prudent, dans ce pays. "Enfin, je peux toujours faire un tour - comme vous l'avez dit, je suis là, de toute façon."

Elle alla pour la suivre, mais continua de parler, prenant cette fois un ton plus sérieux. Elle regardait devant elle, dans le vide. "Comprenez, cependant... Se dédier à la Garde - c'est plus qu'un engagement, c'est un sacrifice. Un grand nombre de nos recrues trouvent la mort avant même que leur initiation ne soit complète... Connaissez-vous assez bien vos hommes pour savoir lesquels sont prêts à cela ?"

Agrippa était loin d'être intéressée par les soldats du Génréral Kera. Elle ne comptait pas non plus donner des détails sur ses prochains mouvements avec la Garde, ou de ses objectifs à long terme, malgré la légère provocation de la militaire. "Nous verrons," se contenta-t-elle de répondre.

Que l'un de ces soldats leur soit réellement utile, Agrippa en doutait. Mais elle n'ajouta rien quand Kera envoya l'un de ses subordonnés chercher deux de ses hommes. (Elle semblait fort bien les connaître, par nom, ce qui était au moins quelque chose à quoi la mage pouvait s'identifier. Elle aussi connaissait bien tous les membres de sa Garde, elle le devait, pour s'assurer de leur loyauté. Après tout, elle n'était pas qu'une commandante pour eux, mais aussi une guide spirituelle. Et pour savoir lesquels de ses hommes allaient être sensibles à ses enseignements, elle devait bien les connaître...)

Klaytus et Timor, donc. Agrippa se demandait bien ce qu'ils avaient de si exceptionnel pour mériter une recommandation spéciale de leur cheffe. Kera avait l'air de prendre tout ça très au sérieux. Mais en attendant leur arrivée, elle la dirigea vers en groupe d'autres soldats en plein entrainement.

La mage n'arrivait même pas à prétendre être intéressée par leurs historiques personnels et leurs exercices de lutte, cependant. Ce n'était même pas leurs origines modeste qui la dérangeaient - elle-même était une fille d'émigrés et la Garde était loin de ne compter que des gens de haute naissance. Non... C'est juste qu'ils n'avaient aucun intérêt particulier à ses yeux. Des gens banaux, comme elle en voyait tous les jours. Des gens qui n'auraient jamais aucun rôle à jouer dans ce monde. Des figurants.

Elle tourna les yeux vers son interlocutrice.

-"Et vous ?" Cette histoire-là devait au moins en valoir un peu plus la peine. "Comment avez-vous rejoint l'armée ?" Qu'elle lui raconte cela en attendant l'arrivée des deux autres - au moins, ça passerait le temps. Agrippa était curieuse de savoir si ce qu'elle avait entendu était vrai. Était-elle réellement une ancienne esclave ? Ce n'était pas si impossible que ça... La Garde en comptait aussi quelques uns pas en position de commande actuellement, mais ça aurait pu être le cas.  

Agrippa considéra la militaire de ses yeux froids, écoutant ses paroles mais cherchant surtout ce qui se cachait derrière. Le hasard, l’aide d’un ami. Cela ne signifiait pas grand-chose. En fait, c’était si peu spécifique que ça aurait tout aussi bien pu décrire le parcours d’Agrippa elle-même – et pourtant, elle doutait d’avoir quoi que ce soit d’important en commun avec cette femme. Et les précisions qui suivirent n’ajoutèrent pas grand-chose de plus… Aucune mention de l’esclavage. Alors, fausses rumeurs ou n’avait-elle tout simplement pas envie d’en parler ? La mage avait presque envie de le lui demander directement. Elle n’était pas du genre à se gêner…

Mais Kera changea la conversation avant qu’elle ne puisse le faire, lui retournant la question. Si c’était une tentative de diversion, cela marchait plutôt bien : il fallait avouer qu’elle aimait parler d’elle-même… Et oui, la militaire avait bien raison, son histoire était des plus intéressantes – et encore, ça, c’était quand elle racontait sa véritable histoire, la version embellie et retravaillée était plus fascinante encore.

-"Mais quelle histoire voudriez-vous écouter ? Comment je suis devenue commandeur… ou comment je suis devenue Garde ?" Elle sourit presque aimablement. "J’ai fait l’un par hasard, et l’autre avec l’aide d’un ami… Mais la vérité vraie, Général, est que je suis arrivée ici parce que tel était mon destin. Depuis le jour de ma naissance, la moindre de mes actions a contribué à me mener là où j’avais toujours du être... En va-t-il de même pour vous ?" Ce genre de tirades était la raison pour laquelle elle avait une réputation un peu spéciale à Tevinter et qu’on l’invitait rarement aux fêtes. Son fanatisme ressortait souvent par surprise, surtout quand on lui parlait de sa mission dans la Garde, et bien que peu de monde connaisse l’étendue de ses croyances, cela mettait quand même les gens quelque peu mal à l’aise.

Elle se demanda si la militaire croyait en quoi que ce soit. Le Créateur, peut-être. Ou plus probablement en rien. Agrippa se demandait souvent ce qui était le pire entre les deux.

Elle détourna enfin les yeux, toute trace d’intensité envolée, quand le soldat de toute à l’heure refit son apparition, un peu essoufflé, accompagné de deux hommes qu’Agrippa identifia comme étant ceux que Kera voulait offrir à la Garde. Quels étaient leurs noms, encore ? Paytus ? Claymore ? Peu importait. "Ah ! Voilà donc vos hommes." Elle les observa très brièvement – encore une fois, elle était loin d’être intéressée, elle doutait que ces deux-là passent leur Union, et quand bien même ils y survivraient, cela ne voudrait pas dire qu’ils resteraient en vie longtemps. En tout cas, ils n’attirèrent pas spécialement son attention. "S’ils sont vraiment prêts à mourir pour me rejoindre, qu’ils me suivent ; sinon, je n’ai pas besoin d’eux."