The kids are gone [Flashback - Agrippa]

Aurelius gardait un ton léger et confiant, même en parlant des dangers auxquels il allait probablement devoir faire face au Magisterium, à présent. Une façade ? Sans doute en partie - Agrippa pouvait apprécier cela. Elle se disait quand même qu'il devait prendre ça plus sérieusement qu'il ne le montrait. Avoir choisi de rester, de reprendre le poste de son père, était une décision sérieuse en tant que telle. Et ces histoires d'égalité et de protection du peuple, il y croyait réellement, c'était certain. Assez pour changer de vie...  pour rentrer au pays, pour prendre des risques. Mais jusqu'à quel point ?

Agrippa, pour sa part, se sentait capable de tout donner pour sa cause. Elle ne savait pas, dans l’absolu, où exactement tout cela allait la mener : cela lui convenait, elle était sur la bonne voie dans tous les cas. Quoi qu’il arrive, ça en vaudrait la peine…  

Sa passion n’avait pas l’air de rassurer son ami, cependant. Agrippa avait déjà remarqué que plusieurs personnes qu’elle avait connues « avant » semblaient un peu troublées par sa personnalité actuelle. Cela ne lui plaisait pas, et cela contribuait certainement au fait qu’elle préférait fréquenter de nouvelles personnes, qui ne l’avaient connue qu’en tant que Garde. Au moins, avec ces dernières, elle ne risquait pas de recevoir des questions telles que celle qu'Aurelius lui posait maintenant.

-"Ce n'est pas une condamnation, c'est une bénédiction. Devenir Garde, c'est la meilleure chose qui me soit jamais arrivée. Tu ne trouves pas ça bien, que je réalise ce pour quoi je suis née ? Tu avais l'air de trouver ça bien, quand il s'agissait de devenir une artiste."

Mais elle perdait son temps, il ne le verrait pas ainsi quoi qu'elle dise. Il s'inquiétait, peut-être même avait-il pitié d'elle, ou de la personne qu'elle avait été. Elle ne se sentait ni perdue, ni condamnée, pourtant. C'était avant de devenir Garde qu'elle avait été perdue, même si personne ne le réalisait à l'époque, et certainement pas elle-même.

Il était préoccupé par la situation à Tevinter, son manque de réaction par rapport à l'Enclin et le reste. Agrippa n'était qu'à moitié d'accord avec lui. "Les armées peuvent très bien se battre contre d'autres armées, mais pas contre des engeances. C'est la Garde qui devrait s'impliquer, personne d'autre." Elle allait devoir rencontrer la Général Kera, bientôt. Disons simplement que ça ne l'enchantait pas. Au moins, la majorité du magisterium semblait d'accord avec elle pour l'instant - l'influence de Varian et de l'archonte n'y étant pas pour rien : pour l'heure, l'armée n'allait pas bouger.

-"Des Mystères, oui. Une belle chose dont être une divinité, tu ne trouves pas ?" Quand elle avait rencontré Varian, et les Dieux par la même occasion, elle avait été tout naturellement attirée par Toth, le dragon des flammes, pour des raisons évidentes. Mais les Mystères… Les Mystères étaient presque plus importants encore, n’est-ce pas ? Ils représentaient tout l’Inconnu, toutes les choses sans nom, les choses cachées et obscures. Voilà quelque chose qui recelait véritablement du pouvoir, un potentiel infini. Comme l'Enclin lui-même, et comme les tréfonds. Faire partie de tout cela était un vrai honneur, se disait-elle.

Elle continua tout naturellement, sur le même ton, passant allègrement le la vérité au mensonge. "C’est un archidémon, je suis une garde. A quoi t’attends-tu ?" Elle le regarda avec curiosité. Se montrait-elle trop suspecte, pour recevoir des questions pareilles ? Cela ne l’inquiétait pas trop. Après un moment de réflexion, elle ajouta : "Même si j’avoue… que j’ai aussi tout simplement envie de le voir de mes propres yeux. J’en rêve déjà chaque nuit..." Cela faisait partie des conséquences de l’Union : ses nuits étaient désormais peuplées d’images de l’Enclin. Contrairement à bien des Gardes, Agrippa adorait ces rêves, aussi oppressants soient-ils – ils la fascinaient, tellement qu’elle avait parfois envie de dormir plus que de raison, chose que son emploi du temps ne lui permettait pas vraiment de faire. Au delà du plaisir que lui procuraient ces visions, elle aimait aussi savoir qu'elle les partageait avec tous les Gardes de Thédas.

Elle imaginait qu'Aurelius pouvait bien comprendre son envie de voir l'Enclin de ses propres yeux, à défaut de comprendre le reste. Dans leur jeunesse, ils avaient rêvé de voir tant de choses... Des griffons, des pirates, des qunaris, des cuirassés... Mais honnêtement, les dragons avaient toujours été ceux qui fascinaient le plus la jeune fille - et Razikaal n'était pas n'importe quel dragon, même un non croyant l'aurait admit.

Ils se remirent à parler de la population normale tévintide - qui n'avait rien de différent de celle des autres pays de Thédas. L'ennui inhérent à toute cette vie ne semblait pas le déranger. Elle ne comprenait pas cela chez lui... Lui même était quelqu'un d'intéressant, avec plein de passions et d'expériences de vie, et pourtant il semblait tout à fait heureux de se préoccuper de gens banaux. Elle n'avait jamais eu la patience pour cela.

Une petite fille repassa devant eux, et Aurelius l'arrêta, lui offrant un morceau de fil pour réparer un trou dans son pantalon. Elle observa la scène en silence, son malaise de tout à l'heure remontant en elle, se demandait s'il le faisait exprès. Elle se souvint d'une scène similaire, avec elle au même âge... Machinalement, elle plongea sa main dans sa poche, et la trouva vide. Soudainement, elle fut prise de l'envie de rentrer chez elle, avec les autres Gardes. "Allons, file," finit-elle par intimer à la gamine, qui n'avait franchement pas l'air impressionnée, ni par elle, ni par Aurelius. "Va jouer ailleurs."

Elle devait aller jouer ailleurs elle-même, se dit-elle. Voilà qui lui ferait du bien. Après, elle pourrait aller parler d'Aurelius à Varian, et qui sait, peut-être que tous deux s'entendraient bien. Peut-être que la prochaine fois qu'elle le rencontrerait, il serait plus en phase avec elle, et qu'ils pourraient se fréquenter sans malaise comme avant. Et même si ce n'était pas le cas... Elle savait qu'ils se reverraient bientôt. Ils avaient vécu leurs vies parallèlement l'un à l'autre jusqu'à présent, ils étaient liés, d'une certaine façon... Pourquoi, elle ne le savait pas exactement, mais ça ne pouvait pas être anodin.