The World At Large | ft Ekaitz

Après la fin compliquée des jeux de l'arène organisés par le Divin, Rhea avait rapidement réalisé qu'elle n'avait plus aucune raison de rester à Minrathie. Quand elle avait quitté Qarinus, c'était avec la ferme intention de ne plus jamais y remettre les pieds - mais les choses avaient changé depuis. Sa mère avait disparu, et la maison où elle avait vécu jusqu'alors lui revenait de droit... Elle n'avait plus de raison de rester chez son oncle - plus de raison, et plus envie.

Elle avait retrouvé la maison de sa mère vide et hantée par de vieux souvenirs désagréables. Plus personne n’y avait mis les pieds depuis longtemps : après la mort de Nerva, quelqu’un – Rhea ignorait qui – avait pris la peine de recouvrir les meubles de draps blancs en attendant son retour, mais c’était tout. Les esclaves qui avaient travaillé dans la maison avaient tous été tués... Il lui semblait parfois pouvoir entendre leurs cris entre les murs, mais sans doute était-ce son imagination qui lui jouait des tours. Elle avait laissé les choses en l’état, n’utilisant presque que sa chambre, le salon, et un coin des cuisines, laissant le reste tourner à rien. Elle s’en moquait bien. Cette demeure pouvait s’effondrer sur elle-même ou brûler des sous-sols au plafond, pour tout le bien que ça lui fasse. Eh ! Peut-être aurait-elle du y mettre le feu elle-même.

De toute façon, elle ne comptait plus rester très longtemps dans cette maison qui l’avait vue grandir. Cette partie de sa vie était terminée – elle pouvait l’affirmer à présent. La suite se déroulerait à Osterburg… Mais avant toute chose, elle devait s’y rendre. Les Marches Libres n’étaient pas si loin, mais cette fois-ci, elle y allait seule, sans la famille Argento pour l’aider. En fait, il était important que personne ne l’aide – personne de tévintide, en tout cas : elle ne voulait pas qu’on connaisse sa destination. C’était un voyage qu’elle devait entreprendre seule, elle en était persuadée. Mais elle ne pouvait quand même pas naviguer en solitaire : elle avait besoin d’une place sur un navire.

Avant de se rendre au port ce jour-là, elle avait enfilé des vêtements plutôt passe-partout – pas ceux que porteraient une fille d’altus, mais c’était le but. Elle ne tenait pas à attirer l’attention de voleurs ou de quoi que ce soit d’autre. Il faut dire qu’elle transportait pas mal d’argent sur elle… Rhea était peut-être jeune, et elle manquait d’expérience du monde, mais elle n’était pas non plus stupide. Si elle voulait obtenir quoi que ce soit, ici, elle devrait payer. Tant mieux : l’argent était à peu près la seule chose dont elle disposait en suffisance.

Elle  avait déjà du payer pour qu’on lui souffle où trouver un capitaine prêt à discrètement la faire sortir du pays, sans trop lui poser de questions. L’homme en question avait débarqué à Qarinus un peu plus tôt, et n’allait pas tarder à repartir vers le Sud. Ce qu’il venait faire comme commerce ici, elle n’avait pas trop cherché à le savoir… L’important était qu’elle pouvait utiliser son navire quand il reprendrait le large. Elle se demandait quand même un peu quel genre de personne il était. Sans doute pas très honnête. Sans doute pas très loyal. Mais elle avait de quoi acheter sa loyauté.

Elle avait du un peu chercher – et avait manqué de se perdre – pour trouver la taverne où il était sensé se trouver. Bien sûr, elle n’avait jamais mis les pieds dans les quartiers populaires du port de Qarinus avant. Elle sortait déjà peu en général, mais quand elle le faisait, c’était pour rester dans les coins plus sécurisés de la ville. Au final, elle connaissait très peu sa ville – et à présent qu’elle avait l’occasion de mieux la découvrir, elle planifiait déjà son départ. Sans regrets, sans regrets. Plus rien ne la retenait ici.

Enfin, elle ouvrit la porte du bar et avala sa salive. Quelques pas, et elle sentit déjà sa confiance faiblir. Elle avait l’impression que tout le monde la regardait – elle n’était pas à sa place ici et ça devait se voir comme le nez au milieu de visage. Elle dut faire un effort pour ne pas tourner les talons, et se força à regarder autour d’elle, parmi cette bande de marins à l’air plus ou moins patibulaires, pour trouver un homme qui correspondrait à la description qu’on lui avait faite. Ekaitz Vezate. C’était un nom étranger, pas tévintide – elle était incapable de situer d’où il venait, mais elle tentait de voir cela comme un bon présage. N’importe quel endroit était mieux qu’ici… Heureusement, elle l’aperçut sans trop de peine – du moins, elle croyait que c’était lui. Il était attablé au fond du bar, en train de discuter avec un autre homme – l’un de ses subordonnés, peut-être, ou quelqu’un avec qui il faisait des affaires ? Cela l’inquiéta un peu : elle aurait préféré qu’il soit seul, elle ne voulait pas l’interrompre et se faire mal voir dès le début. Mais elle n’avait pas le choix… Elle était venue jusque-là, et elle devait trouver un bateau hors d’ici le plus vite possible. Si elle laissait passer cette chance, que lui resterait-il ? Elle désirait se battre contre tout ce que représentait son pays, mais comment le pourrait-elle si elle n’était même pas capable de faire face à un défi comme celui-ci ?

En se mettant en marche, elle songea soudainement à son père… Pour tout le mépris qu’elle avait pour lui, elle devait reconnaître une chose : il avait l’air de se sentir à l’aise partout. Où qu’il aille, il se comportait comme si cet endroit lui appartenait. Sans doute considérait-il un peu que c’était le cas. Il était un mage, un membre de la famille Pavus, un magister. Il était toujours en position de pouvoir. Pourquoi se serait-il senti mal à l’aise où que ce soit ? Il avait l’habitude qu’on lui obéisse au doigt et à l’œil. Malgré elle, Rhea lui envia soudainement un peu cette assurance… Non qu’elle souhaite être comme lui, non, mais elle aurait aimé se sentir moins… faible. Elle n’était presque jamais sortie de chez elle depuis ses dix ans. A cause de sa santé, de son dégoût pour sa société, et de la honte qu’elle faisait à ses parents, elle n’avait jamais fréquenté les hautes sphères tévintides comme d’autres filles de son âge et de son statut auraient pu le faire. Tout au plus avait-elle participé à quelques réceptions données chez elle, et jamais elle n’y avait brillé socialement : elle avait toujours été le petit laideron mal aimé de sa famille. Depuis sa métamorphose, elle était sortie un peu plus souvent, mais jamais elle n’avait fait quelque chose comme… acheter les services d’un véritable capitaine écumeur. Ah ! Rien que se dire que c’était ce qu’elle était en train de faire lui semblait absurde.

Elle devait le faire. Pour Felix.

Après une marche qui lui parut interminable, elle finit enfin par arriver devant la table où le Capitaine était installé. Elle eut encore une dernière pensée pour Felix, et pour Nero – puisse-t-elle devenir aussi sûre d'elle qu'eux l'espace de quelques minutes, puisse-t-elle rendre le premier fier, et envoyer le deuxième au Diable. Elle s’éclaircit la gorge et demanda : "Vous êtes Ekaitz Vezate ?"

Eh bien, au moins ne s’était-elle pas trompée sur la personne. L’écumeur lui confirma rapidement son identité – tout en ajoutant son titre de Capitaine, auquel il devait être logique qu’il tienne. C'était le genre de trucs qui avait tendance à l'énerver, ça lui rappellait un peu trop les magisters de Tevinter trop fiers de leur titre... Ceci dit, elle en prit quand même note dans un coin de sa tête… Il apprécierait sans doute qu’elle fasse attention à ça à l’avenir, et s’il devait vraiment la faire sortir du pays, mieux valait qu’il la voie d’un bon œil.

Il était plus accueillant qu’elle l’avait redouté, en tout cas, l’invitant à s’asseoir et lui servant même un verre de bière. Cela la prit un peu de court, mais ça la rassura en même temps… Si les choses continuaient ainsi, elle serait hors de Qarinus très rapidement. Bien sûr, il avait aussi des questions. Son identité, ce qu’elle lui voulait. Elle s’y était attendue – et préparée, même si maintenant, dans le feu de l’action, elle craignait un peu de perdre ses moyens.

L’inconnu avec lequel il avait discuté quelques instants plus tôt s’était éloigné. Elle s’installa à sa place, tentant de se mettre à l’aise en marmonnant un "merci" et en lui adressant un petit sourire. Elle regarda le verre de bière… Rhea n’avait jamais vraiment aimé la bière – en fait, elle buvait peu d’alcool en général. Elle avait bien craqué et testé quelques bouteilles après la disparition de ses parents, mais ça restait quelque chose dont elle n’était pas spécialement fan. L’ivresse avait tendance à la déprimer, à faire ressortir les pires aspects de sa personnalité, et même le goût la rendait vaguement malade. Pas question de perdre la face devant l’écumeur en refusant son verre, pourtant. C’était juste une bière… et au moins, elle n’allait pas la boire seule. Elle la porta à ses lèvres et en avala une gorgée.

-"Je m’appelle Rhea. Je vis ici, à Qarinus." Contrairement au capitaine Vezate, la jeune fille ne désirait pas revendiquer son statut en mentionnant son nom de famille. Elle ignorait si l’étranger connaissait les Pavus – à Tevinter, c’était une famille des plus fameuses, mais en dehors de l’Empire, elle n’en savait rien. Elle ne voulait pas prendre le risque, pourtant : elle voulait juste passer inaperçue… Et Rhea était un nom assez commun pour ça. Cela suffirait, comme présentation – du moins elle l’espérait. "Et je viens vous parler parce que… J’ai entendu dire que vous alliez quitter Tevinter, bientôt ?"

Oh, elle espérait que ce soit réellement le cas. Elle n’avait pas envie de chercher quelqu’un d’autre pour faire la traversée.

-"Oh. Vous faites du commerce d'esclaves ? Je ne savais pas." Le ton était froid et empli de reproches – à lui, mais surtout à elle-même, pour ne pas avoir pris conscience de ce « détail » avant d’être venue lui parler. Elle aurait du se lever maintenant et tourner les talons, songea-t-elle. Elle ne pouvait pas décemment compter sur les services d'un esclavagiste, quand bien même ce dernier avait la sympathie de lui offrir un verre. Non – elle aurait du s’éloigner de tout ça, refuser d’y toucher... Mais elle était déjà arrivée si loin. Que pouvait-elle faire, partir et tout recommencer ? Se mettre à chercher un autre bateau qui lui permettrait de rejoindre les Marches ? Qu’est-ce qui lui disait que le suivant serait réellement mieux que celui-ci ? Et ce serait sans doute plus difficile la dernière fois. Elle finirait par se faire remarquer. Les bruits remonteraient jusqu'à son père. Ah... Tout à Tevinter lui semblait pourri jusqu’à la moelle. Elle ne pouvait y échapper… Le seul moyen d’en sortir était de passer au travers.

Elle se fit donc violence. Resta assise. Mais sa méfiance était encore plus élevée qu’avant, si bien que la phrase suivante de l’écumeur de passa pas inaperçue. Pas prudent d'être venue seule ? Qu'est-ce qu'il essayait de lui dire ?

-"Est-ce que c’est une menace ?" Ca sonnait un peu comme ça. Et ce n’était pas pour la rassurer. Ne pas avoir peur… C’était plus facile à dire qu’à faire. Elle ne serait pas capable de se défendre, si les choses en arrivaient là ; elle serait à la merci de tous ces inconnus qui l’entouraient. N’importe qui d’autre aurait pris un garde du corps avec lui, avant de se lancer dans une telle aventure, . Mais elle refusait de considérer l’idée. Elle ne pouvait qu’espérer sembler trop insignifiante pour que l’un de ces gens puisse suffisamment s’intéresser à elle pour lui faire du mal. Après tout, ils ignoraient qu’elle était une Pavus… Pour eux, elle devait juste ressembler à n’importe quelle autre jeune fille sans rien de remarquable. Elle reprit – la voix plus aiguë qu’elle ne l’aurait voulu. "Je ne sais pas ce que vous avez en tête, mais vous n’avez rien à y gagner. Sauf si vous décidez de m’aider."

Elle respira à fond. Il fallait faire le grand saut. "Ecoutez, je ne suis pas stupide. Si je voulais partir en croisière de plaisance sur les eaux tévintides, je pourrais payer pour ça. Si je voulais voyager sur un vaisseau régulier comme on en trouve de l’autre côté du port, je pourrais payer pour ça. Mais j’ai besoin de quitter le pays discrètement. Sans qu’on ne me pose de questions. Et je peux payer pour ça aussi." Elle devait se montrer assurée et confiante, comme l’était son père – complétement habituée à obtenir ce qu’elle désirait. Mais si elle tentait d’imiter son ton, elle était loin de se sentir réellement sûre d’elle. Elle doutait que Nero Pavus cachait la même angoisse quand il donnait des ordres, la même pression dans la poitrine, le même emballement du cœur. Elle espérait juste que de l’extérieur, son état ne se verrait pas trop. "Vous voulez mon argent, ou pas ?"