Psaume à nos songes délétères

Un miasme corrode les naseaux, depuis les agglomérats de macchabées éviscérés, égorgés, putrescents qui jonchent le champ de bataille. Des nues nébuleuses et diffuses diaprent un firmament sanguinolent, qui fait pleuvoir sur la lande une ondée d'ichor et de mort. Un ressac de créatures enténébrées échoue et balaye une Divinis meurtrie et épuisée, chamarrée d'écorchures et au potentiel magique tari. Emportée dans ce vortex cauchemardesque, elle ne résiste, et n'ouvre ses paupières tuméfiées que pour apercevoir une masse dantesque prendre son essor et fendre les cieux. Le dragon galvaudé semble se gausser en un rugissement tonitruant, triomphateur, nouveau gouverneur d'un Thédas fauché par la noirceur. Percluse de faiblesse et d'abnégation, la garde se fait presque licher le minois par le faciès d'une engeance qui la toise de près, avant de brandir son abominable tranchoir, et de lui larder le myocarde.

La sylphide se redresse en soubresaut. Ses lippes arides pépient leur terreur, tandis que la sudation goutte de ses tempes, le long de ses joues, où le teint est blême. Les iris émeraude quêtent aux alentours et une paume moite s'appose sur le côté senestre de la poitrine, en travers de laquelle elle sent le cœur pilonner. Le petit dortoir est vide nonobstant la sorgue déjà bien entamée, du moins, à en juger par la bougie qui, sur la table de chevet, est presque noyée dans sa marre de cire. Mora guigne les différentes couches appartenant aux membres respectifs de sa meute des Anderfels, mais aucun ne s'avère présent. Ses gambettes basculent pour l'asseoir, elle se laisse un instant pour rassembler ses esprits. « La Bête guette... » Susurre subitement une voix suave à même l'intérieur de son encéphale. Elle sourcille, mécontente que la démone avec laquelle elle partage désormais son existence se manifeste avec son usuelle goguenardise. Cette dernière miaule et ricane. « Pauvres mortels... » La sorcière la chasse d'un rauquement et se meut, elle saisit une épître scellée qui repose non loin, puis sort de la pièce sans s'incommoder de son apparat habituel.

Les cauchemars. Héraldique incontestable de l'Armée que leur Ordre combat depuis les nuits immémoriales, tourmenteurs, et parfois, annonciateurs d'une véracité tant redoutée. Les siens n'avaient jamais été aussi immersifs et emplis d'épouvante... un symptôme de l'Appel, avait-elle commencé à s'avouer, avant que l'Archidémon ne se manifeste. Et voilà que beaucoup d'entre eux perdent le sommeil. Elle le constate, alors qu'une pléiade des individus du Fort Bastel vaquent à diverses distractions pour tuer le temps – tuer cette infernale attente jusqu'à la première confrontation. Chacun à leur façon, ils se délassent, et elle croit savoir dans quel antre le quidam qu'elle recherche s'est réfugié. Ses pas la conduisent jusqu'à l'huis de la chapelle de fortune installée à même les murs de la forteresse, encoignure de réconfort et de recueillement pour ces andrastiens qui ont marotte à se recueillir. Elle y pénètre précautionneusement, veillant à ce que le piaulement de la porte n'importune pas les féaux en prière. Ceux-là sont agenouillés devant une ronde-bosse à l'effigie d'Andrasté, entouré de quelques bougies qui tamisent l'atmosphère et d'objets de culte hétéroclites. Elle reconnaît tout de go le râble du De Monfort, nuque visible car front platement incliné vers le sol. A ses abords, un binôme de recrues qui parachève silencieusement ses patenôtres se lève et quitte les lieux, les laissant opportunément seuls. L'obscure apsara s'installe sur une chaise à proximité, déférente face à la piété du Sigisbée, quand bien même la conçoit-elle laborieusement. Il est auguste, faut-il dire, dans cette contenance-ci, et Divinis le contemple plus qu'elle ne le regarde.

« A défaut d'être utile, ta piété est adorable à observer. » Le taquine t-elle après avoir remarqué le point d'orgue de sa contemplation. « Je savais que je te trouverais ici. » Ses prunelles échouent sur la sculpture, et cette prophétesse qui fascine tant, seule femme avec la Divine auxquelles les mâles tressent des couronnes sans en rougir. Une foi qui lui apparaît futile, elle qui s'est épanouie dans les croyances dévoyées de l'Empire Tévintide, mais qui est-elle pour glavioter sur les convictions d'autrui tant qu'elle n'empiètent par sur leurs coercitions ? Octave, lui, préserve une part chantriste plus cardinale qu'il ne le concédera jamais, éducation orlésienne et passif de templier obligent. « Je n'arrive pas à trouver le repos. Peu semblent y parvenir. » Elle baisse les mirettes sur la missive au creux de sa main, sa longue crinière brune, dénuée de son couvre-chef cornu, cascadant et encadrant son visage d'albâtre. « Ainsi, ce pour quoi nous avons pérégriné à travers la moitié de Thédas se réalise. Ce dont nous nous gouaillions presque dans l'enceinte de Weisshaupt, gourds de notre vanité. Les ténèbres pulseront bientôt hors de leurs artères, et voici que nous nous retrouvons aux premières loges... » Elle soupire imperceptiblement. « As-tu... peur ? »