It is better to speak or die ? | ft. Caelestis

Poppée n’avait quasiment pas dormi de la nuit, guettant le retour de son mari et – surtout – ami. La mage et nouvelle magister prenait soin de Caelestis comme une sœur prendrait soin de son frère ; c’était, après tout, toujours comme ça qu’ils avaient fonctionné, et leurs alliances ne changerait rien à cela. Difficile d’en faire autrement, de toute façon. La jeune femme prenait d’autant plus soin du jeune mage que son amant venait d’être assassiné, il y avait peu de temps. L’effet avait été dévastateur, et son absence ne lui disait rien qui vaille. Mais la jeune blonde avait fini par trouver le sommeil, un sommeil court et agité, qui l’avait tiré du lit assez tôt. Le soleil n’avait pas encore totalement dépassé sa ligne d’horizon lorsqu’elle fit couler un thé et lorsque, finalement, elle entendit la porte s’ouvrir. « Cae ? » demanda-t-elle d’une petite voix en reposant sa tasse sur la table.

Resserrant les pans de son gilet contre sa poitrine, Poppaea se déplaça vers le couloir. Un mauvais sentiment l’étreignait, sans qu’elle ne puisse s’en défaire. Si ce n’était pas Caelestis, de toute manière, ça ne pouvait être que son beau-père, n’est-ce pas ? Un sourire s’étira sur ses lèvres lorsqu’elle vit qu’il s’agissait bel et bien de son mari « enfin » rentré. En un seul morceau, peut-être un peu fatigué... Las ? Qu’avait-il fait cette nuit ? Poppée préférait penser qu’il était allé « s’amuser » un peu. Boire, passer du bon temps, elle ne savait pas quoi d’autre ; mais son regard... Son regard semblait lui prouver qu’il n’en était rien. Son regard et surtout, l’odeur de brûlé qui émanait de lui au fur et à mesure qu’elle s’en rapprochait.

« Caelestis ? Tout va bien ? » Son sourire s’effaça rapidement pour laisser place à l’inquiétude. Des suppositions se bousculaient dans son esprit sans qu’elle ne puisse les arrêter, et ses mains vinrent doucement se placer sous les coudes du mage pour l’entraîner avec elle vers le petit salon où elle avait laissé la théière. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Qu’est-ce que tu as fait cette nuit ? » Il n’y avait aucun reproche dans sa voix, car Poppée se moquait bien de ce qu’il pouvait faire. Leur union n’était pas destiné à les attacher l’un à l’autre et à les entraver, il n’y avait pas ce genre d’amour entre eux, alors qu’il court les lits des autres était très loin d’être un problème puisqu’elle s’en moquait. En revanche... En revanche, elle avait peur de quel drame avait pu se jouer, cette nuit.

Rien n’aurait pu préparer Poppaea à la révélation qui allait suivre. Ou, en fait, si, peut-être. Ca aurait été n’importe qui d’autre, l’idée que cette personne soit allée se venger lui aurait certainement effleuré l’esprit. Mais que Caelestis ait pu le faire ? Personne sur cette terre ne l’aurait soupçonné capable de faire ça. C’est dans une angoisse grandissante que la magister le conduit jusqu’au salon ; son mari a bien l’air de la suivre, mais il ne semble pas réellement... Présent. Jusqu’à ce qu’il ne se laisse tomber dans un fauteuil, et que des larmes ne perlent à ses yeux, peut-être. La jeune femme reste à ses côtés, et est toute proche lorsque la révélation tombe finalement.

Caelestis a tué. Et Poppée retient de justesse un mouvement de recul et d’effroie : le jeune Tenera n’avait décidément pas besoin de ça. Elle se raidit peut-être un peu, cependant, durant quelques secondes, le fixant sans bouger, comme si elle avait besoin de temps pour digérer cette information. Et, évidemment, il lui en faut, que ce soit le temps d’intégrer que oui, Caelestis Tenera, son Caelestis, avait tué, ou la suit de ses paroles. Avec une infinie douceur, la mage s’agenouille devant lui et pose une main sur sa joue, prenant le temps de la lui caresser du pouce. « Ne dis pas ça, tu... »

Elle s’arrêta net, parce qu’au fond d’elle, elle ne savait pas réellement quels mots elle pouvait employer pour l’apaiser. Etait-ce seulement possible ? Poppée pouvait bien user de sa magie pour le faire, le laisser se reposer un peu. En tant que maîtresse des illusions, il serait si aisé de l’aider un peu... Mais cela ne règlerait certainement pas le problème sur le long terme. Elle allait devoir redoubler d’effort, en rêve, pour pouvoir préserver un peu son mari. « Ce... Ce n’est pas grave, mais... Il faut avancer, à présent... » Que pouvait-on dire pour soulager un homme dont le cœur était brisé et qui venait de commettre un meurtre qui ne l’avait finalement même pas soulagé un tant soit peu ? Oh, comme elle se sentait faible. Elle ne pouvait rien faire d’autre que le prendre dans ses bras et le presser doucement contre elle : « Je sais que ça fait mal... Mais ne me fait pas peur comme ça, s’il te plaît. Parle-moi. Dis-moi quand ça ne va pas... Tu peux tout me dire, tu sais... »

En soupirant légèrement, Poppée prend le visage de Caelestis entre ses mains pour déposer un baiser sur son front, et prend ensuite ses mains pour tirer un peu dessus et le forcer à se lever : « Viens prendre un bain, ça te fera le plus grand bien... »

Poppée doit avouer qu’elle ne sait pas comment réagir. Au fond d’elle, elle est perdue. Elle ne le montre par, elle reste forte et droite pour Caelestis, car il en a besoin. Elle le sait, elle le voit : l’abandonner ici, céder avec lui, ce serait... Catastrophique. L’homme qu’elle considère comme un frère est un véritable agneau, et elle ne jugera pas l’écart qu’il a fait cette nuit. Peut-être lui-même s’en veut-il (certainement, même, vu son expression si abattue), et peut-être mettra-t-il un moment avant de s’en remettre, mais Poppaea l’a déjà pardonné. Après tout, elle sait qu’elle-même serait capable de commettre un meurtre si on s’en prenait à quelqu’un qu’elle aimait. Qu’il s’agisse d’un amant (même si, pour le moment, il n’y en avait pas l’ombre d’un seul), ou d’un membre de sa famille. « Je sais... Je m’en doute... » lâche-t-elle doucement, sans le lâcher lui. « Ce sera difficile, on le sait tous les deux... Mais il ne faut pas que tu t’enfermes là-dedans... »

Elle avait peur de le perdre. Elle avait peur de perdre son Caelestis qu’elle aimait tant, ce être si adorable qui ne tuait pas, qui ne tuerait plus, qui illuminait quotidiennement la vie de tout un chacun. Le petit poussin de son cher père. En premier lieu, la jeune femme mène son mari jusqu’au terme. Un bon bain lui ferait le plus grand bien, juge-t-elle. D’abord pour se débarrasser de cette odeur qui cachait les terribles secrets de sa nuit, ensuite pour essayer de le détendre un peu. La magister le laisse se dévêtir et se plonger dans l’eau, en s’asseyant à genoux sur le sol frais pour rester près de lui. « Je ne t’en veux pas, Cae... Tu le sais bien. » Une idée germe dans son esprit tandis que sa main vient se nicher un instant dans la chevelure brune de son mari. Elle finit par se relever pour se déshabiller à son tour, et le rejoint dans l’eau.

Tendrement, elle pose ses mains sur les épaules du Tenera et le masse doucement, tentant comme elle peut de soulager la tension qu’elle peut sentir sous ses doigts. « Tu étais triste. En colère. Aveuglé. Ce n’était pas vraiment toi... » Poppée s’applique, du mieux qu’elle peut. Elle ne sait pas si elle est vraiment douée, mais elle fait de son mieux : « Tu n’es pas devenu un monstre sanguinaire, tu es toujours le Caelestis qu’on aime. Tu n’es qu’un homme, Cae, et les hommes se laissent parfois aller à leurs émotions... Je sais que ça doit être dur, mais ne soit pas trop sévère envers toi-même... »

La jeune femme s’applique du mieux qu’elle peut. Elle a déjà dû lire des livres à ce propos, et certains esclaves l’ont déjà massé : elle visualise les points de tensions. A peu près. Approximativement. Du moins l’espère-t-elle, car Poppaea voudrait bien soulager un peu son mari après l’horrible nuit qu’il venait de passer. « C’est normal, Cae. Il va te falloir un peu de temps, mais n’essaie pas de t’enfermer là-dedans... » murmure-t-elle tandis qu’il cherche ses mots. Elle-même attend la suite avec impatience : peut-être que... Quoi ? Elle craint ce qu’il va dire, l’idée qui germe dans son esprit : à tort, en réalité. Même si, au fond d’elle-même, l’idée de le voir s’éloigner ne l’enchante guère, peut-être que se ressourcer lui ferait du bien.

Doucement, Poppée l’oblige à se retourner pour lui faire face, et lui permettre de scruter son visage fatigué. Elle pose ses mains sur ses joues, le détaille, fouille son regard. Que pouvait-elle dire, de toute manière, pour l’empêcher de partir ? La jeune femme ne pouvait pas l’obliger à rester alors qu’elle ne voulait que son bien, et que passer quelques temps à Qarinus pouvait peut-être le soulager. En réalité, la magister avait peur qu’il ne veuille plus rentrer. Maintenant qu’elle avait récupéré le siège de son père, pouvait-elle réellement quitter Minrathie pour plus que de simple vacances ? « Si c’est ce que tu veux... Si tu penses que c’est nécessaire... Je ne peux pas te retenir. Et je sais me défendre. » L’une de ses mains caressa tendrement sa joue, lui offrant un léger sourire. Avec tout ça, elle se rendait compte qu’elle avait oublié quelque chose. Quelque chose d’important. « J’avais... Quelque chose à t’annoncer. Une bonne nouvelle, je crois... Mais ça peut attendre que tu te sois reposé. » lui annonça-t-elle avant de l’enlacer doucement.