never let me go - sarren

Le cerveau de Fensas est en ébullition, ses liaisons nerveuses s'entremêlent et si il peine à faire le vide, il parvient encore moins à s'endormir. Le départ est proche ; cette nuit. Pourtant, quand bien même l'elfe est décidé, un doute subsiste toujours. Cette pente escarpée avec un dessein insaisissable qui le hante ne lui correspond pas, c'est certain. Mais Fenara est là. L'unique personne capable de le faire vibrer ; sans elle il aurait déserté le clan depuis bien longtemps. Ses jambes le poussent à fuir et son cœur à rester. Fensas se retrouve pied au mur avec l'impression de dépérir en silence. Secrètement, à l'intérieur, son éclat s'amenuise au fil des semaines. Il ferme un instant les paupières afin de repousser une larme prête à sortir. Elle reste tout autant entravée que lui l'est. En proie à l'incertitude, le mage est bientôt interpellé par les songes agités de son aimée. Il est sur le dos, l'un de ses bras qui l'enserre, reportant immédiatement son attention sur elle. Son expression maussade se transforme en inquiétude et il essaie de chasser ce qui peut bien la tourmenter. Son départ attendra qu'elle soit apaisée. Doucement, les doigts de Fensas se nichent à l'intérieur de la crinière brune. Les caresses tendres, la chaleur prodiguée, en espérant que le malaise s’envolera. Il ne veut que son bien ; il l'a toujours voulu, malgré ce qu'il s'apprête à faire.

La belle endormie s'éveille de ses songes tourmentés, face à la même inquiétude qui n'en décolle pas sur le faciès de son compagnon. Les prunelles de Fensas sont troublées, particulièrement en cette nuit. Mais il tente de reprendre contenance face à Fenara qui se love un peu plus contre lui. Naturellement, il l'accueille plus en avant entre ses bras et dépose à son tour un baiser contre l'élue de son cœur ; sur son front. « Je m'inquiétais, vhenan. » Ce n'est jamais bon signe et Fensas en viendrait presque à penser que le tout est un tantinet lié avec ses intentions ; peut-être est-il trop présomptueux. Il observe l'elfe aimante contre lui, celle qu'il va bientôt perdre. Sa gorge est serrée mais pas obstruée. Son cœur compressé mais pas moins amouraché. Alors même si en sachant ce qu'il prépare, il est difficile pour lui de répondre, il le fait. Parce qu'en oubliant tout le reste, ses sentiments n'ont jamais été aussi sincères. « Moi aussi, emma sa'lath. » Sa main, automatiquement, se décale sur l'épaule de Fenara. Les caresses continuent mais les pensées s'envolent à nouveau et Fensas paraît absent. Perturbé, encore, il l'est et il hésite même à se confier. Puis bien vite il oublie lorsqu'elle coupe le silence en évoquant l'une des choses qui l'effraie. Mieux vaut qu'il tienne sa langue ; c'est préférable autant pour elle que pour lui. Peut-être plus pour lui, cela dit ?

Ce n'était pas gagné mais Fensas parvient tout de même à sourire un peu. Son nez frotté contre celui de sa tendre lui arrache ce dernier qui parle plus que les mots. Mais bien vite, le sourire retombe. Il s'évapore aussi vite qu'il s'est présenté et le mage lutte péniblement pour ne pas paraître trop étrange dans son attitude. « J'aimerais que nous restions ainsi pour l'éternité, tous les deux. » Souffle-il au creux de son oreille. Ses deux bras serrent plus fort Fenara contre elle. Dans son élan, il aurait bien réclamé un baiser, s'il pensait le mériter encore. A la place, une question sort d'entre ses lèvres. « Qu'as-tu vu dans ton rêve, ma vhenan ? »

Le rythme cardiaque de Fensas est irrégulier, quand bien même il prétend l'inquiétude, il cache autre chose. Impossible pour lui de se décoller des doutes qui le perturbent et qui sont décisifs car l'erreur n'est pas admise. Aucun retour en arrière ne sera permis une fois évaporé du clan, comme un voleur, dans la nuit. L'idée d'être séparé de sa tendre Fenara attise son chagrin ; il ne ment pas, c'est réel, ce qu'ils vivent ensemble. C'est réel et pourtant il s'apprête à couper court à tout. Il s'apprête à démolir cinq années de vie commune pour des projets qu'il n'approuve pas, une insulte à sa vraie nature qu'il est incapable de lui évoquer car elle est plongée en plein dedans. Mais Fensas ne veut pas de ces projets là. Fensas veut vivre autrement avec l'esprit tranquille, ce qui évidemment, ne sera jamais possible. Peu importe de quelle manière il tourne la chose, il est comme condamné.


Les explications le sortent de ses sombres pensées. L'elfe est attentif, sa main cherchant du réconfort en caressant la chevelure de Fenara, en apaisant ses battements anormaux. Elle parle de Josifen, de ses paroles, et Fensas hoche positivement la tête en attendant la suite. Il en sait probablement moins qu'elle car il n'est pas rêveur mais cela ne l'empêche pas de comprendre ce qu'elle lui énonce ; imaginant en même temps qu'elle parle. Si il bloque un instant sur la traduction exacte d'un terme elfique, il en assimile au moins le sens, globalement. Jusqu'à ce qu'elle évoque la solitude, l'abandon, et qu'un pincement au cœur ne vienne le prendre. Les esprits n'ont pas tord, ont vu à travers ses intentions, mais Fensas ne peut pas lui dire. Ce serait peut-être plus blessant encore, ce serait lui imposer un choix entre ses envies, ses projets de vie et son amour. Il préfère prendre la décision pour tous les deux plutôt que de lui imposer un tel fardeau ; à moins que ce ne soit qu'une excuse lâche pour soulager un minimum sa conscience.

Puis la question est abordée, la question tortueuse qui l'achève à l'intérieur après un baiser censé être réconfortant. Fensas a mal. Son cœur le pince plus fort encore, sous le coup des sentiments, si douloureux en cet instant qu'il aimerait se l'arracher pour ne plus avoir à ressentir. Ce calvaire n'est pas prêt de s'arrêter et c'est bien pire en connaissance du rêve de sa bien aimée qui lui en voudra peut-être plus encore pour ce qu'il va faire. Il gagne du temps, l'embrassant à nouveau avant de répondre. Mais il doit répondre, il le sait, sinon le non s'imposera comme une évidence et Fensas ne doit pas trahir ses intentions. Forcé de mentir, pour la première fois, envers Fenara. « Jamais, vhenan. » Sa voix est légèrement écorchée, sa gorge nouée, malgré le sourire de façade installé. Il cache aussitôt son faciès en le plongeant dans son cou qu'il couvre de baisers.


Maintenant, Fensas a peur qu'ils restent à converser une trop grande partie de la nuit et que l'aube les surprenne avant qu'il ne puisse partir, même si c'est toujours à contre-cœur. Un jour de plus ne pardonne pas et il est persuadé qu'elle parlera de son rêve à Josifen. Inspirant un bon coup, parce qu'il tente de reprendre contenance mais surtout de rassurer Fenara - alors que lui-même ne l'est pas, le futur déserteur offre un baiser sur son front. « Ne te tracasse pas avec ça pour cette nuit, essaye de te rendormir. Il faut que nous soyons en forme pour demain... et les jours qui vont suivre. » En forme pour une épreuve bien plus imprévue et ardue qu'elle ne se doute, que lui ne se l'imagine. « Ma serannas. Pour ton amour, pour tout. » Murmure-il à son oreille, tendrement, sincère. Il ne mérite rien de tout ceci pour ce qu'il s'apprête à faire. De son mieux, il feint l'épuisement et ferme les yeux, patiente jusqu'à ce qu'elle rejoigne de meilleurs rêves.

Il faut qu'elle s'endorme à nouveau, que Fensas puisse enfin prendre la fuite, loin du clan. C'est un véritable crève cœur pour lui mais il comprend bien qu'il n'a plus le choix, impossible de retarder la date ou de s'accorder un jour supplémentaire. Cette angoisse, cette peur qui monte en lui, si il imagine pour l'instant que Fenara ne se doute de rien, elle sautera forcément aux yeux de Josifen. Et pourtant, elle soupçonne déjà. Ses pupilles se ferment doucement, il tente de reprendre une respiration plus calme, de feindre l'endormissement, sans escompter se perdre dans les bras de Morphée. Cependant sans le vouloir, on l'y amène. Des souvenirs défilent, de la première fois aux années d'après, Fensas se sentait si bien et l'innocence n'était pas tant étiolée. Puis peu à peu, son cœur se serre, au fil de l'évolution, il ne réalise pas toute suite mais le tout lui saute bientôt aux yeux ; et surtout aux oreilles. Tu pars. Elle sait. Son faciès se décompose, il le savait, il aurait dû partir plus tôt, maintenant il est forcé de se confronter au regard de Fenara. Un regard qui le hantera très probablement.


Le rêve se coupe vite, si bien que Fensas n'a pas le temps de reprendre complètement ses esprits que les questions fusent à ses oreilles. Bientôt il est éjecté de l'arbre mais parvient à se réceptionner au mieux, se redresse et confronte son amour. « Ir'Abelas, vhenan. » Il s'excuse, quand bien même elle ne le croit plus, elle lui crie dessus et il le sent, son cœur qui se compresse si fort dans sa poitrine. « Je savais que tu ne viendrais pas, et je n'ai pas d'autre alternative, je ne peux plus continuer ainsi avec le clan. » Des aveux, plus de mensonges, mais elle tombe à genoux devant lui et cela termine de l'achever, ça et les paroles qui vont avec. Fensas est heurté, ses pupilles témoignent de son déchirement, pourtant il recule d'un pas puis de deux. « Tu seras toujours... Emma sa'lath. » Il en tremble, une larme perle également à l'un de ses yeux mais c'est trop tard, la décision est prise, et rien de ce qu'il dira de plus ne sera en mesure d'apaiser les maux de Fenara. Rien de ce qu'elle ne pourra dire de plus, non plus, même si elle se perd en sanglots, malheureusement. Fensas ne voulait pas la voir dans cet état, c'était la dernière chose qu'il souhaitait ; son fardeau s’accroît mais il en est le seul responsable.

Au pied de l'arbre, avant de partir, il attrape le sac déjà préparé avec quelques affaires, le minimum. Puis un dernier geste, avec la larme parvenue jusqu'à sa joue, il arrache le médaillon qui loge autour de son cou, relique chère à son cœur qu'il abandonne pourtant, elle aussi, aux mains de l'elfe éplorée. Et comme un voleur, avant que le clan ne soit alerté, il se précipite loin, le plus loin possible ; il fuit sans se retourner ni même contempler une dernière fois le faciès de Fenara, dans un sale état. Cette pensée l'amène à courir plus vite encore peu importe s'il s’essouffle plus rapidement aussi, puis il s'arrête une fois suffisamment éloigné, contre un nouvel arbre. Il frappe, il craque à son tour, en sanglots, la sangle de son sac fermement tenue. Plus aucun retour en arrière. Doucement son rythme cardiaque s'aligne, moins agité, la douleur est toujours là mais l'esprit essaie de reprendre des forces ; il n'est pas en sécurité ici. Alors il se lève à nouveau, emporté toujours plus loin, il verra bien ce qu'il adviendra de lui, le déserteur, le traître. Fensas qui n'est plus Fensas. Fensas qui deviendra Sarren, dissimulant les démons de son passé, construits par lui-même. Mais jamais son cœur n'oubliera.